Les expulsions forcées de populations précaires (sans-abri, migrants en campements, travailleuses du sexe…) à l’approche de la grand-messe du sport représentent le véritable « héritage social » des Jeux de Vancouver et potentiellement celui des JO 2024 (26 juillet-11 août), ont déploré lors d’une conférence de presse commune lundi 5 février 2024 à Paris le collectif Revers de la médaille, qui regroupe 80 associations et ONG françaises, ainsi que des organisations canadiennes de défense des droits sociaux.
Entre la province de Colombie-Britannique et l’Île-de-France, « la scène de la rue est différente, mais les pratiques en termes de harcèlement et d’expulsions sont très semblables », a estimé Paul Alauzy, coordinateur chez Médecins du monde et porte-parole du Revers de la médaille, qui dénonce depuis plusieurs mois le « nettoyage social » de la région parisienne. Dans les deux cas, a-t-il souligné, « le vocabulaire est le même ». « Les Jeux les plus inclusifs de l’histoire, ils l’ont eu aussi à Vancouver », dit-il.
À Vancouver, 14 ans après les Jeux d’hiver, « on est loin du compte en termes d’inclusion sociale », a dit l’urbaniste Irwin Oostindie, membre de la délégation associative canadienne, rappelant que l’organisation canadienne « avait promis 27 000 nouveaux logements sociaux ». « Il y a eu un marketing social, mais sur le terrain, on a plutôt assisté à un nettoyage, une oppression sociale », a-t-il affirmé.
Amendes
Dans les années qui ont précédé, « il y a eu un processus de criminalisation dans les quartiers défavorisés, avec des amendes distribuées aux vendeurs à la sauvette, aux personnes traversant en dehors des clous, à ceux qui urinaient dans les espaces publics », avec pour objectif de leur faire quitter les environs, a abondé l’historien canadien Nathan Crompton. Une tendance qui s’est « accélérée » à l’approche de l’événement, a poursuivi M. Crompton, rappelant une loi instaurée en Colombie-Britannique pour « forcer le déplacement des sans-abri ».
Une situation qui rappelle celle de l’Île-de-France, ont souligné les acteurs français, en référence aux évacuations régulières de tentes installées par des migrants. Depuis plusieurs mois, le gouvernement a décidé de transférer en province les exilés évacués de ces camps de fortune.
En 2010, les autorités canadiennes avaient « modifié les lieux de distribution alimentaire », repoussés de plusieurs kilomètres. « Ce qui fait que les plus précaires n’avaient plus les moyens de s’y rendre », se souvient Dave Hamm, ancien SDF pendant les Jeux de Vancouver, devenu activiste.
Bref, si les courbes continuent de converger, les JO de Paris pourraient « aggraver l’exclusion sociale en Île-de-France », redoutent les organisations françaises.
« Finir comme Vancouver »
C’est pourquoi ces associations comptent demander au Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo) d’instaurer un « fonds de solidarité » permettant de couvrir les besoins en matière de distribution alimentaire ou d’hébergement d’urgence, évalué à 7 000 places supplémentaires en région parisienne, a repris Paul Alauzy.
« Il faut être naïf pour penser que quand on va doubler la population en Île-de-France dans 170 jours, tout va bien se passer. Il faut mettre en place un centre de premier accueil. Chaque jour des JO, des personnes fuyant les guerres continueront d’arriver à Paris et auront besoin d’être accueillies. On l’a fait en trois jours pour les Ukrainiens, on peut le faire », a-t-il ajouté.
Le Cojo, sollicité par l’AFP, a confirmé qu’il recevrait ce collectif le 16 février 2024, mais n’a pas donné suite sur le fonds.
Fin janvier, la Défenseure des droits (DDD) Claire Hédon s’est « autosaisie » du sort des sans-abri qui, à l’approche des Jeux, peut présenter un « risque pour le respect des droits et des libertés » des « indésirables ».
À cinq mois des JO, « on assiste déjà à une criminalisation des précaires », avec des amendes distribuées aux travailleuses du sexe du bois de Vincennes, par exemple, auxquelles « on délivre des obligations de quitter le territoire français en masse », a rapporté Aurélia Huot, du Barreau de Paris solidarité, qui encourage le bénévolat des avocats parisiens.
« Ça ne va aller qu’en s’accroissant », redoute-t-elle. « Et on craint de finir comme à Vancouver. »
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