“Faire des politiques environnementales le référentiel total des politiques territoriales”

Publiée le 4 avril 2023 à 10h00 - par

Entretien avec David Le Bras, Délégué général de l’Association des Directeurs généraux des Communautés de France (ADGCF).
David Le Bras, Délégué général de l’Association des Directeurs généraux des Communautés de France (ADGCF)

En ce début 2023, l’expression « changement de paradigme » s’impose dans le vocabulaire local ; on parle volontiers davantage de résilience que de développement durable, ce dernier apparaissant de plus en plus comme un oxymore. Comment se traduisent ces évolutions pour les territoires selon vous ?

En effet, la question écologique est aujourd’hui très présente dans le discours, mais aussi dans l’action des collectivités territoriales. Des circuits d’approvisionnement alimentaire à la réindustrialisation « décarbonée » en passant par la refonte totale de nos politiques d’aménagement et à la démultiplication des chantiers de rénovation énergétique, l’enjeu d’une action territoriale en phase avec les contraintes environnementales contemporaines figure bien au calendrier des élus locaux et de leurs équipes. Les communautés et métropoles ne sont pas en reste, puisqu’elles concentrent aujourd’hui l’essentiel des compétences en matière de lutte contre le changement climatique – économie, mobilités, habitat – et des outils (PCAET & CRTE notamment). Pour autant, si certains territoires s’efforcent de s’inscrire dans une dynamique écologiquement vertueuse, force est de constater que bon nombre d’entre eux continuent de juxtaposer des politiques environnementales avec des politiques de développement « traditionnel » sans véritablement changer de modèle ni de logique. Or, l’accélération du réchauffement climatique, la perte de biodiversité, l’épuisement des ressources de la planète posent la question de la soutenabilité de notre modèle de développement : dans un monde fini, tous les territoires peuvent-ils se développer simultanément alors que nous consommons déjà plus de ressources que la planète ne peut en régénérer ? C’est une question fondamentale.

Dans ce contexte, l’AGDCF a lancé une réflexion sur la question « Et si… L’écologie était la matrice des principales politiques que déploient les intercommunalités ? » Qu’est-ce qui a motivé ce questionnement ?

Précisément la nécessité de sortir les politiques environnementales de leur dimension sectorielle et de les affirmer, au regard du changement climatique, comme le référentiel total des politiques territoriales. L’ADGCF a eu la volonté de conduire une démarche envisageant la redéfinition des principales compétences des communautés et métropoles – développement économique, habitat, mobilités – au prisme de l’enjeu écologique et de prioriser, pour ce faire, une approche « fictionnelle » : et si la transformation écologique était la matrice des principales politiques territoriales que déploient les communautés et métropoles. Dit autrement, l’objectif est de produire un récit des transformations écologiques ancré dans les réalités potentielles de l’administration locale et explorant les leviers principaux dont disposent nos intercommunalités pour partir à la conquête environnementale de leur territoire : une économie décarbonée et moins consommatrice de foncier, un habitat redessiné et redéployé, des mobilités adaptées, des services à la population réévalués… Une précision : notre ambition n’est pas de recenser les « bonnes pratiques », mais bien de mettre en lumière les obstacles structurels et les chemins susceptibles de les contourner. Le livrable final ne sera pas un « rapport », mais un film, articulant des interventions d’experts ainsi que des témoignages d’élus et de techniciens, qui sera diffusé lors de la Convention nationale d’Intercommunalités de France, en octobre prochain.

Quels sont les résultats attendus, en termes notamment de développement économique ? Ce dernier est-il une valeur du passé ? Les élus ont-ils pris conscience des enjeux à la lumière de vos retours d’expérience ?

L’économie n’est pas une valeur du passé, tout simplement parce qu’elle renvoie à une dimension essentielle de la transformation écologique, son acceptabilité sociale. Dit autrement, il faut que l’économie locale intègre pleinement le défi écologique – en pensant son développement à partir des limites physiques de chaque territoire – mais aussi les enjeux sociaux en ayant comme « mobile » la lutte contre les inégalités. C’est bien un changement profond de nos façons d’aménager, de fabriquer – et, de fait, de consommer – qu’il nous faut collectivement envisager. Certes, la conversion n’est pas toujours simple pour les élus et leurs équipes, dans la mesure où le processus de décentralisation, qui postule historiquement la libre administration des collectivités, a induit le « droit » de tous les territoires au développement, quelles qu’en soient les modalités. Pour autant, je suis résolument optimiste. On trouve de plus en plus d’« éclaireurs » qui engagent leur territoire sur la voie de la « bifurcation » écologique et qui appellent localement à la définition d’une nouvelle grammaire économique, associant toutes les parties prenantes privées et publiques, préservant les ressources du territoire – l’eau, l’air, le sol – et permettant avant tout de répondre aux besoins vitaux de la population – alimentation, santé, énergie, mobilités, etc. Dans tous les cas, la mise en œuvre progressive du Zéro Artificialisation Nette amorce d’ores et déjà un bouleversement dans notre façon d’appréhender les politiques publiques en matière d’urbanisme et donc d’aménagement économique. Comment, en effet, se développer sans consommation foncière ? À cet égard, demeure une problématique insuffisamment publicisée et débattue à mon sens : la nécessité d’imaginer une fiscalité locale qui ne repose pas sur la consommation foncière précisément, mais qui constitue le levier de la politique territorialisée de transformation écologique…

Certaines problématiques liées à la transition écologique débordent le territoire des EPCI, les aires biophysiques correspondant rarement aux circonscriptions administratives. Comment organiser la coopération et les co-responsabilités selon vous ?

Les enjeux environnementaux sont nécessairement multiscalaires. Ce qui veut dire que la bonne santé « écologique » d’un système territorial est liée à la qualité des coopérations que les territoires qui le composent sont en mesure de développer. L’ADGCF considère qu’il faut faire des contrats de coopération ou de réciprocité un passage obligé pour les intercommunalités appartenant à un même système territorial. Comme la question des « transitions », la question des « coopérations » doit s’imposer comme une problématique majeure pour les acteurs locaux. L’intensification des interdépendances entre les territoires rend d’ailleurs illusoire, si ce n’est impossible, le principe de confier l’intégralité d’une politique publique à une seule strate territoriale. Surtout en matière d’écologie, le besoin de faire converger des politiques publiques de manière à la fois horizontale et verticale remet inévitablement en cause la logique de subsidiarité qui suppose de confier l’intégralité d’une politique à l’échelon le plus « approprié ». Plus que jamais, pour ce qui relève du réchauffement climatique, de la préservation de la ressource en eau, de la protection de la biodiversité, il est impératif de co-élaborer, co-financer et co-produire des politiques publiques inter-territorialisées, c’est-à-dire de déployer la même politique à différents échelons en maximisant les avantages procurés par chaque échelon. Et c’est là toute la difficulté : réussir à produire une action écologique collaborative et efficace sans fabriquer du territoire au sens institutionnel du terme.

Le chef de l’État réfléchirait à un nouvel acte de la décentralisation. Le cadre existant est-il dépassé à la lumière des nouveaux enjeux ? Si oui, quels devraient être les ressorts d’une nouvelle réforme selon l’ADGCF ?

L’ADGCF a produit et diffusé en juillet dernier une série de propositions réunies dans le fascicule 2022-2027 : changer le modèle de l’action publique territoriale. En bref, notre Association n’appelle pas à un « plus », mais essentiellement à un « mieux » en matière de décentralisation, c’est-à-dire à un réel saut qualitatif dans le fonctionnement de nos administrations territoriales et dans notre relation à l’État. Notre constat est simple : les multiples crises écologiques, mais aussi sociales, énergétiques, économiques qui secouent sans répit la France contraignent les administrations locales à redéfinir sans plus attendre les critères qui établissent l’« attractivité » d’un territoire. Désormais, c’est bien la capacité des élus et de leurs équipes techniques à « protéger » leurs concitoyens et à leur garantir des conditions de vie « durables » qui déterminent la crédibilité politique de celles et ceux qui pilotent les territoires : capacité à préserver les ressources, capacité à relocaliser des activités vitales permettant de répondre de manière pérenne aux besoins essentiels de la population, capacité, enfin, à assurer un niveau de service public minimal ou à en faciliter l’accès. Voilà les facteurs clefs de la résilience des territoires que doit prendre à son compte le potentiel nouvel acte de décentralisation. Dans ce cadre, nous appelons notamment à mettre en chantier une grande loi foncière visant à doter les territoires d’outils simples et opérationnels nécessaires à la mise en œuvre du ZAN, mais aussi à engager une vaste réforme fiscale qui s’inscrive en cohérence avec les objectifs de lutte contre l’artificialisation. D’un point de vue plus institutionnel, nous sommes en phase avec les récents rapports de la Cour des comptes qui considèrent comme nécessaire la recomposition du tissu communal, afin de rendre nos intercommunalités plus gouvernables et de permettre aux communes « étendues » et « consolidées » d’exercer au mieux leurs compétences de proximité pour le grand bénéfice de nos concitoyens.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant, Professeur à Le Mans Université, Membre de l’IUF

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