“Des politiques de dispositifs et de guichet, l’intervention régionale a évolué vers une politique d’accompagnement” (1/2)

Publiée le 27 octobre 2023 à 10h00 - par

Première partie de notre entretien avec Nicolas Pernot, Directeur général des services de la Région Grand Est.
Nicolas Pernot, Directeur général des services de la Région Grand Est

© Stadler région Grand Est

L’après-crise sanitaire, le choc énergétique et l’inflation qui en découlent marquent-ils une rupture dans les politiques de développement économique régionales selon vous ?

En termes d’évolution des politiques publiques économiques suite à la crise sanitaire, il est important de distinguer deux temps : le temps de la crise, de la sidération pendant lequel la priorité a été de préserver au maximum l’économie régionale et le temps de l’après-crise, celui de la relance.

En région Grand Est, la crise a eu pour effet le lancement d’une démarche de mobilisation générale des acteurs de l’économie appelée Business Act Grand Est (ou BAGE, Acte 1). La particularité de cette démarche a été d’identifier non seulement les enjeux de résistance « conjoncturelle », mais aussi les enjeux de pérennité structurelle, des facteurs de résilience. Le BAGE Acte 1 a ainsi identifié que cette crise est aussi une réelle opportunité pour adapter sans délai notre région aux défis du 21e siècle révélés avec force au cours de ces derniers mois : la transition écologique, la transformation numérique et l’affirmation de notre industrie vers le « 5.0 ».

Dès lors, le plan régional de relance appelé Business Act Grand Est Acte 2, élaboré en sortie de crise sanitaire, est à considérer comme une accélération de tendances déjà à l’œuvre, plutôt que comme une rupture. La Région a ainsi mis en place des Parcours de Transformation des acteurs de l’économie régionale construits autour des moteurs du changement identifiés à l’occasion du BAGE, Acte 1 : Industrie du Futur, Transition écologique, Transition numérique et Santé. Ces parcours de transformation marquent une évolution des modalités d’intervention de la Région : depuis des politiques de dispositifs et de guichet, l’intervention régionale a évolué vers une politique d’accompagnement.

La crise sanitaire ainsi que le contexte de guerre en Ukraine ont par ailleurs mis en exergue la nécessité d’assurer une souveraineté en matière de chaînes de valeur ainsi que la dépendance de certaines filières/entreprises à des approvisionnements étrangers. Cette dépendance est un puissant facteur de risques pour de nombreux pans de l’économie nationale et régionale.

Les enjeux de réindustrialisation et de relocalisation, qui étaient déjà existants ont donc été renforcés et ont abouti en Région au vote du plan 500 relocalisations qui vient en écho aux initiatives prises à l’échelle nationale, notamment autour de France Relance et de France 2030.

Ce plan pose une action multifacette autour des thématiques du foncier, de la formation, du process industriel et de la mise en œuvre d’une stratégie proactive de relocalisation basée sur la prospection. À ce jour 109 projets ont été recensés en Grand Est.

Le choc énergétique a également renforcé l’enjeu de mutation environnementale des entreprises en entraînant une urgence pour certaines filières. Cela a abouti à la mise en place en Région Grand Est des chèques verts pour accompagner les entreprises de moins de 20 salariés dans leur transition énergétique et une attention accrue vers certaines filières particulièrement sensibles à l’augmentation des prix de l’énergie, notamment les boulangeries. Ces accompagnements viennent en complément des aides et dispositifs déjà existants.

En matière de méthode, cet enchaînement de crises a permis un rapprochement des services de la Région et de l’État en Région, permettant une meilleure complémentarité et efficacité dans la réponse à ces enjeux et qui bénéficie de manière globale à l’ensemble des actions relatives au développement économique.

De nouveaux Schémas Régionaux de Développement Économique, d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII) s’annoncent pour les 5 ans à venir. Où en êtes-vous du vôtre et quels sont ou devraient être leurs axes forts dans ce contexte ?

La Région se devait de réviser ou de réactualiser différents schémas en 2023 : SRDE2I mais aussi SRADDET (Schéma Régional de l’Aménagement, du Développement Durable et d’Égalité des Territoires), SRDT (Schéma Régional de Développement Touristique), PRSE4 (Plan Régional Santé Environnement), CPRDFOP (Contrat de Plan Régional de Développement des Formations et de l’Orientation Professionnelles), etc. Dans le cadre de la révision de ses schémas stratégiques, la Région s’est engagée dans une politique ambitieuse de convergence afin d’assurer à la fois la cohérence et la lisibilité de la stratégie régionale.

La Région a ainsi fait le choix de produire un état des lieux unique issu d’une analyse des contraintes réglementaires, des documents existants, de la collecte d’une centaine d’indicateurs. Afin de contextualiser cet état des lieux au plus proche du territoire, ce dernier a été complété du recueil de la parole des acteurs des territoires à travers des réunions organisées avec les Maisons de Région et qui ont accueilli plus de 1 000 participants.

Ces travaux ont permis d’établir et documenter une liste de 9 défis transversaux qui doivent trouver des réponses dans les futurs schémas régionaux. Ces 9 défis sont :

  • apporter des réponses à la pénurie de compétences ;
  • optimiser l’usage des sols : rareté, tensions et concurrence d’usage sur le foncier ;
  • accompagner la mutation des entreprises et des activités ;
  • viser la souveraineté énergétique et alimentaire ;
  • valoriser le Grand Est et ses diversités territoriales ;
  • promouvoir la coopération infrarégionale et transfrontalière ;
  • assurer la mobilité décarbonée des biens et des personnes ;
  • préserver et valoriser durablement les ressources naturelles et restaurer la biodiversité ;
  • accompagner les évolutions démographiques et assurer une santé globale.

L’innovation a été identifiée comme un des éléments de réponse transversal à l’ensemble de ces défis.

Le volet transfrontalier revêt une importance particulière pour la Région Grand Est qui présente près de 800 km de frontières avec quatre pays (Belgique, Allemagne, Suisse et Luxembourg).

Le SRDEII a été voté en Séance plénière en cet automne. Les grands axes issus d’une deuxième phase de concertation des forces vives du territoire régional et qui s’inscrivent dans les neuf défis sont les suivants :

  • la réponse aux besoins de compétences des entreprises ;
  • l’accompagnement de filières stratégiques ;
  • le développement de l’innovation ;
  • l’accompagnement des entreprises dans les transitions et notamment la transition environnementale ;
  • le rayonnement et l’attractivité de la Région Grand Est au cœur de l’Europe ;
  • l’importance d’un développement économique territorial équilibré en lien avec les acteurs des territoires (EPCI, consulaires, etc.) ;
  • le besoin de structuration des écosystèmes liés au développement économique.

Les dimensions de réindustrialisation et de transitions écologiques seront bien intégrées dans ce cadre.

Certains élus ont regretté, au sortir de la crise sanitaire, un plan de relance un peu stéréotypé qui ne tienne pas compte des spécificités propres à chaque région, s’agissant notamment de la reconversion des friches industrielles. Partagez-vous cette analyse ?

Concernant le fonctionnement du plan de relance national et l’implication des territoires et en premier lieu des Régions :

  • Le processus de sélection des dossiers lauréats est demeuré particulièrement centralisé. En 2020-2021, le programme France Relance comportait parmi ses différentes mesures un appel à projets donnant lieu à une affectation d’enveloppes régionalisées, assorties d’un mécanisme de codécision État/Région, en ciblant notamment les projets dédiés à la relocalisation. Les autres mesures visant notamment à dynamiser l’investissement dans certaines filières stratégiques sont demeurées entièrement à la main de l’État avec des modalités très limitées et aléatoires d’association des Régions.
  • Les conditions de fonctionnement de France 2030 depuis 2022 (hors poursuite du programme PIA 4 régionalisé – qui vise des tickets d’intervention par dossiers moindres, et ne concerne que les PME et ETI) sont exclusivement ancrées sur des instructions et décisions portées au niveau national avec des consultations « flash » des services de la collectivité régionale.

Concernant les objets thématiques et filières prioritaires définis dans le plan de relance national :

  • Certains enjeux liés à la consolidation et au développement de l’appareil productif national dans des filières stratégiques sont insuffisamment couverts, le plan national se focalisant sur ces projets de R&D / innovation de rupture avec un accès au marché à long terme. Par exemple, dans l’enjeu de souveraineté énergétique (et en particulier concernant la filière nucléaire), aucune mesure ne favorise directement une accélération massive de l’investissement dans les capacités industrielles du tissu des sous-traitants français.
  • Les cibles souvent privilégiées par les appels à projets (PME et startups en priorité) ne sont pas toujours adaptées à un contexte régional comme celui du Grand Est où un enjeu fort réside dans la capacité de nos grands groupes industriels (nationaux et internationaux) déjà établis à réinvestir / diversifier/ innover massivement dans leur outil de production et capacités de R&D.
  • Sur l’enjeu spécifique du foncier, les leviers nationaux demeurent relativement limités pour accompagner les territoires et le bloc communal dans des opérations de reconversion des friches, d’amélioration du foncier existant, ou de compactage de sites industriels existants. Les moyens nationaux se limitent le plus souvent au mieux à un soutien aux études préalables, et les capacités d’intervention sur des aménagements lourds (foncier et infrastructure) sont bien plus réduites. Sur le développement et la redynamisation de l’immobilier d’entreprise, l’implication d’un opérateur comme la Caisse des Dépôts dans des outils de type SEM ou SPL demeure soumise à des logiques de rentabilité parfois contraignantes.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Docteur en droit public – HDR, Professeur des Universités,
Le Mans Université, Chaire innovation de l’Institut Universitaire de France, Consultant

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