“La crise de l’intérim médical doit nous permettre de penser différemment le système de santé”

Publiée le 3 mai 2023 à 9h00 - par

Entretien avec Jérôme Goeminne, Directeur général du groupement hospitalier de territoire Cœur-Grand-Est, et Président du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS).
“La crise de l'intérim médical doit nous permettre de penser différemment le système de santé”

Depuis le 3 avril 2023, les médecins qui pratiquent l’intérim médical à l’hôpital percevront 1 390 euros maximum pour une garde de 24 heures. La loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite « loi Rist », dont l’entrée en vigueur avait été retardée par le Covid, met en effet un terme aux dérives de rémunérations excessives observées ces dernières années. Jérôme Goeminne, DG du groupement hospitalier de territoire (GHT) Cœur-Grand-Est et président du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), explique à WEKA ce qui va changer.

Pourquoi le coût de l’intérim médical était-il aussi élevé avant l’entrée en vigueur de la loi Rist ?

Il y a eu une inflation constante et de plus en plus forte des coûts. Le tarif moyen était généralement de 1 500 euros pour 24 heures. Mais cela pouvait bien entendu monter en cas de désistement de dernière minute, car l’intérimaire contraint de changer son programme personnel ou professionnel, faisait jouer la loi de l’offre et de la demande en augmentant le tarif demandé. Les tarifs les plus excessifs se rencontraient les veilles de week-end de ponts, à Noël, à Pâques… Environ 80 % des établissements de santé font appel à des intérimaires. Au GHT, avant le 3 avril, 17 % des professionnels médicaux étaient contractuels et ils percevaient tous plus que le plafond réglementaire. Les tensions sur l’organisation hospitalière vont durer probablement jusqu’à la fin de l’année, car les contrats signés avant le 3 avril continuent à courir et ils ne respectent pas le plafond de 1 390 euros.

Que se passe-t-il en cas de dépassement du plafond ?

Il existait déjà un plafonnement qui n’était pas respecté mais ce qui change avec la loi Rist, c’est que tout est fait pour qu’il ne soit pas dépassé. Les directeurs d’établissements sont coincés entre deux obligations qui entraînent leur responsabilité pénale : faire un bon usage des deniers publics en ne payant pas une dépense non prévue par les textes, et maintenir les services publics sous peine de non-assistance à personne en danger. Jusqu’à présent, on savait tous qu’on avait une épée de Damoclès au dessus de la tête. De tout temps, la foudre tombait au hasard sur un collègue directeur et un juge de chambre régionale des comptes engageait sa responsabilité. C’est personnellement très dur à vivre : une procédure longue avec des sanctions financières très lourdes et des menaces de sanctions pénales. Tout ça pour avoir voulu maintenir le service public… Désormais, le Trésorier public ne payera pas et le directeur aura sa responsabilité systématiquement engagée devant les tribunaux.

Comment êtes-vous organisés au GHT Cœur-Grand-Est ?

Notre particularité, c’est que toutes les activités cliniques sont organisées avec 100 % de management médical et territorial. Les équipes et les dirigeants médicaux se connaissent, ils travaillent ensemble et s’organisent ensemble, autour d’un mécanisme de solidarité territoriale qui s’est enclenché. Urgentistes, médecins de rééducation, psychiatres, gynécologues… tous s’aident entre les différents sites. Nous n’avons eu aucune fermeture de service et avons pu maintenir l’ensemble de l’offre. Par ailleurs, chez nous comme dans toute la France, il y a un surinvestissement de l’ensemble des directions pour trouver des solutions en négociant avec les médecins les plannings, les niveaux de rémunération, ce qui est un travail démentiel qui prend énormément de temps. Dans les autres territoires, quand il n’y a pas de solution, les directeurs – avec leurs collègues médicaux et soignants – organisent les soins différemment sur le territoire pour prendre en charge les patients. La continuité et la permanence des soins demeurent.

Quelle est la position du Syndicat des manageurs publics de santé sur la rémunération des intérimaires ?

Je dois préciser que le plafonnement concerne non seulement les intérimaires, qui sont mis en relation avec l’établissement hospitalier par une société d’intérim, mais aussi tous les contractuels recrutés directement. Le Syndicat des manageurs publics de santé, comme l’ensemble des directeurs d’hôpitaux, soutient le plafonnement pour trois raisons. C’est inéquitable au sein des équipes, car les praticiens titulaires touchent en moyenne entre 600 et 650 euros pour 24 heures en milieu de carrière ; or ils s’investissent dans le quotidien et dans les projets du fonctionnement hospitalier. Ensuite, la collectivité ne peut pas socialement accepter que des praticiens soient payés de une à quatre fois le SMIC par jour sur de l’argent public. Enfin, cet argent n’est pas employé pour recruter des professions paramédicales ou investir dans du matériel.

Comment le Syndicat des manageurs publics de santé est-il intervenu dans la réforme ?

Nous avions demandé que l’État aide les directions hospitalières à trouver des solutions. C’est fait : depuis début mars, les agences régionales de santé (ARS) sont très présentes partout. Ensuite, nous avions demandé la possibilité de dérogations pour des situations exceptionnelles, comme des maternités ou des services d’urgence isolés qu’il faut à tout prix maintenir car quand il n’y a pas d’autre solution sur le territoire, il faut pouvoir accepter des rémunérations plus élevées. Depuis la semaine du 11 avril, un pouvoir de dérogation générale a été accordé aux ARS. Sur ces deux points, nous avons été entendus.

Comment maintenir une offre de soins partout ?

Il est certain qu’il faut revaloriser les métiers hospitaliers titulaires, les directeurs, les cadres de santé et les agents, pour les fidéliser. Il y a aussi une nécessité de réguler l’offre médicale sur le territoire national. L’incitation à l’installation ne fonctionne pas, c’est pourquoi nous demandons une régulation de l’installation médicale en ville ou à l’hôpital, comme cela existe dans la plupart des pays d’Europe. Le recours aux contractuels met en lumière la tension qui existe entre les territoires et les métropoles : 80 % des établissements qui les emploient sont situés à 20 minutes des métropoles. On pourrait fixer, a minima, des plafonds de généralistes et de spécialistes et qu’une fois atteints, d’autres médecins ne puissent plus s’installer. On doit réussir à mailler le territoire de la façon la plus uniforme possible. Mais il faut un courage politique car cela peut impliquer parfois des regroupements de services, des fusions… Il faut aussi travailler différemment. La pénurie médicale va durer – elle est mondiale – et il y aura des tensions pendant encore au moins dix ans. Il faut continuer la logique collaborative pour passer à un véritable service public de santé. Et les médecins doivent aller plus loin dans les délégations vers les professions médicales intermédiaires – pharmaciens, kinés, sages-femmes, infirmiers… – en conservant les actes les plus techniques. Enfin, il faut investir massivement dans l’intelligence artificielle et la robotique. Cette crise doit nous permettre de penser différemment le système de santé et pas seulement de trouver des solutions de court terme.

Propos recueillis par Martine Courgnaud – Del Ry

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