Le confinement en chambre, une décision sanitaire inédite qui bouleverse les Ehpad

Publié le 1 avril 2020 à 9h50 - par

Confiner les résidents dans leur chambre en Ehpad : cette décision rarissime, encouragée par le gouvernement pour protéger les plus fragiles du Coronavirus, semble indispensable pour leur santé mais aussi cruelle pour des personnes déjà isolées, atteintes dans leurs repères.

Le confinement en chambre, une décision sanitaire inédite qui bouleverse les Ehpad

« Il n’y a pas de doute, il déprime », témoigne auprès de l’AFP Thierry Salvador, dont le père est désormais confiné dans sa chambre d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Vendée. « Le fait que ce soit pour son bien, il le ressent plutôt mal ».

La femme de cet octogénaire atteint d’Alzheimer vit dans la chambre d’en face, mais il n’a plus la permission d’aller la voir. « Avant, ils pouvaient se rejoindre et il gardait le contact avec le monde réel », regrette M. Salvador.

Pour limiter la propagation du Covid-19, le ministre de la Santé a demandé samedi 28 mars 2020 aux « établissements de type Ehpad de se préparer à aller vers un isolement individuel de chaque résident dans les chambres », alors que le nombre officiel de morts dans les maisons de retraite depuis le début de l’épidémie n’est toujours pas connu.

Plusieurs établissements l’avaient déjà mis en place de façon préventive. Comme à la maison de Jeanne, un établissement de 185 résidents dans le Calvados.

Une situation « particulièrement stressante », raconte la directrice Élise Gambier. « Les résidents, d’abord éloignés de leur famille, sont maintenant isolés de leurs amis et doivent organiser leurs journées autrement ».

« Je vois bien que, déjà, certains ne veulent plus s’habiller, n’ont pas envie de s’impliquer. J’essaye de maintenir un rythme », décrit-elle.

Cours de gymnastique à la porte

Ateliers dans le couloir, cours de gymnastique chacun sur le seuil de sa porte, bibliothèque et boutique ambulantes, journal interne : Mme Gambier dit avoir « redoublé de créativité pour égayer les habitants ».

Pour autant, la décision de les isoler, mettant fin aux repas dans la salle commune, activités collectives, ou promenades groupées ne fut pas simple à prendre.

« C’est dur d’avoir cette ambiance de mort au-dessus de nos têtes. J’avais peur pour les résidents, pour le personnel. Je voyais cette vague qui allait arriver, il fallait que j’agisse », justifie-t-elle, se disant tiraillée entre la « responsabilité » et le « regret d’une certaine forme de privation de liberté ».

Face aux questions juridiques et éthiques que soulève ce confinement au regard de la préservation des droits fondamentaux des résidents, notamment ceux atteints de troubles cognitifs ayant besoin de déambuler, le gouvernement a saisi en urgence le Comité d’éthique, qui doit se prononcer prochainement.

« Pour l’instant, Maman ne se plaint pas », raconte Sandrine, dont la mère atteinte de la maladie d’Alzheimer réside dans un Ehpad en Normandie. « Parfois elle oublie le confinement, le personnel lui demande gentiment de retourner dans sa chambre et lui réexplique pourquoi. Et hop, elle se souvient et y retourne ».

« Éthiquement, ça pose aussi question car on passe moins de temps avec chaque personne », témoigne sous couvert d’anonymat la directrice d’un Ehpad privé du Val-d’Oise, qui a instauré le confinement en chambre depuis une semaine et renforcé tous les gestes barrières.

« Je ne sais pas ce qu’on pourrait faire de plus », ajoute-t-elle, écartant la possibilité « en dernier recours » d’un confinement du personnel avec les résidents.

Confinée depuis la semaine passée dans sa chambre d’une maison de retraite de l’Est de la France, Suzanne, 94 ans, « voit encore les gens qui lui apportent ses repas et qui l’aident à se coucher », témoigne sa fille Isabelle. « Mais plus de visages normaux : tous sont masqués ».

La nonagénaire n’en sort plus que pour aller « dans un bureau, pour parler sur Skype avec la famille ».

« Maman peut se donner comme but ces conversations. C’est plus dur pour ceux qui n’ont pas de famille », comme ces femmes « qui avaient pour habitude de s’installer dans le hall pour regarder les gens passer », poursuit Isabelle, qui a pu converser récemment en vidéo à distance avec sa mère.

Suzanne s’est émerveillée de cette prouesse technique : « Elle répétait qu’elle ne croyait pas que c’était possible ! », dit Isabelle. « C’est vraiment un lien essentiel pour ne pas qu’ils se laissent aller à la dépression, qu’ils ne se laissent pas partir ».

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