“Décentralisation : se penser moins comme une pyramide et davantage comme un réseau” (2/2)

Publiée le 2 novembre 2023 à 10h00 - par

Deuxième partie de notre entretien avec Nicolas Pernot, Directeur général des services de la Région Grand Est.
Nicolas Pernot, Directeur général des services de la Région Grand Est

© Stadler région Grand Est

Le chef de l’État a fait part de sa volonté de lancer un nouvel acte de la décentralisation. Que faudrait-il en attendre selon vous ?

Le socle de la réforme de la décentralisation du début des années 80 n’a pas fondamentalement changé. Et les caractéristiques du cadre territorial français demeurent : toujours une double commande État-Collectivités pour tous les échelons, toujours l’entrecroisement des compétences en dépit de clarifications ponctuelles.

Ce qui est nouveau, c’est la perte progressive d’autonomie fiscale des collectivités, ce qui modifie de façon sensible la nature de leur rôle. Nous vivons un triple paradoxe qui s’impose progressivement :

  • la recherche d’une taille critique suffisante (cf. Régions et intercommunalités), mais sans véritables transferts de compétences ;
  • un modèle de financement des collectivités de moins en moins à leur main, mais sans dispositif de péréquation horizontale efficace ;
  • une souplesse remarquable des collectivités face aux crises (comme pour le Covid), mais la réaffirmation au plus haut sommet de l’État d’une vision un peu nostalgique du couple Maire-Préfet de département bien réductrice par rapport aux réalités de la pratique.

Dans ces conditions, le nouvel acte de décentralisation – toujours annoncé et jamais arrivé – pourrait se traduire par la multiplication de systèmes dérogatoires, d’ajustements ponctuels et de dispositifs novateurs expérimentaux. Prise isolément, chacune de ces initiatives aura sans doute un intérêt, mais il n’est pas certain que l’efficacité et la lisibilité de l’ensemble s’en trouvent accrus.

Le domaine de l’aide économique n’échappe pas à cette confusion croissante : les maires retrouveront, dans le cadre du ZAN, un rôle dans l’usage du foncier alors qu’on le croyait désormais piloté par les intercommunalités. Des départements tentent régulièrement de retrouver un rôle qui a été le leur en matière d’aide aux entreprises. La multiplication des dispositifs de soutien de l’État au niveau local augmentera l’impression de dispersion.

Faut-il donc attendre d’une réforme la clarification définitive et le cadre géographique et institutionnel idéal pour agir ? C’est sans doute une illusion.

Ce qui compte, c’est la capacité à faire agir, de façon convergente, tous les acteurs impliqués. C’est le modèle que nous avons développé en Grand Est, en grande synergie État-Région, pendant et après la crise du Covid, en faisant travailler ensemble institutions, agences de développement économique et entreprises autour d’objectifs concrets et partagés. C’est ce que nous lançons encore, avec Grand Est Région Verte, pour mettre en œuvre la planification environnementale régionale et faire ainsi vivre, de façon dynamique, la nécessaire transition écologique.

Se penser moins comme une pyramide et davantage comme un réseau dont la richesse et la vitalité des connexions est un gage de réussite.

La capacité des régions à attirer l’investissement étranger est en tous cas une des clés pour relancer l’économie, notamment pour réindustrialiser les territoires. Comment vous y prenez-vous pour retenir l’attention de ces investisseurs ?

Les investissements directs étrangers jouent un rôle capital dans l’économie régionale en Grand Est : près de 2 600 entreprises à capitaux étrangers sont implantées en Grand Est, générant 135 000 emplois, soit une des plus fortes concentrations nationales.

La Région Grand Est a su maintenir une certaine dynamique d’attractivité, avec une moyenne annuelle de 120 projets et 3 500 emplois générés/maintenus observés sur la période 2017-2021 pour un montant d’investissements supérieur à 8 milliards d’euros (projets de création sauf points de vente), soit 11,3 % des investissements étrangers en France.

En 2022, le Grand Est s’est classé 4e région d’accueil des projets d’investissements étrangers en France. 150 décisions d’investissements étrangers y ont ainsi été recensées, permettant la création ou le maintien de 4 917 emplois, en hausse de 17 % par rapport à 2021. Parmi les 150 projets recensés dans la Région, plus de la moitié sont des créations de sites qui contribuent à plus d’un tiers des emplois créés ou maintenus dans le Grand Est.

Pour entretenir cette dynamique, la Région s’appuie sur une ingénierie d’implantation assurée collectivement par un réseau régional afin d’assurer la meilleure intégration possible du projet dans l’écosystème. Cette ingénierie se développe à deux niveaux : une Agence régionale de prospection et neuf agences territoriales de développement économique qui sont des relais incontournables pour l’ingénierie d’implantations des IDE sur le territoire.

La définition d’un plan stratégique de prospection est en cours, en s’appuyant sur les forces et atouts de la Région et les filières stratégiques que la Région souhaite promouvoir. En effet, outre les enjeux liés au foncier que la Région adresse au travers de plusieurs projets tels Star’Est (volet 1 et 2, expérimentation « friches »), les enjeux d’infrastructures (énergétiques, transport) ou de ressources (notamment en eau), la capacité à disposer de main-d’œuvre qualifiée est un facteur puissant d’attractivité : en mettant en cohérence plan de prospection (notamment sectoriel), politique de formation continue et d’orientation, la Région Grand Est maximise ses capacités à attirer les projets à forte valeur ajoutée.

Sur un plan plus tactique, la Région a par ailleurs impulsé un travail en « Task Force » lors de projets d’implantations de projets structurants, permettant de rassembler toutes les parties prenantes du projet (EPCI, Région, État, Banque des territoires, Cellule Invest de GEN+ notre agence régionale, etc.) et visant à travailler sur les « verrous » administratifs, à accélérer certaines démarches et à accompagner le porteur sur ce travail amont.

Ce mode de travail est apprécié de nos interlocuteurs et est plébiscité dans le cadre des différents retours d’expérience auxquels nous avons procédé.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Docteur en droit public – HDR, Professeur des Universités,
Le Mans Université, Chaire innovation de l’Institut Universitaire de France, Consultant

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