Ultra-violence, rajeunissement des trafiquants, jeunes prêts à tuer recrutés par les réseaux sociaux, multiplication des points de deal, apparition de drogues de synthèse qui altèrent santé mentale et comportement, agressions physiques et verbales des maires… Ce tableau désormais touche également les villages, où se conjuguent deal sur la voie publique, production de cannabis et stockage. En zone gendarmerie, il serait même plus facile de trouver un dealer qu’un médecin… Cette situation, qui crée chez les élus un sentiment d’impuissance, a conduit l’Association des Maires de France (AMF) à organiser pour la première fois un forum sur le trafic de stupéfiants, le 20 novembre 2024 lors de son 106e congrès. Les intervenants ont été unanimes : lutter contre le trafic de drogue nécessite une réponse partenariale réunissant police, gendarmerie, justice, élus…
Dans cette démarche, le rôle des maires est essentiel, car ils connaissent les quartiers, les familles et sont également capables d’identifier les commerces sans clients qui servent à blanchir l’argent du narcotrafic : pizzerias, kebabs, barbiers… Les élus sont « les meilleurs capteurs de l’information » et ils peuvent intervenir en prévention et en médiation, selon le sénateur de Saône-et-Loire Jérôme Durain, auteur avec le sénateur du Rhône Étienne Blanc, d’un rapport et d’une proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Ils plaident notamment pour une réponse coordonnée et pour la création d’une « injonction pour richesse inexpliquée » qui viserait les délinquants sans source de revenus à la hauteur de leurs dépenses.
Jean-Paul Vermot, maire de Morlaix (15 370 habitants), a déploré la violence accrue que subit sa commune et les problèmes de sécurité qui en résultent. Sa ville rurale du Finistère a été le théâtre de deux meurtres dus au trafic de drogue. Il a insisté sur l’importance d’intervenir au plus vite pour identifier les jeunes en décrochage scolaire et d’assurer une rapidité de la chaîne pénale. « L’État doit réaffirmer sa mission régalienne sur le trafic de drogue », a également réclamé Jean-Paul Vermot, précisant qu’on lui demande systématiquement « ce qu’il fait » en tant que maire pour lutter contre le phénomène. Or, « il y a une compétence extrêmement forte de la police » qui est spécialement formée alors que le maire n’a pas la formation adéquate malgré sa casquette d’officier de police judiciaire (OPJ). En outre, la seule réponse police-justice ne suffit pas, il faut en parallèle des actions sur la santé publique et la jeunesse. Le consommateur est-il un malade ou un délinquant, ou sans doute les deux ? La consommation est un problème de santé publique sans lequel on ne résoudra pas la question de l’ordre public.
Pour le colonel Quentin Petit, ex-commandant de groupement de gendarmerie du Val-d’Oise, il faut lutter sur trois fronts. Prévenir, en formant en milieu scolaire pour empêcher les consommateurs d’entrer dans la drogue très jeunes. Renseigner : les élus peuvent détecter les signaux faibles et prévenir le plus vite possible la police ou la gendarmerie avant qu’une emprise ne s’installe dans le quartier. Réprimer, et agir non seulement « sur le stock, mais également sur les flux », en multipliant les contrôles de zone offensifs sur les routes « car la drogue circule ». En identifiant le chauffeur, on remonte ainsi aux trafiquants. L’opération Blue Storm permet de travailler tous azimuts sur un secteur pendant plusieurs semaines pour éviter que les quartiers ne soient sous l’emprise des stupéfiants : renseignements sur les stupéfiants, le trafic, les commerces, les points de vente à la sauvette, expulsion de familles de délinquants par les bailleurs sociaux en lien avec le parquet… Le maire d’Égly (Essonne, 3 800 habitants) a témoigné de l’efficacité de cette méthode, qui a permis d’obtenir des résultats en bouclant le quartier prioritaire de la ville (QPV) de cette commune par ailleurs riche : contrôle des accès, des identités, investissement des cages d’escalier, des caves…
De l’avis du maire de Cergy (Val-d’Oise, 68 778 habitants) et co-président de la commission Prévention de la délinquance et Sécurité de l’AMF, Jean-Paul Jeandon, si le sujet est avant tout de la responsabilité de l’État, celui-ci ne peut pas tout faire, et il faut une coordination locale/nationale. En outre, la présence de policiers nationaux sur la voie publique est une demande récurrente des maires, a rappelé Jean-Paul Jeandon.
Il faudrait calquer la lutte contre le trafic de drogue sur la lutte contre le terrorisme, la structurer au niveau local et collecter les renseignements lors des échanges quotidiens de la police nationale avec les élus. Un groupe d’évaluation communale pourrait être créé sous un mode collaboratif entre le maire et l’État, pour capter les informations.
Quant à Clotilde Champeyrache, chercheur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), spécialiste des mafias italiennes, elle prévient : il ne faut pas raisonner en termes d’activités criminelles, mais en organisations criminelles. Et il faut surveiller le BTP, secteur cible qui permet de capter de l’argent public.
Martine Courgnaud – Del Ry
Le chiffre d’affaires lié au narcotrafic, c’est entre 4 et 6 milliards d’euros (sur lesquels les avoirs criminels saisis s’élèvent à 100 millions d’euros à peine…), alors que le budget total du ministère de la Justice est de 7,5 milliards d’euros. Le secteur « emploie » 240 000 personnes. |