« Financiarisation de l’offre de soins : une OPA sur la santé ? ». Le titre du rapport d’information adopté à l’unanimité par la Commission des affaires sociales du Sénat et rendu public le 25 septembre 2024, ne peut pas être plus explicite sur l’inquiétude des sénateurs. La financiarisation n’est pas un sujet nouveau. Déjà, dans son rapport Charges et produits pour 2024, l’Assurance maladie pointait du doigt ce problème et ses conséquences sur l’offre de soins et les professionnels de santé. Mais il préoccupe de plus en plus les acteurs de la santé et du monde politique.
4 grands groupes d’hospitalisation privée
Pour les sénateurs, la financiarisation est « un processus par lequel des acteurs privés capables d’investir de manière significative, qui ne sont pas directement professionnels de santé, entrent dans le secteur des soins avec comme finalité première de rémunérer l’investissement consenti ». Il ne s’agit donc pas de marchandisation de la santé ni de privatisation du secteur de la santé puisque la financiarisation concerne déjà le secteur privé de l’offre de soins et les professionnels de santé libéraux. D’ailleurs, la biologie médicale est la première activité citée en tant qu’exemple de financiarisation de la santé. De fait, en 2021, six grands groupes de laboratoires concentraient 62 % des sites de biologie médicale sur le territoire national. Une évolution rendue possible par la législation permettant à des biologistes n’exerçant pas directement au sein d’une société de détenir plus de la moitié de son capital.
Pourtant, c’est le secteur de l’hospitalisation privée à but lucratif qui a été l’un des premiers concernés par la financiarisation. Elle commence en effet dès les années 1990 et se développe au cours des années 2000. « Elle se manifeste par l’intervention de fonds d’investissement dans le capital des groupes et par la réalisation d’opérations de fusions-acquisitions servant des stratégies de croissance externe. Ce nouveau modèle de financement a progressivement imprégné le secteur en parallèle du processus de concentration des cliniques au sein de grands groupes privés, modifiant profondément le paysage de l’offre sanitaire privée », observe le rapport sénatorial. Aujourd’hui, quatre groupes (Ramsay Santé, Elsan, Vivalto et Amalviva) détiennent 40 % du secteur français. Le rapport souligne cependant que les modèles économiques et les structures actionnariales de ces groupes diffèrent. Ainsi, Ramsay Santé dépend de deux grands investisseurs alors que Vivalto a élargi son actionnariat aux médecins et salariés. De plus, selon les rapporteurs, la financiarisation du secteur de l’hospitalisation privée serait loin d’être achevée. « Les mouvements observés ces dernières années témoignent d’une accélération des opérations de rachat et de fusions-acquisitions », est-il noté dans le rapport.
Mais quoiqu’il en soit, « la réussite de ces groupes repose à la fois sur leur capacité à réaliser des investissements massifs qui autorisent une croissance externe très dynamique, et sur un processus d’intégration à des entités plus larges, qui permet de dégager des économies d’échelles en mutualisant les coûts – mise en commun des services supports, massification des achats, etc. ». Pour les sénateurs, « ces stratégies conduisent, in fine, à restructurer l’offre de soins sur un territoire pour créer des filières de soins complètes en favorisant les regroupements ».
18 propositions
La biologie médicale et les cliniques ne sont pas les seules cibles de la financiarisation. L’imagerie, les centres dentaires et ophtalmologiques, les pharmacies d’officine sont aussi visées. Et désormais les centres de soins primaires. « Malgré un modèle économique fragile, des acteurs spécialisés émergent sur ce segment, tel Ipso Santé, tandis que les grands groupes d’hospitalisation (comme Ramsay Santé) y voient un moyen de recruter de nouvelles files actives de patients depuis la médecine de ville », remarquent les sénateurs. Une perspective que craignent en particulier les médecins libéraux, et dont il est difficile de mesurer les effets sur le système de santé et l’indépendance des professionnels de santé. Une certitude néanmoins : la financiarisation des soins doit être mieux maîtrisée. À cette fin, les sénateurs émettent 18 propositions afin de répondre à trois grands objectifs : adapter la régulation économique de l’offre de soins pour maintenir un système équitable ; maîtriser les conséquences de la financiarisation sur l’organisation territoriale de l’offre de soins ; garantir l’indépendance des professionnels de santé et protéger leurs conditions d’exercice. Ainsi, ils proposent de favoriser la constitution d’apports bancaires et l’accès à des modes de financement respectueux de l’indépendance professionnelle mais également de renforcer la rémunération sur des critères de qualité et de pertinence dans les tarifs hospitaliers et dans les conventions professionnelles avec les libéraux de santé. Ils préconisent aussi de renforcer le dialogue entre les agences régionales de santé (ARS) et les élus locaux concernés, notamment les maires, et de lutter contre l’implantation d’une offre non pertinente au regard des besoins de santé. Ils recommandent d’ailleurs de conditionner l’ouverture de centres de soins primaires à l’obtention d’un agrément. Quant à l’indépendance des professionnels de santé, il s’agirait notamment de mieux encadrer la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des sociétés d’exercice libéral (SEL) et de former les étudiants et les jeunes professionnels de santé à la gestion des structures de soins.
Magali Clausener