Les CCAS, remparts contre les crises

Publié le 2 avril 2024 à 9h00 - par

Le service public reste plébiscité par les Français pour mettre en œuvre l’action sociale. Telle est l’une des leçons du baromètre de l’Unccas, présenté lors de son dernier congrès qui s’est tenu fin mars au Havre. Cette année, l’association a centré ses débats sur le rôle clé des CCAS dans la gestion des crises, en matière d’urgence mais aussi d’intervention sur le temps long, en insistant sur la nécessité de les associer davantage.

Les CCAS, remparts contre les crises
Photo © Max Pillet / Luc Carvounas, maire d'Alfortville, Président national de l’Unccas / Congrès de l’Unccas "Les maires et leurs CCAS face aux crises", en particulier celles consécutives aux dérèglements climatiques.

Le dernier congrès de l’Union nationale des CCAS (Unccas), organisé du 27 au 29 mars 2024 au Havre, a été l’occasion de dévoiler les résultats de son second baromètre, intitulé « Le regard des Français sur l’action sociale » et réalisé en partenariat avec l’Ifop(1). L’action sociale apparaît majoritairement associée à la solidarité et à l’aide aux personnes vulnérables. 66 % des Français estiment que son objectif principal est d’accompagner les plus fragiles en cas de crise, tandis que 54 % jugent qu’elle doit réduire les inégalités.

Priorité à la santé, l’éducation et l’alimentation

Les publics prioritaires sont les personnes vulnérables (43 %), suivies loin derrière par les sans-abri (28 %), les personnes âgées (28 %) et les personnes isolées (22 %). Les domaines prioritaires de l’action sociale (au sens large) demeurent la santé (88 %), l’éducation (81 %) et l’alimentation (74 %).
Bien que la satisfaction à l’égard de l’action sociale ait légèrement augmenté depuis 2023 (+ 3 points), une majorité de 59 % des Français restent insatisfaits. Pour mettre en œuvre l’action sociale, comme en 2023, le service public domine nettement face au secteur privé, notamment sur les domaines sociaux jugés prioritaires. Ainsi, 84 % (78 % en 2023) considèrent que le secteur public est mieux placé que le privé pour assurer la mise en œuvre de l’action sociale concernant la santé. Ils sont 80 % à le penser pour l’éducation, 69 % pour la dépendance, 68 % pour l’emploi et la formation (+ 8 points en un an) ou 61 % pour l’alimentation (+ 7 points).
Sans surprise, les élus de proximité, et en premier lieu les maires, inspirent davantage confiance que les représentants politiques nationaux. Ainsi, 64 %  Français leur font confiance, contre seulement 43 % pour les députés, 36 % pour les sénateurs et 34 % pour le président de la République.

Impact des baisses budgétaires de l’État

En février dernier, à l’initiative de l’Unccas, différentes associations d’élus (2) et des grandes fédérations de solidarité(3) ont envoyé un courrier commun à Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, pour interpeller le gouvernement sur la forte progression de la pauvreté et de l’exclusion, en proposant « une conférence de consensus pour impliquer tous les acteurs et construire une politique au long terme ». Luc Carvounas, le président de l’Unccas, espère un rendez-vous prochainement entre la ministre et les différents signataires.
Invité au Havre, l’ancien président de la République François Hollande a plaidé pour « repenser l’équité de notre système social, mieux prendre en considération les situations personnelles et accompagner dans un parcours de formation et de qualification les personnes en situation de décrochage » en insistant sur « l’attention particulière à porter aux familles monoparentales ». Face à des besoins sociaux croissants, il préconise « d’aller plus loin en matière de déconcentration et de décentralisation des compétences et de garantir une plus forte péréquation entre collectivités ».
Le président de l’Unccas s’alarme de l’impact de la réduction des déficits publics sur les politiques sociales. « Les 10 milliards d’euros de baisse dans le budget de l’État, la perspective d’un projet de loi de finances rectificatif ou l’évocation d’une TVA sociale nous inquiètent particulièrement », lance-t-il. Et l’annonce d’une nouvelle baisse de 20 milliards dans le budget 2025 n’est pas là pour le rassurer. « Nous pouvons déjà craindre que la grande loi de programmation pour préparer la société du bien-vieillir ne soit définitivement enterrée », regrette-t-il en soulignant que « 85 % des Ehpad publics sont en déficit, conduisant à une fusion de lits alors que le besoin à 2050 serait de créer 300 000 places ».

Création d’une Agence des Outre-mer ?

Luc Carvounas tire aussi la sonnette d’alarme sur la crise du logement, en citant le baromètre selon lequel 72 % des Français jugent le sujet comme un domaine d’action sociale prioritaire (+ 8 points depuis 2023) qui devance désormais l’emploi. À l’inverse, l’énergie, très prioritaire en 2023 – signe de l’impact de la guerre en Ukraine et de l’inflation sur les prix du gaz et de l’électricité – est redescendue à 54  % un an plus tard. L’Unccas prévoit de présenter prochainement une série de propositions (logement d’urgence, logement social, adaptation de l’habitat à la perte d’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap) et organisera, le 3 octobre prochain, des Assises du logement à Montpellier.
Parmi les (rares) bonnes nouvelles, le président de l’Unccas s’est réjoui du dépôt d’une proposition de loi par Patrick Kanner, sénateur (PS) du Nord et président honoraire de l’association, visant à créer une « Agence d’évaluation des politiques publiques dans les Outre-mer ». Elle reprend la première proposition du Manifeste pour les Outre-mer publié par l’Unccas en novembre 2023. Si elle voit le jour, cette agence serait conçue comme un outil d’analyse ayant pour mission « d’évaluer en toute indépendance la mise en œuvre des politiques publiques conduites dans les Outre-mer, ainsi que leurs effets sur le développement de ces territoires. Elle formule toute recommandation qui lui paraît utile au regard des résultats de ces évaluations ». Son conseil d’administration comprendrait deux députés, deux sénateurs et des représentant de l’État, des collectivités ultramarines et des organisations patronales et syndicales.

Gestion des crises

Dérèglement climatique, le premier des risques

Spécificité et originalité de ce congrès, il avait pour thème « Les maires et leurs CCAS face aux crises », en particulier celles consécutives aux dérèglements climatiques. Luc Carvounas explique ce choix car « les CCAS constituent un modèle de résilience et gèrent non seulement le dernier km mais aussi le dernier mètre de l’accès aux droits ». « Nous avons l’habitude de dire que nous sommes en crise. Mais nous y sommes vraiment ! », a estimé pour sa part Édouard Philippe, maire du Havre et ancien Premier ministre, en affirmant à propos du rôle des CCAS : « on ne renonce pas au bien qu’on peut faire ».
Selon le baromètre de l’Unccas, 51 % des Français considèrent que les générations à venir seront le plus exposées au dérèglement climatique, 46 % à la pauvreté et 39 % à la délinquance. En cas de crise majeure (incendies, inondations…), 63 % jugent que l’État ou les collectivités sont les mieux placés pour les accompagner, contre seulement 20 % pour les assurances privées.
Constat connu : les catastrophes naturelles dues aux dérèglements climatiques ne cessent de croître tant en nombre qu’en intensité. « Les personnes les plus vulnérables sont les premières touchées et payent double en se précarisant encore plus », estime Juliette Meadel, magistrate à la Cour des comptes et ancienne Secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes, en 2016 et 2017. « Après une crise, elles n’ont plus les moyens d’avoir d’aller voir un médecin, de louer un logement ou une voiture, de faire garder ses enfants », souligne-t-elle en évoquant le rôle clé des CCAS mais aussi l’importance de bien préparer le suivi des personnes et d’anticiper au maximum. Elle regrette que les leçons des crises précédentes ne soient pas assez tirées avec des villes peu outillées et une volonté politique des élus pas toujours au rendez-vous.

Réserve communale de sécurité civile

Parmi les retours d’expériences présentés au Havre, celui de La Teste de Buch (Gironde) est assez emblématique de l’intensité d’une crise climatique avec, en juillet 2022, des mégas-feux ayant ravagé sur la commune plus de 6 000 hectares. Dès le départ, tous les services de la ville ont été mobilisés et le CCAS plus particulièrement en direction des personnes les plus vulnérables. « Ouvert durant onze jours, le centre des expositions a accueilli 6 000 personnes, explique Laurent Cacciatore, le directeur du CCAS. Nous y avons aussi installé un hôpital de campagne pour prendre en charge les personnes âgées les plus dépendantes ». Très souvent cité tout au long des débats, le plan de communal de sauvegarde (PCS) s’est révélé très utile à La Teste de Buch.
« À la suite d’un retour d’expérience, nous l’avons amélioré avec un CCAS beaucoup plus associé et mobilisé en cas de crise. C’est une reconnaissance du rôle et des compétences de ses agents », souligne Laurent Cacciatore. Le CCAS participe également à la création d’une réserve communale de sécurité civile, avec déjà 40 volontaires validés. À noter que ces réserves, pouvant être très utiles en cas de crise, restent à ce jour peu mises en place par les villes même si aucune statistique n’existe sur le sujet.

L’expérience ultra-marine

Plusieurs témoignages ultra-marins furent éclairants en montrant une conscience du risque et une organisation adaptée beaucoup plus fortes que dans l’hexagone compte tenu de l’ancienneté et de la récurrence des risques majeurs naturels (cyclones, séismes, inondations…). Judith Laborieux, adjointe au maire du Lamentin (Martinique) en charge de la sécurité, décrit un dispositif qui s’appuie sur un PCS « central » et un PCS dans chacun des 14 quartiers. « Depuis le départ, le CCAS y est associé et un de ses agents est affecté à chaque PCS de quartier, explique-t-elle. De plus, des journées d’exercices sont organisées plusieurs fois par an dans chaque quartier avec aussi l’objectif de former le maximum d’habitants à la culture du risque et d’actualiser leurs connaissances ».
« Tout le monde doit absolument travailler ensemble », insiste Hripsimé Torossian, experte en matière de réduction des risques et ancienne responsable du master « Prévention et gestion territoriale des risques » à l’Institut national du service public (INSP). Et d’ajouter : « Les acteurs du social devraient toujours être associés. Les CCAS ont une approche très différente des professionnels du risque car la prévention et la gestion de crise font partie de leurs missions. Il faut tisser plus de lien entre le social et la sécurité civile ».

La nécessité de plus associer les CCAS

Élus et cadres territoriaux du social se sont rejoints pour mettre en avant le rôle particulier des CCAS pour gérer l’urgence avec les autres acteurs mais aussi pour assurer une présence sur le temps long, « une fois que les caméras sont parties ». Il s’agit d’accompagner les personnes et les familles, notamment sur le relogement, les besoins de la vie quotidienne sans oublier le soutien psychologique.
Malgré les exemples positifs exposés au Havre, les CCAS restent encore trop peu associés à l’élaboration et l’actualisation des PCS sans parler des exercices (indispensables pour tester et améliorer leur opérationnalité) où ils ne sont presque jamais présents. Le congrès de l’Unccas aura eu le mérite de mettre le sujet sur la table, avec la présence de différents acteurs (CCAS, départements, sécurité civile, services de l’État, experts, universitaires…) partageant le même constat. Il s’agit à présent de s’organiser différemment, plus en transversalité entre services des villes et avec les partenaires extérieurs, pour mieux anticiper et s’organiser face aux crises dont l’intensité ne cessera de croître. Il n’y a plus une minute à perdre.

Philippe Pottiée-Sperry


1. Enquête menée en ligne auprès d’un échantillon de 1 205 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, du 31 janvier au 1er février 2024.

2. Association des maires de France (AMF), Association des maires ruraux de France (AMRF), Association des petites villes de France (APVF), France Urbaine, Intercommunalités de France, Régions de France, Ville & Banlieue, Villes de France.

3. Fédération des acteurs de la solidarité, collectif Alerte, Secours catholique.


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