Portraits d'acteurs

Caroline Regnier

DGA du Centre de gestion de la fonction publique territoriale du Nord, membre du CA de l’ANDCDG (Association nationale des directeurs et directeurs adjoints des centres de gestion)

« Les centres de gestion ont une véritable place à prendre dans l'accompagnement de la fonction publique territoriale de demain en proximité avec les territoires. »

Quelles sont vos fonctions actuelles et les grandes étapes de votre parcours professionnel ?

Caroline Regnier : Je ne suis pas issue du monde des collectivités : je suis actuellement en détachement ; mon corps d'origine est celui des magistrats administratifs.

J'ai fait des études de droit à l'université de Lille, avant de poursuivre vers un Master Administration publique – préparation ENA co-organisé par l'Université Paris 1 la Sorbonne et l'ENS Ulm. À l'issue de cette préparation diplômante, j'ai exercé deux ans et demi des fonctions d'aide à la décision à la Cour administrative d'appel de Douai, avant d'obtenir d'abord le concours de l'Institut Régional d'Administration de Lille et, la même année, celui de conseiller de Tribunal administratif.

J'ai donc intégré ce corps le 1er janvier 2012, et j'ai été affectée au Tribunal administratif de Lille. Pendant 5 ans, j'ai pu travailler sur des contentieux diversifiés, allant du droit de l'urbanisme, au droit des étrangers, en passant par le droit des détenus, la police administrative ou encore le contentieux de la fonction publique.

Dans le corps des magistrats administratifs, la mobilité est une obligation statutaire afin d'inciter les magistrats à découvrir ce qu'il se passe de l'autre côté de la barre et à mettre leurs compétences au profit de l'administration « active ». Aussi, en 2017, j'ai eu l'opportunité de rejoindre la Ville de Lille en qualité de directrice générale adjointe en charge du Conseil juridique, du Droit et des Instances. C'était mon premier poste d'encadrement, avec une équipe resserrée de 16 agentes et agents répartis sur quatre services, ayant pour mission principale d'assurer la sécurité juridique des décisions municipales aussi bien sur le fond que dans la forme. Pendant ces quatre années, j'ai vraiment découvert l'activité courante d'une collectivité, avec une approche différente du droit, qui dans l'action quotidienne doit être un outil permettant de mettre en œuvre les politiques publiques et non être un frein censeur. Mon expérience de juge a été pour cela d'une grande aide. Elle m'a permis de m'appuyer sur ma connaissance du droit et des évolutions de la jurisprudence pour aider à la prise de décision tout en apportant une analyse sur le risque juridique. Au-delà, ce premier poste dans un collectif de direction, dans une direction générale qui porte solidairement les déclinaisons opérationnelles des politiques publiques décidées par les élus, a été très formateur.

En avril 2021, j'ai intégré le Centre de gestion de la fonction publique territoriale du Nord en qualité de directrice générale adjointe. C'était pour moi l'opportunité de m'engager sur un champ d'intervention plus vaste et en même temps c'était un véritable saut dans l'inconnu, me faisant quitter mon champ d'expertise. J'ai aujourd'hui sous ma responsabilité 4 directions : les ressources humaines, les carrières et le conseil médical ; les affaires financières, l'action et la protection sociales et les marchés publics ; les systèmes d'information et les transitions numériques ; les affaires générales et les moyens généraux ; ainsi que deux missions spécifiques : un laboratoire d'éthique et d'innovation, et la fonction de responsable de la sécurité des systèmes d'information et de la protection des données personnelles.

Je suis également membre, depuis mon arrivée au Cdg59, de l'Association nationale des directeurs et directeurs adjoints des centres de gestion, dont j'ai intégré, en novembre 2021, le conseil d'administration, en prenant la présidence de la commission « Gestion des risques », chargée d'apporter conseil, partage d'expériences et accompagnement aux collègues sur des sujets d'actualité comme la réforme de la protection sociale complémentaire ou encore les enjeux autour de l'assurance statutaire ou de la protection des données...

Si vous deviez écrire votre métier actuel en 3 mots, quels seraient-ils ?

Caroline Regnier : Transformation : avec une multitude d'employeurs locaux, dont 97 % de communes qui comptent moins de 10 000 habitants, et un enjeu d'attractivité, les centres de gestion ont une véritable place à prendre dans l'accompagnement de la fonction publique territoriale de demain en proximité avec les territoires.

Engagement : que ce soit en tant que magistrate ou sur mes missions actuelles, j'ai à cœur d'exercer un métier qui a du sens. La notion d'intérêt général est centrale pour moi.

Collectif : les centres de gestion, sont des outils de mutualisation. Aujourd'hui, avec la loi de transformation de la fonction publique, ils doivent collaborer au niveau régional. Avec les réformes qui traversent la fonction publique, les fonctionnements en silo ne permettent plus de répondre aux exigences des collectivités et aux enjeux qu'elles doivent porter. Le collectif se retrouve à tous les niveaux, et il permet de puiser de la force et de la ressource dans un contexte où elle se raréfie.

Quelles sont les qualités essentielles inhérentes à vos fonctions ?

Caroline Regnier : La créativité, savoir être à l'écoute, être convaincue des projets que l'on porte, avoir de la détermination et de la conviction, et une dose de patience raisonnable.

Qu'est ce qui vous fait lever chaque matin ?

Caroline Regnier : Mes enfants assurément ; et sur le plan professionnel la volonté de mener à bien les projets dans lesquels je suis engagée et auxquels je crois.

Quel est le projet qui vous a marquée et dont vous êtes la plus fière ?

Caroline Regnier : Quand j'étais DGA juridique, j'avais sous ma responsabilité 6 juristes chargés de sécuriser les actes d'une collectivité de plus de 4 000 agents. Le projet de service que j'ai mené a été co-construit avec l'équipe autour d'objectifs définis ensemble : recentrer leur activité sur l'expertise et la plus-value sans pour autant baisser en qualité et en sécurité, et leur permettre de récupérer une certaine maîtrise de leur charge de travail. Le service s'est alors engagé dans une démarche d'information et de contractualisation avec les autres directions de la collectivité : après validation de la démarche en CODIR, les agents sont allés dans les différentes réunions de direction pour présenter leurs missions, échanger sur les besoins d'accompagnement des directions et les contraintes respectives des services pour les aider au mieux à gagner en autonomie sur le plan de la sécurité juridique tout en pouvant s'appuyer sur l'expertise métier des juristes. Cette démarche de contractualisation, basée sur la prise en compte des contraintes des uns et des autres et les arbitrages à mettre en œuvre pour mener à bien les missions de service public de la ville, a permis des échanges autour des pratiques de travail et de communiquer sur la raison d'être d'un service juridique, qui n'est pas d'empêcher de faire, mais d'accompagner et de sécuriser les projets dans le cadre légal en éclairant sur le risque.

Avez-vous un rêve que vous souhaiteriez voir concrétiser ?

Caroline Regnier : J'aimerais énormément aller en Laponie, avec mes enfants et mon mari, sur les traces du Père Noël.

Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marquée dans votre carrière ?

Caroline Regnier : Trois personnalités ont marqué ma carrière. Tout d'abord, pendant mes études, j'ai eu la chance d'avoir comme professeur de contentieux administratif le Président Serge Daël, Conseiller d'État et à l'époque président de la Cour administrative d'appel de Douai. Il m'a fait découvrir l'univers de la justice administrative, et a suscité ma vocation pour ce métier.

Ensuite, il y a eu Michel Vayssié, mon premier DGS à la Ville de Lille. Il m'a guidé pour trouver ma place, en tant que DGA et au sein du collectif de direction. J'ai beaucoup appris à son contact.

Et enfin, Mathilde Icard, ma DGS au sein du Centre de gestion 59. Nous avons d'abord travaillé ensemble au sein de la Ville de Lille, quand nous étions toutes deux DGA, et elle portait une vision des ressources humaines dans laquelle je me retrouvais. Nous avons collaboré pour mettre en œuvre de beaux projets, comme le collège de déontologie pour les agents. Elle m'a également convaincue sur la nécessité de créer des ponts avec d'autres mondes, comme le monde de la recherche par exemple, pour enrichir nos pratiques et élargir nos visions. En faisant un pas de côté, on voit les choses différemment.

Mes collègues m'ont également beaucoup apporté, dont deux particulièrement, l'un car il m'a appris à avoir confiance en moi et à ne pas avoir peur de mes ambitions ; l'autre, parce qu'il m'a poussée à franchir le pas de la mobilité vers la fonction publique territoriale et m'a offert une opportunité.

Quelle est votre citation préférée et pourquoi ?

Caroline Regnier : J'en aurais deux : « Que la justice soit forte – que la force soit juste », qui est la maxime gravée sur le fronton de l'Université de Droit de Lille, issue des travaux de Blaise Pascal, et qui combine deux concepts qui pourtant semblent antinomiques alors qu'ils ne peuvent exister en équilibre l'un sans l'autre. Et « un plus un égal trois », citation issue de l'univers de Bernard Werber : quand on unit nos force, on les démultiplie.

Quels sont les deux changements les plus importants qui ont impacté votre carrière ?

Caroline Regnier : La judiciarisation des rapports sociétaux m'interroge beaucoup, avec une augmentation sensible des recours au juge, et des demandes de justice fortes, qui ne sont d'ailleurs pas toujours satisfaites même quand on gagne son procès, et la difficulté de concilier délais de jugement et qualité de la justice rendue. En tant que juge, j'ai toujours eu à cœur de me rappeler que, derrière chaque dossier, il y a des requérants, et que venir devant le juge n'est jamais anodin.

L'autre changement est très en lien avec mes missions actuelles : mon implication dans les recherches-action du Cdg59, autour de la santé mentale et du maintien dans l'emploi d'une part, et du travail et cancer du sein d'autre part, a vraiment ouvert ma réflexion sur les actions de prévention et d'accompagnement que les employeurs publics doivent mettre en œuvre, dans un contexte où la fonction publique est vieillissante et où les effets de la crise sanitaire, par exemple, se font beaucoup ressentir. Nos managers ne sont ni formés à détecter les signes qui conduisent aux problématiques de santé mentale, ni à manager les collectifs de travail en lien avec ces problématiques. Nos services, souvent, ne sont pas organisés pour maintenir le lien avec les agents en arrêt, nos médecins du travail sont trop peu nombreux, la législation est complexe... Nous réfléchissons beaucoup au centre de gestion autour de ces thématiques, avec de nombreux partenaires, et avons à cœur de faire bouger les lignes, autant que possible.

 

Propos recueillis par Hugues Perinel

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