Mineurs étrangers isolés : inquiétudes autour d’un projet de fichier biométrique

Publié le 22 janvier 2019 à 6h34 - par

Ils sont jeunes, sans famille et leur nombre croissant pèse sur les finances des départements : les migrants mineurs isolés sont au cœur d’un projet de fichier, déjà très critiqué pour ses passerelles possibles avec la lutte contre l’immigration irrégulière.

Mineurs étrangers isolés : inquiétudes autour d'un projet de fichier biométrique

La récente loi asile-immigration a, dans son article 51 passé un peu inaperçu, prévu la mise en place d’un fichier biométrique compilant « les empreintes digitales ainsi qu’une photographie » de ces « mineurs non accompagnés » (MNA), dont le nombre a triplé en deux ans pour s’établir à 40 000 pris en charge fin 2018, selon l’Assemblée des départements de France (ADF).

Compétents au titre de la protection de l’enfance, les départements sont en première ligne, souligne l’ADF qui réclame depuis des mois un investissement croissant de l’État : centres inadaptés et saturés, coût d’« environ 2 milliards d’euros » l’an dernier, et surtout un phénomène de « nomadisme » lorsqu’un jeune évalué majeur retente sa chance dans un département voisin.

Le décret créant ce fichier « Appui à l’Évaluation de la Minorité » est attendu très prochainement, avant le 1er mars selon la loi, mais ses grandes lignes ont déjà fuité à l’automne. Il s’agit de « modifier la procédure d’évaluation » pour « renforcer le concours de l’État » qui centralisera les évaluations menées dans divers départements.

Concrètement, un département pourra envoyer en préfecture le jeune demandant une évaluation, afin que son identité soit prise et comparée avec les données du fichier. S’il sollicite l’aide de l’État, le département devra en échange lui transmettre le résultat de son évaluation pour mettre à jour le fichier.

Dès sa divulgation, le projet a suscité une levée de boucliers contre un « fichage des enfants » inédit et piloté par le ministère de l’Intérieur. « Le décret va bien plus loin que la loi », soupire Violaine Husson de la Cimade.

Le Défenseur des droits Jacques Toubon et le Conseil national des Barreaux ont demandé son abandon, le Conseil national de protection de l’enfance (CNPE) a rendu un avis défavorable, et plusieurs ONG ont dénoncé un fichier qui « porte gravement atteinte à la vie privée de ces mineurs » sans « la moindre amélioration de leurs conditions d’accueil et de protection ».

Généralisation en avril

Ces jeunes sont surtout de grands adolescents, venus d’Afrique subsaharienne, souvent avec l’aide de filières, et vulnérables de par leur isolement. Tous ne sont pas mineurs (l’ADF évoque « plus de 70 % évalués majeurs dans certains départements ») mais leur âge est difficile à déterminer, alors même que les erreurs d’évaluation sont dramatiques de conséquences.

Or ils risquent avec ce texte d’être vus avant tout comme des « étrangers fraudeurs », déplore le Conseil national des Barreaux, avec un risque d’expulsion à la clé puisque, selon le décret, une personne évaluée majeure « fera l’objet d’un examen de sa situation et, le cas échéant, d’une mesure d’éloignement ».

Les données concernant les jeunes évalués majeurs seront en effet versées au fichier recensant les ressortissants étrangers (Agdref).

Les associations déplorent aussi la « source d’erreur » liée à la consultation du fichier Visabio où sont compilées les demandeurs de visas : beaucoup d’adolescents ont obtenu ces visas en se faisant passer pour des adultes…

Quelques départements comptent ne pas appliquer ce décret, comme Paris et la Seine-Saint-Denis qui préparent un courrier commun au Premier ministre, signé d’Anne Hidalgo et de Stéphane Troussel.

« Orienter ces jeunes en préfecture n’est pas notre rôle, il s’agit de gestion des flux migratoires, pas de protection de l’enfance », a déclaré à l’AFP Dominique Versini, adjointe à la Solidarité de la ville de Paris, qui appelle l’État à assurer « l’évaluation et l’orientation de ces mineurs ». Paris a reçu 8 000 demandes d’évaluation l’an dernier.

Quatre préfectures-pilotes (Essonne, Isère, Haute-Garonne et Bas-Rhin) devraient expérimenter les nouvelles dispositions « dès la parution du décret », a-t-on appris auprès de la préfecture de l’Essonne, avant « une généralisation à compter d’avril 2019 ». L’État a affecté 50 emplois à cette mission sur l’ensemble du territoire.

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