Après une première annonce américaine de droits de douane additionnels de 25 %, puis de 20 % le 2 avril dernier, sur tous les produits européens et après un rétablissement de droits de douane additionnels de 25 % sur l’acier et l’aluminium le 10 février 2025 et sur l’automobile le 26 mars 2025, Donald Trump a revu son protectionnisme à la baisse. Ces droits ont été ramenés de 20 à 10 % pour trois mois (jusqu’au 9 juillet) sur tous les produits, sauf les trois précédemment cités… après quoi on reviendrait de 10 à 20 %, à moins que… La situation reste donc tendue, d’autant plus que – effet collatéral – l’euro s’est apprécié de près de 5 % par rapport au dollar depuis début avril, ce qui rend les exportations plus chères. Dans son discours sur les finances publiques du 15 avril dernier, François Bayrou a évoqué le « signal de départ d’une guerre commerciale planétaire sans avertissement » et d’« inimaginables droits de douane frappant les plus proches alliés de l’Amérique, les obligeant à des mesures de rétorsion en elles-mêmes dangereuses ». Or, la situation de la France est déjà critique, son déficit commercial dépassant les 100 Mds€/an.
Jusqu’à – 44 % de chiffre d’affaire
L’heure est au diagnostic et les régions, têtes de file des collectivités en matière économique, y contribuent. Ainsi, Alain Rousset, président de la Nouvelle-Aquitaine organisait-il le 17 avril dernier un temps d’échanges avec les acteurs des différentes filières économiques (CCI, Medef, Club des ETI – entreprises intermédiaires -, CPME) et têtes de filières (Aerospace Valley, Gifas, CIVB, BNIC pour le cognac, France Chimie). « Les entreprises regardent dans le détail la part de marché américain dans leurs portefeuilles », nous a rapporté Alain Rousset. Dans le Grand Est, qui exporte chaque année 5,35 Mds€ de biens vers les États-Unis, l’industrie pharmaceutique (Lilly à Fegersheim qui exporte 1,5 Mds€/an de médicaments aux États-Unis), l’automobile, la métallurgie, les machines-outils, les équipements industriels et la filière viticole (premier marché d’export pour le Champagne) sont touchées : « Si les hausses douanières annoncées le 2 avril venaient à s’appliquer, c’est plus d’1 Md€ de chiffre d’affaires sur la région qui serait en danger », selon le président du Grand Est, Franck Leroy. Les Pays de la Loire dont les États-Unis sont le deuxième client après l’Allemagne, sont eux touchés dans leurs filières aéronautique, navale (Chantiers de l’Atlantique et chantiers vendéens de plaisance), viticole… En Nouvelle-Aquitaine, l’aéronautique aussi (Dassault, Airbus, Thalès, Safran), l’industrie mécanique, l’électronique, les vins et spiritueux sont frappés. Selon une analyse des Douanes et de la Banque de France, 0,8 à 1,2 % du PIB de cette région serait ainsi impacté. « Ce serait même plutôt 2 % si on inclut les sous-traitants, corrige Alain Rousset. Pour certains, c’est bien plus : pour Dassault, la part du marché des États-Unis est de 30 % ; pour le Cognac, c’est 44 % (ndlr : après déjà une perte partielle du marché russe) ».
Réorienter les exportations
Que faire ? Pour Alain Rousset, il s’agit de savoir « comment défendre nos entreprises dans les prochains mois et années, dans un contexte de démondialisation ». Par réciprocité, l’Union européenne a introduit des droits de douane additionnels sur les produits américains allant de 10 à 25 %, pour un montant équivalent aux droits de douane américains (26 Mds€), mesure suspendue jusqu’au 14 juillet, pour répondre à l’assouplissement américain. Pour Alain Rousset, « l’Europe a raison d’être prudente : il faut remettre la diplomatie en pointe ». Idem pour Franck Leroy : « Il faut poursuivre les négociations avec l’administration américaine. La guerre commerciale ne fait que des perdants… ».
Mais un travail de réorientation de nos exportations est plus sûr. « Il nous faut nous rapprocher de la Chine, de l’Inde, de l’Afrique, de l’Australie, par exemple en matière d’électronique, sur les principes actifs des médicaments, etc », suggère Alain Rousset. La plupart des régions ont en matière d’export des dispositifs d’accompagnement des entreprises. En Nouvelle-Aquitaine, « on y travaille avec la CCI, notamment pour l’industrie agro-alimentaire, il va falloir accentuer, en sachant que des opérations one shot en la matière ne sont pas productives, il faut travailler au moins deux ou trois ans en direction d’un même territoire », note Alain Rousset. Pour ce dernier, « la solution passe par l’Europe, on ne va pas se replier sur notre territoire, comme le fait Trump ». Les CCI ne sont pas inactives. Celle du Maine-et-Loire par exemple a proposé le 25 avril dernier un atelier « Droits de douane et tensions commerciales ». Maîtriser les rouages pour mieux exporter.
Réindustrialisation et redressement des comptes publics prioritaires
« Face au protectionnisme américain qui risque de nous faire perdre des débouchés et face à la Chine qui risque de se retourner vers le marché européen », François Bayrou plaide pour un retour à la production et à la réindustrialisation : « Si 900 000 emplois industriels ont été perdus en 20 ans en France, depuis 2017, 130 000 ont été recréés, il faut poursuivre ». Comment ? Cela passe selon lui par l’innovation, finançable par 15 Mds€ du programme France 2030, par la simplification administrative pour les entreprises, la formation aux métiers d’avenir et la reconstitution de la base productive française, filière par filière. Le ministre de l’Économie Éric Lombard ajoutait aussi ce 15 avril l’importance de maintenir la compétitivité par rapport à nos voisins européens… nos premiers partenaires commerciaux. Pour Alain Rousset, il faut aussi viser la diversification, « de la métallurgie, de l’électronique en Nouvelle-Aquitaine. On a signé une convention avec la Direction générale de l’armement en 2010 pour diversifier notre industrie de défense. On est la deuxième région française en la matière ».
Pour l’heure, l’État et les régions n’envisagent pas d’aides compensatoires directes à leurs entreprises. Ce serait potentiellement un gouffre sans fin. Alain Rousset élude la question, quand Franck Leroy évoque juste des aides « possibles, ciblées à des entreprises en difficulté, notamment via des dispositifs à l’export ou à l’innovation ». Mais pour lui, « la priorité, pour nos entreprises, c’est de revenir à la stabilité ». Quoi qu’il en soit, il faudra aussi pouvoir continuer à investir. Tout cela doit passer par un rétablissement des comptes publics, avec pour ce faire des contributions et consultations – y compris des collectivités locales – avant le 14 juillet prochain, a précisé le Premier ministre.
Frédéric Ville