“Les contraintes environnementales dans les marchés publics ont favorisé les grosses structures au détriment des petites”

Publiée le 28 mars 2022 à 10h15 - par

Entretien avec Sébastien Gouhier, Maire d'Écommoy (72220) depuis 2008, Vice-Président de la Communauté de communes de l'Orée-de-Bercé-Belinois, et Vice-Président du Syndicat mixte du Pays du Mans.
“Les contraintes environnementales dans les marchés publics ont favorisé les grosses structures au détriment des petites”

Monsieur le Maire, vous avez cumulé plusieurs mandats. Qu’est-ce qui vous  marque le plus du point de vue économique dans la transformation du paysage institutionnel français depuis la crise de 2008 ?

Un des éléments marquants sur ce point a été la clarification bienvenue des compétences des EPCI à fiscalité propre dans ce domaine. Ils étaient nombreux à n’assumer qu’une compétence partielle, alors que beaucoup étaient passés en fiscalité professionnelle unique. Il y avait des zones d’activités communales et d’autres communautaires. Cela générait des crispations politiques, et des consommations abusives d’espace. Depuis la loi Notre de 2015, les intercommunalités sont seules compétentes dès lors qu’une initiative est prise par l’autorité publique d’aménager des terrains en vue d’y recevoir des activités économiques. Cette compétence de principe les incite à s’emparer aussi du problème de la vacance commerciale dans les centres villes, par souci d’équilibre. Cela joue aussi en faveur d’une prise de compétence dans la planification de l’urbanisme (PLUi) qui n’est toujours pas obligatoire.

Quelles leçons tirez-vous de la crise sanitaire de 2020 ? Les communes sont-elles aussi dépourvues de moyens d’action comme on l’entend parfois en matière économique ou ont-elles encore d’importantes marges de manœuvre ? Quelle est l’action que vous avez menée au cœur de la crise en faveur de l’économie de votre territoire dont vous êtes le plus fier ?

L’action au soutien de l’économie est largement de compétence supra-locale (Régions et État), mais comme beaucoup de communes, nous avons mené une action de soutien aux commerces qui avaient dû fermer pendant le premier confinement. Le CCAS de la ville a offert un bon d’achat à tous ses seniors de 70 ans, et notre Communauté de communes a mis en place un système de bons d’achats semblables au profit de ses nombreux agents. Cette épidémie nous a appris à agir en pensant circuits-courts. Cette crise sanitaire a renforcé la légitimité de nos actions au niveau intercommunal engagées antérieurement, comme par exemple la Charte Qualité-Proximité du Pays du Mans qui est destinée à valoriser et favoriser le développement des circuits alimentaires de proximité au niveau local.

« L’absence des parlementaires à la tête des collectivités locales a été largement compensée ces dernières années par la multiplication des contractualisations territoriales et les appels à projets de l’État et des Régions »

Jusqu’à son abrogation partielle en 2017, le cumul des mandats locaux et nationaux permettait de faire remonter au niveau central les initiatives locales. D’autres relais ont-ils pris la suite depuis ? Si oui sous quelle forme ?

Je pense que l’absence des parlementaires à la tête des collectivités locales a été largement compensée ces dernières années par la multiplication des contractualisations territoriales et les appels à projets de l’État et des Régions. En effet, plus il y a de contrats qui sont proposés, plus cela génère des projets, et plus il faut être exemplaires pour être retenus. Cela oblige les élus à concerter leur stratégie dans leur territoire inter-communautaire (périmètre du Pays généralement ou de l’EPCI). Il en ressort une meilleure communication entre les ministères et les élus locaux. Il ne reste plus aux parlementaires qu’à bien lire les informations émanant des services de l’État. Plus concrètement, les élus locaux sont devenus aussi des pros de la communication et font largement connaître leurs initiatives par les reportages TV ou la presse. Ma ville a ainsi largement communiqué en 2018 sur l’expérimentation qu’elle a conduite avec COLAS en installant 48 m2 de chaussée solaire devant la mairie pour l’alimentation des bornes de recharge électrique des Zoé en autopartage.

Cela fait la transition avec la transition écologique. On a désormais le sentiment que les collectivités locales sont appelées à être ballotées de crise en crise pour les années à venir. Comment vous y préparez-vous ?

La commune d’Écommoy a anticipé depuis 15 ans sa transition énergétique et n’est pas confrontée au besoin de faire des choix en terme d’activités pour des raisons budgétaires. Nos réalisations nous ont donné une certaine résilience, par exemple nos toitures photovoltaïques utilisées en autoconsommation. En revanche, la crise sanitaire nous a par moment mis en difficulté, parce que peu de postes sont télétravaillables dans les communes. Notre EPCI a pratiqué le travail à distance beaucoup mieux que nous. Nous avons beaucoup appris et continuerons à développer le distanciel pour des raisons de gain de temps et de carburant.

La commande publique s’affirme désormais comme un moyen d’accompagner cette transition écologique. Avez-vous des exemples concrets montrant comment elle peut être orientée à cette fin ?

Les clauses environnementales se sont développées dans les marchés publics, spontanément et sous la contrainte. De ce fait, les entreprises les plus solides ont pris le virage et ne se distinguent plus guère entre elles par ces critères. Avec regret, on peut penser que ces contraintes ont favorisé les grosses structures au détriment des petites. Avec la restauration scolaire, il y a assurément un secteur où l’on peut développer les exigences environnementales au-delà du minimum légal désormais imposé, sans favoriser les grands groupes. Nous avons programmé dans le mandat le passage en 100 % bio et cela rend la commune attractive pour les jeunes maraîchers. Nous finançons en ce moment un programme « Les communes sèment en bio » pour l’installation d’agriculteurs. La plupart sont des anciens urbains en reconversion.

Même question pour le droit de l’urbanisme ?

Le droit de l’urbanisme est un levier essentiel de la transition énergétique, à condition que les élus comprennent les enjeux et se muent en véritables ambassadeurs des changements subis par les populations. Trop d’élus s’arcboutent encore sur leur pouvoir et font de la résistance à la supracommunalité des documents de planification (SCOT, PLUi). Mais avec développement des plans climat (PCAET) et des plateformes territoriales de rénovation énergétique (PTRE), pour favoriser massivement les investissements dans les logements anciens, les territoires qui ne sont pas dans le mouvement risquent fort de se faire distancer, ou d’essuyer les critiques de leurs habitants.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant, Professeur à l’Université du Maine, Membre de l’IUF

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