Personnes âgées et médicaments, un dosage complexe

Publié le 2 février 2015 à 0h00 - par

Seniors et médicaments, un cocktail encore imparfaitement dosé : régulièrement, la surconsommation de médicaments chez les personnes âgées est dénoncée. Mais les médecins, invités à alléger les ordonnances, soulignent toute la difficulté de l’exercice.

médicaments

Une petite boîte bleue compartimentée, où elle dépose ses précieux remèdes. Huit médicaments le matin, deux le midi, trois le soir : Françoise, 72 ans, compte, trie, vérifie. Un rituel pour nombre de seniors atteints, comme elle, de multiples pathologies. « Je prends des médicaments pour le cœur, pour la tension, pour les reins, contre les douleurs, pour ma bronchite aussi », énumère Françoise. « Ça me fait du bien », assure-t-elle, s’étonnant qu’on lui demande si elle n’a pas peur de consommer trop de médicaments. « J’en ai besoin. »

Définie par l’Organisation mondiale de la Santé comme « l’administration de nombreux médicaments de façon simultanée ou par l’administration d’un nombre excessif de médicaments », la polymédication peut pourtant poser problème.

En France, les plus de 60 ans consomment à eux seuls 40 % des médicaments, selon un rapport remis au gouvernement en 2013. Or, ils sont plus exposés à leurs effets indésirables, du fait du vieillissement de leur organisme, et risquent des interactions médicamenteuses, responsables de milliers de décès chaque année.

Les médicaments sont liés à plus de 10 % des hospitalisations chez les plus de 65 ans, près de 20 % chez les octogénaires, avançait le ministère fin 2013, annonçant un volet sur ce sujet dans son projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement, en cours d’examen au Parlement.

Mercredi 31 janvier, l’association UFC-Que Choisir a publié une enquête, analysant près de 350 ordonnances délivrées à des personnes de plus de 75 ans et contenant plus de cinq lignes.

Constatant une moyenne de près de 9 médicaments par ordonnance, l’enquête a identifié 4 ordonnances sur 10 « potentiellement dangereuses », contenant des substances déconseillées aux seniors (somnifères, tranquillisants et antidépresseurs en tête).

Ces résultats n’étonnent plus le professeur Olivier Henry, chef du service à l’hôpital Émile-Roux, de Limeil-Brévannes (Val-de-Marne), spécialisé en gériatrie. Il « observe tous les jours » la surprescription, à l’arrivée de patients qui prennent « des médicaments dont on ne sait pas pourquoi ils sont là » raconte-t-il. « Notre travail c’est de nettoyer tout ça ».
 

« Un problème sociétal »

Pas question pour lui d’incriminer ses confrères généralistes, « surchargés », subissant la pression du patient ou de ses proches. Leur tâche s’avère d’autant plus compliquée que les prescriptions « s’empilent » au fil des spécialistes intervenant dans le parcours.

Or, « il est primordial de connaître l’origine d’une prescription », explique le gérontologue, regrettant l’échec du dossier médical personnel, sorte de carnet de santé numérique qui, après dix ans de gabegie, doit être relancé dans le cadre de la loi santé. « Il y a une véritable incurie des pouvoirs publics sur ces sujets-là », dénonce-t-il.

De son côté, le président du syndicat des jeunes médecins généralistes, Théo Combes, invite à « la nuance ».

Selon lui, la « déprescription » n’est pas forcément une bonne solution, et encore moins son inscription dans les critères de rémunération de la performance des médecins, que réclame l’UFC-Que Choisir.

« Des confrères suivent cette mode de la déprescription et tirent dans le tas, enlevant beaucoup de médicaments. Mais ça ne marche pas toujours. Il y a beaucoup de médicaments parce qu’il y a beaucoup de pathologies », fait-il valoir, jugeant que « mettre la déprescription dans des objectifs comptables, c’est pousser les médecins à faire du quantitatif sans tenir compte de la personne ».

Pour Pascal Champvert, le président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), « jeter la pierre au médecin serait un peu court ». « Nous sommes devant un problème sociétal », analyse-t-il, dénonçant un manque d’accompagnement des personnes âgées, sujettes à la dépression.

« En établissement, on n’a pas suffisamment de personnels pour répondre aux demandes des personnes âgées ou pour mettre en place des thérapies non médicamenteuses, alors on a tendance à leur donner des anxiolitiques, des antidépresseurs », déplore-t-il.

Selon M. Champvert, « quand on ne sait pas répondre à un problème social, on le médicalise ».

 

Copyright © AFP : « Tous droits de reproduction et de représentation réservés ». © Agence France-Presse 2015


On vous accompagne

Retrouvez les dernières fiches sur la thématique « Action sociale »

Voir toutes les ressources numériques Action sociale