Dominique Versini : « La suppression du Défenseur des enfants marque un recul dans le respect des droits fondamentaux des enfants »

Publié le 6 octobre 2009 à 0h00, mis à jour le 6 octobre 2009 à 0h00 - par

La ministre de la Justice et des Libertés, Michèle Alliot-Marie, a présenté, au Conseil des ministres du 9 septembre, un projet de loi instituant un Défenseur des droits. Les attributions de cette nouvelle instance doivent intégrer celles aujourd’hui exercées par le Médiateur de la République, la Commission nationale de déontologie de la sécurité… et le Défenseur des enfants.

Dominique Versini : « La suppression du Défenseur des enfants marque un recul dans le respect des droits fondamentaux des enfants »

Pour tout comprendre

Pour l’examen des réclamations en matière de protection de l’enfance, le Défenseur des droits serait assisté d’un collège composé de trois personnalités qualifiées. Cette annonce gouvernementale, faite sans aucune concertation préalable, signifie la suppression programmée du Défenseur des enfants ! Cette perspective a, aussitôt, déclenché un tollé au sein du monde associatif. L’Unasea, qui « exige le maintien du Défenseur des enfants, en tant qu’institution spécifique, indépendante, visible, accessible, réactive, utile et pédagogique pour tous », résume le sentiment général partagé par les associations. Elles demandent donc au gouvernement de renoncer à son projet. Voici la réaction de l’actuelle Défenseure des enfants, Dominique Versini.

Lettre de l’Action sociale : Voici tout juste un mois, le gouvernement a annoncé, de manière brutale, la suppression du Défenseur des enfants. Comment réagissez-vous ?

Dominique Versini : Alors que, partout, en France et dans le monde, on se prépare à célébrer le 20e anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, j’ai découvert avec stupeur, à l’issue du Conseil des ministres du 9 septembre, le projet gouvernemental qui prévoit de supprimer l’institution du Défenseur des enfants, créée par la loi n° 2000-196 du 6 mars 2000. À aucun moment, je n’ai été consultée ou auditionnée. La stupéfaction passée, le temps est venu de la réflexion et du travail technique. En ce sens, j’attends beaucoup des débats qui auront lieu lors de l’examen du projet de loi par le Parlement.

Au-delà, la décision du gouvernement est une décision précipitée, prise sans avoir mené une évaluation du travail réalisé par l’institution et sans en mesurer les conséquences. Je considère que la suppression du Défenseur des enfants marque un recul dans le respect des droits fondamentaux des enfants. En outre, elle va à l’encontre des préconisations du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, qui, dans son rapport du 22 juin 2009, a demandé au gouvernement de « continuer à renforcer le rôle du Défenseur des enfants ». Le gouvernement va à rebours de l’histoire.

LAS : En quoi les droits des enfants seraient-ils moins bien défendus par un Défenseur des droits ?

DV : Les missions du Défenseur des enfants ne seront que partiellement reprises par le futur Défenseur des droits. En fait, elles seront diluées au sein de cette nouvelle entité. J’estime donc que la nouvelle organisation imaginée par le gouvernement va se traduire par un affaiblissement de la mission de défense et de promotion des droits de l’enfant.

Le Défenseur des droits sera plus difficile à saisir. Les enfants, mais également leurs parents, risquent d’hésiter à s’adresser à une institution qui n’aura pas une compétence visible et spécialisée pour les enfants. Or, la visibilité pour les enfants est une demande formulée par les Nations Unies. Par ailleurs, au sein du réseau européen des 35 Défenseurs des enfants, que je préside depuis fin septembre, on voit bien que le modèle européen tend vers la création d’institutions spécialisées pour les enfants.

Par  ailleurs, le projet de loi marque un recul par rapport à la loi du 6 mars 2000, qui a confié au Défenseur des enfants la mission de défendre tous les droits fondamentaux des enfants consacrés par la loi ou par les engagements internationaux de la France, notamment la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide), à laquelle le texte ne fait pas référence. Cela ne pourra qu’entraîner une réduction des interventions que le Défenseur des enfants est amené à faire, régulièrement, auprès des pouvoirs publics, en faveur d’enfants vivant des situations qui ne sont pas formellement interdites dans le droit français mais néanmoins contraires à leur intérêt supérieur, au sens de la Convention internationale des droits de l’enfant. Je pense à la présence d’enfants dans les centres de rétention administrative, au traitement des mineurs étrangers isolés, l’accès… Au final, c’est l’autorité morale et la force d’interpellation de la Défenseure des enfants qui s’en trouveront réduites.

Dernier élément : le projet du gouvernement abandonne toute référence à la mission de promotion des droits de l’enfant, qui est pourtant affirmée dans l’article 5 de la loi du 6 mars 2000. Cette mission est très importante. Doit-elle disparaître ?

LAS : Quel est le bilan de votre institution depuis sa création en 2000 ?

DV : Depuis sa création, l’institution a traité des réclamations concernant près de 20 000 enfants. Mais, je tiens à souligner que l’apport du Défenseur des enfants dépasse largement le traitement des réclamations. Il s’inscrit dans une vaste réflexion sur les grandes questions concernant les enfants.

Ainsi, au cours des trois dernières années, nous avons formulé plusieurs propositions de réformes législatives sur des questions de société pour faire progresser les droits des enfants. Certaines ont été reprises par le gouvernement. Je pense au statut des tiers beaux-parents ou à la situation des enfants dans les séparations parentales conflictuelles. L’institution a, également, fait des propositions constructives d’amélioration des politiques publiques. Par exemple, le rapport sur les adolescents en souffrance, dont la ministre de la Santé s’est saisie pour créer des Maisons des adolescents et des équipes mobiles de pédopsychiatrie. Nous avons, enfin, émis des recommandations relatives aux mineurs étrangers isolés, aux tests ADN et à la justice des mineurs. Des avis parfois divergents de ceux du gouvernement. Mais, je ne veux pas croire que ce soit cette fonction de poil à gratter de l’institution qui est aujourd’hui sanctionnée par le gouvernement !

LAS : La mobilisation unanime du secteur associatif pour réclamer le maintien du Défenseur des enfants constitue-t-elle un réconfort et un soutien ?

DV : Bien sûr ! Je remercie le secteur pour sa forte mobilisation. Aujourd’hui, plus de 34 000 personnes ont signé l’appel à soutien pour un Défenseur des enfants indépendant !

En revanche, je n’ai pas de réponse à mes demandes de rendez-vous adressées au président de la République et au Premier ministre. Une entrevue est, toutefois, programmée avec la ministre de la Justice. La situation de malaise qui prévaut aujourd’hui doit être réglée d’ici au 20 novembre, jour du 20e anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Les pouvoirs publics font preuve d’une totale méconnaissance de la spécificité du Défenseur des enfants. Il n’est pas possible de rayer d’un trait de plume cette institution sans avoir, au préalable, réalisé une véritable étude d’impact et d’évaluation. Si l’on me démontre que le futur Défenseur des droits sera plus efficace que l’actuel Défenseur des enfants, alors je m’inclinerai. En attendant, je poursuis le combat. Je ne démissionnerai pas ! J’irai jusqu’au bout du débat parlementaire, en militant pour le maintien d’une institution visible pour les enfants. C’est la seule solution envisageable.

Dominique Versini, Défenseure des enfants

Dominique Versini a été nommée Défenseure des enfants par décret du président de la République le 29 juin 2006, pour une durée de 6 ans (2006-2012). Conseiller d’État, elle a été secrétaire d’État chargée de la lutte contre la précarité et l’exclusion (2002-2004). Dominique Versini a, par ailleurs, participé, en 1993, à la création du Samu Social de Paris. L’institution du Défenseur des enfants comprend 28 permanents, 60 correspondants territoriaux et 34 jeunes ambassadeurs civils volontaires.


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