“On ne peut qu’être frappé par l’ampleur des investissements nécessaires à la transition écologique”

Publiée le 17 février 2022 à 9h30 - par

Entretien avec Philippe Boëton et Sylvie Calentier, respectivement ancien magistrat de CRC et directrice du service marchés publics à la Métropole de Rouen Normandie pendant 20 ans, sur leur nouvelle activité de conseil (www.boeton-calentier.fr).
“On ne peut qu'être frappé par l'ampleur des investissements nécessaires à la transition écologique”

Qu’est-ce qui vous a amenés à vouloir continuer d’offrir votre expertise aux administrations locales pendant votre retraite ?

C’est l’attachement au service public et la volonté de poursuivre une activité dans nos domaines de compétences respectifs. Nous pensons que les connaissances et pratiques acquises au cours de notre vie professionnelle peuvent rendre service aux acteurs locaux, élus ou agents territoriaux. À titre d’exemple, s’agissant de collectivités de petite dimension, il peut être utile de bénéficier d’une assistance pour la passation et la mise en œuvre d’un concours de maîtrise d’œuvre et par la suite des procédures relatives aux marchés de travaux. De même, elles peuvent avoir besoin d’un regard extérieur sur leur cycle budgétaire (préparation, vote, exécution, affectation des résultats).

S’agissant des grandes collectivités, les situations ponctuelles peuvent nécessiter une intervention externe pour combler un besoin d’assistance à la gestion d’un projet ou pour se garantir des risques plus importants liés à leur surface budgétaire, notamment en matière de marchés publics. Ainsi, l’analyse des dépenses peut révéler des modalités inadéquates de computation des achats les exposant ainsi à des risques contentieux ou à des surcoûts. Autre exemple, l’exécution des marchés de travaux peut présenter des situations de blocage entre les différents acteurs et nécessiter une intervention pour l’objectiver et proposer des solutions.

Parmi vos offres de services, vous proposez des formations à destination des élus et des agents en lien notamment avec le développement durable. Qu’est-ce qui frappe le financier que vous êtes Monsieur Boëton en la matière ?

On ne peut qu’être frappé par l’ampleur des investissements nécessaires à la transition écologique en nombre, en volume et en coût et solidaire de l’absolue nécessité de trouver les divers canaux de financement. C’est pourquoi, il convient de développer une solide ingénierie administrative, technique et financière pour faire face à toutes les contraintes auxquelles les gestionnaires sont confrontés. Cela peut concerner le montage de dossiers de financement ou de réponse d’appels à projet pour l’implantation de panneaux photovoltaïques à titre d’illustration ou encore la participation d’une commune au capital d’une société dont l’objet est la production d’énergies renouvelables ou d’hydrogène renouvelable ou bas carbone.

Même question Madame Calentier sous l’angle cette fois des marchés publics ?

Les marchés publics concernent tous les aspects de la vie au quotidien des collectivités, qu’il s’agisse de dépenses de fonctionnement ou d’investissement. La prise en compte du développement durable dans ses dimensions économique, sociale et environnementale ne constitue pas seulement une obligation légale et réglementaire (article L. 2111-1 du Code de la commande publique) ; c’est surtout un moyen de développer une culture commune avec les différents partenaires (entreprises, donneurs d’ordre, gestionnaires ou exploitants, utilisateurs) en vue d’une performance environnementale, sociale et économique de l’achat.

L’exemple de la restauration collective est éclairant car il concerne tout à la fois les producteurs, les distributeurs, les personnels de restauration, les services publics gestionnaires administratifs et techniques et enfin les consommateurs. Le 1er janvier 2022 marquait la date limite de fourniture de repas dans les cantines présentant au moins 50 % de produits de qualité dont 20 % de bio avec l’objectif de réduction du gaspillage alimentaire, ce qui a nécessité pour les collectivités qui sont à jour de cette obligation de profonds changements dans les pratiques d’achat, de préparation culinaire et de consommation. Si aucune disposition législative n’a été prévue pour sanctionner le non-respect de cette obligation, les collectivités se privent de la possibilité de valoriser concrètement leur politique environnementale et de développement économique local.

Comme chacun sait, les budgets locaux ont été très sollicités pour soutenir le tissu économique local depuis le début de la crise sanitaire. Quels vont être les points de vigilance dans les prochains mois selon vous en matière budgétaire ?

Les acteurs locaux ont été amenés à s’adapter au nouveau contexte sanitaire et économique en révisant leurs orientations stratégiques : le débat d’orientation budgétaire devrait être conforme à la définition du Code général des collectivités territoriales et être préparé en lien avec les autres niveaux de collectivités publiques partenaires ; pour avoir une visibilité de moyen et long terme des politiques locales, la gestion des collectivités doit s’appuyer sur des comptes fiables, ce qui implique un important travail de révision des comptes ; pour rembourser la dette publique Covid, les ressources fiscales et les ressources institutionnelles seront probablement sollicitées par un dispositif de type « contrat de Cahors » mais rénové.

Dans le même temps, le plan de relance constitue une opportunité à saisir sans délai car chacun de ses axes comprend notamment une dimension de transition écologique et apporte des financements précieux. Peuvent être cités ici la rénovation énergétique des bâtiments, la renaturation des sols par la plantation d’arbres ou encore la création de pistes cyclables nécessaires à la mobilité du quotidien.

C’est dans ce contexte que les gestionnaires peuvent faire les arbitrages nécessaires à la réalisation de leurs objectifs tout en modérant la pression fiscale. En tout état de cause, les gestionnaires sont incités à la recherche incessante de gains de productivité dans tous les domaines. La formation initiale et continue des élus et des agents y contribuera, celle des élus ayant été récemment réformée à cette fin.

Vous développez également une offre de service sur la relation administration / entreprises. Comment voyez-vous l’avenir de cette relation ?

Pour mener à bien une gestion publique, les collectivités locales ont besoin de partenaires privés qui savent s’adapter à leur contexte institutionnel et financier. Eux aussi vivent le renouvellement de leur personnel et les changements de structure. De leur côté, les collectivités territoriales doivent être en phase avec les innovations technologiques pour les intégrer dans leur stratégie, ce que leur apportent les entreprises ou les centres de recherche. En fait, la bonne réalisation des missions confiées aux entreprises et la sécurité juridique des actes des collectivités territoriales vont de pair dès lors que les personnes se connaissent de part et d’autre et se comprennent.

Avec la crise sanitaire, nous sommes entrés dans une période de transition source de risques contentieux pour les collectivités et leurs groupements. Quels conseils leur donneriez-vous pour sécuriser leurs marchés publics dans cette période d’incertitudes ?

Les conseils que nous donnons sont issus des dispositifs contenus dans le Code de la commande publique :

  • Réaliser avant toute consultation un sourçage afin de connaître l’état du marché ;
  • Prévoir systématiquement une clause de réexamen dans le cahier des clauses administratives particulières ainsi qu’une clause de révision des prix pour les marchés publics de travaux ;
  • Adopter une démarche d’anticipation avec le maître d’œuvre pour s’adapter aux aléas d’approvisionnement ; à titre d’exemple, ouvrir les consultations aux variantes et prévoir la possibilité de décaler le phasage de l’exécution ;
  • Adapter les clauses relatives aux pénalités de retard aux impacts de la crise sanitaire, et plus largement s’inscrire dans un dialogue constructif avec ses cocontractants.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant, Professeur à l’Université du Maine, Membre de l’IUF

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