“L’intelligence artificielle (IA) est résolument une formidable opportunité pour les établissements de santé”

Publiée le 2 octobre 2023 à 9h15 - par

Entretien avec Vincent Vuiblet, Professeur de médecine au CHU de Reims et directeur de l'Institut d'Intelligence Artificielle en Santé Reims Champagne Ardenne. L’intelligence artificielle (IA) pourrait jouer un grand rôle dans la médecine. Au-delà des craintes, Vincent Vuiblet fait le point sur les apports de l'intelligence artificielle (IA) et les changements qu'elle peut induire dans le secteur de la santé.
Entretien avec Vincent Vuiblet, Professeur de médecine au CHU de Reims et directeur de l'Institut d'Intelligence Artificielle en Santé Reims Champagne Ardenne

L’IA suscite beaucoup de fantasmes et d’appréhensions. On imagine souvent une IA qui pourrait remplacer l’intelligence humaine. Cela pourrait être le cas ?

L’IA est une technologie s’appuyant sur des modèles construits à partir d’algorithmes capables de répondre à une question posée qu’elle soit en termes de prédiction, de classification, ou de segmentation. Ces outils générés par de l’IA sont sous-tendus par des mathématiques. Malgré une certaine homonymie, l’IA ne peut être mise sur le même niveau que l’intelligence humaine dont elle ne recouvre pas tous les concepts tels que l’affect, l’émotion, la sensibilité, l’instinct, la spiritualité… Ainsi, on ne peut pas du tout mettre les deux intelligences sur le même pied d’égalité.

En médecine, on parle de l’IA depuis des années. Quelles sont les spécialités médicales et les domaines de santé dans lesquels peut intervenir l’IA ?

L’IA peut intervenir dans tous les domaines de la santé au-delà de la médecine. Elle peut notamment intervenir dans la prévention des pathologies, dans l’éducation à la santé de la population, dans l’optimisation du système de santé et bien sûr tant dans l’aide au diagnostic que l’aide à la décision médicale. Les champs d’application sont donc extrêmement vastes. Aujourd’hui, les domaines où l’application de l’IA est la plus aboutie reste l’imagerie médicale. D’autres secteurs voient l’IA s’implanter de manière plus ou moins visible comme la cardiologie – les échographes ont des algorithmes qui aident les cardiologues à interpréter les images -, la biologie, la pharmacologie. Dans d’autres secteurs, l’IA est beaucoup plus émergente essentiellement parce qu’il n’y a pas de ressources suffisantes sur le sujet. C’est peut-être là une des limites pour lesquelles on n’utilise pas l’IA aujourd’hui de manière diffuse : les outils doivent être certifiés, validés, expérimentés par des professionnels experts. C’est un chemin long et coûteux. Nous avons donc beaucoup de projets en cours et ceux qui sont aboutis attendent longtemps pour être certifiés.

Au CHU de Reims, comment concrètement vous utilisez l’IA ?

Au CHU, nous utilisons par exemple l’IA en radiologie. Nous avons notamment un algorithme qui aide au diagnostic des radiographies pulmonaires en indiquant s’il y une suspicion de lésion ou non. Notre service numérique emploie aussi l’IA pour sécuriser et valider certains flux de données. Nous avons d’autres IA en expérimentation, en lien avec des partenaires privés, comme l’évaluation de l’audition automatisée ou bien l’évaluation de la douleur automatisée.

L’appropriation de ces outils aussi bien par les soignants est-elle parfois un frein ?

Aujourd’hui ce n’est pas un frein mais c’est l’enjeu de demain. Lorsque ces outils vont devenir ubiquitaires et massifs, il nous faudra disposer d’une vraie stratégie d’accompagnement du changement dans les pratiques professionnelles pour permettre une intégration harmonieuse. Plusieurs sujets seront à considérer : l’insertion de ces outils dans les organisations, la garantie d’une décision humaine sans aliénation à la décision par des outils IA, mais aussi la lutte contre un certain nombre de résistance à l’utilisation de ces outils. En effet, à l’instar de toutes les grandes révolutions technologiques, il ne faut pas laisser s’installer cette révolution de manière brutale et rapide, mais l’accompagner en particulier dans les hôpitaux et auprès des professionnels.

Les hôpitaux doivent actuellement faire face à beaucoup d’enjeux. L’IA est-elle vraiment essentielle dans ce contexte ?

L’IA est résolument une formidable opportunité pour les établissements de santé, en particulier pour les hôpitaux parce qu’elle permet d’automatiser les tâches – administratives ou logistiques – et ainsi de rendre de la liberté au personnel notamment soignant pour qu’il puisse se recentrer sur la relation avec le patient qui est au cœur de leur métier. C’est aussi un enjeu essentiel pour les hôpitaux qui ont un rôle fondamental dans le développement de l’IA. En effet, c’est au sein des établissements de santé que se situent les données et les expertises à partir desquelles l’intelligence artificielle (IA) peut et doit être développée.

Vous annonciez la création d’une Fédération nationale scientifique des données en santé, d’ici fin 2023. Où en est ce projet ?

Cette fédération va naître le 9 novembre 2023. Elle va réunir tous les acteurs impliqués dans la recherche sur les données de santé autour d’un collège de praticiens hospitalo-universitaires et hospitaliers qui ont à cœur de développer cette recherche. La fédération va être ouverte aux acteurs publics mais aussi privés, aux acteurs de la médecine hospitalière et de la médecine libérale dont le point commun est d’avoir pour objectif de faire avancer cette recherche au bénéfice des patients et de la population. Les principales missions de la fédération sont de développer le réseau national de la recherche sur les données de santé, d’apporter une dynamique nationale sur la formation au numérique en santé et IA en santé, et d’accompagner les établissements dans la structuration de leurs données et le déploiement des outils pour favoriser les travaux collaboratifs.

Propos recueillis par Magali Clausener

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