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Portrait de Denis Gournay

Denis Gournay

Haut Fonctionnaire - Administrateur civil

« En 2014, j'ai voulu faire l'expérience de la coopération internationale et je suis parti au Mali comme conseiller technique du ministre de la Décentralisation, pour le compte de la Coopération Française, dans le cadre politique de l'aide au retour de la paix et de la reconstruction du pays. Une expérience radicale : je n'avais jamais connu l'alternance de déceptions et de satisfactions avec un pareil rythme, et une telle intensité ! »

Quelles sont vos fonctions actuelles ?

Denis Gournay : Je prépare actuellement un projet financé par l’Union Européenne pour une coopération avec le ministère algérien des Finances, sur le thème de la prospective socio-économique. C’est un projet d’ampleur qui implique diverses administrations françaises et allemandes, et devra permettre à l’Algérie d’améliorer la construction de sa vision de l’avenir et la définition de ses politiques publiques.

Quelles ont été les grandes étapes de votre parcours professionnel ?

Denis Gournay : J’ai commencé comme agent de catégorie B pendant 10 ans, dans ce qui s’appelait encore l’ANPE en Bretagne. J’en garde un intérêt pour le terrain, la réalité et la nature des métiers. Passé la trentaine, j’ai préparé l’ENA et à ma sortie en 1994, j’ai choisi le corps préfectoral. J’ai enchaîné trois postes très formateurs dans les grands métiers du sous-préfet (Directeur de Cabinet, Secrétaire Général, Sous-préfet d’arrondissement) en Dordogne, dans le Territoire de Belfort, et dans les Vosges.

En 2001, j'ai entamé une mobilité comme DGA au département du Nord et je me suis plu dans cette grande, très grande, et dynamique collectivité : mon passage devait durer les deux ans d'une mobilité statutaire, mais j'y suis resté treize ans, dans 3 thématiques successives. Pendant cette période, j'ai eu la chance d'évoluer depuis une fonction de contrôle - l'Inspection générale -, à une fonction de support - les Ressources humaines -, puis à une fonction opérationnelle - le Développement territorial -. Mon profil en est devenu franchement polyvalent, et j'ai pu, peut-être plus facilement que dans l'administration de l'État, développer réflexion et pratiques sur le management de grandes équipes.

En 2014, j'ai voulu faire l'expérience de la coopération internationale et je suis parti au Mali comme conseiller technique du ministre de la Décentralisation, pour le compte de la Coopération Française, dans le cadre politique de l'aide au retour de la paix et de la reconstruction du pays. Une expérience radicale : je n'avais jamais connu l'alternance de déceptions et de satisfactions avec un pareil rythme, et une telle intensité !

Citez le projet qui vous a le plus marqué et dont vous êtes le plus fier ?

Denis Gournay : C'est le chantier qu'on m'a confié en 2004 en même temps que la responsabilité des Ressources humaines du département du Nord : l'intégration des 1 300 agents TOS des collèges en application de la loi du 13 août 2004. Au delà des aspects financiers et  techniques de la gestion de ce nouvel effectif, ce qui n'était déjà pas une mince affaire, nous avions choisi de prendre immédiatement le sujet à pleines mains. Dès le premier jour du transfert, nous avons apporté des changements, des progrès dans l'organisation, dans les métiers et dans les rapports avec les agents. C'était enthousiasmant car on y voyait ce que pouvait être la maturité et la puissance d'une collectivité locale française. Malgré les faiblesses d'une réforme contestée par les agents, nous avons apporté de grandes améliorations aux conditions de travail comme au service rendu.

Avez-vous un rêve que vous souhaiteriez concrétiser ?

Denis Gournay : J'aime rêver, c'est sûr. Je garde en mémoire René Lenoir, ancien ministre, ancien directeur de l'ENA, décédé en 2017. Dans un entretien au Monde, il avait dit « l'Administration manque de rêveurs ». Ce n'était pourtant pas un farfelu. Les idées, les solutions, les projets ne proviennent évidemment pas des procédures, mais de processus mentaux que nous avons trop scrupule à utiliser au travail, alors que nous nous en servons ailleurs sans la moindre gêne. Je me réserve donc toujours la possibilité de moments pour penser autrement, en y invitant les collègues.

Pour revenir à la question, je prépare un petit écrit dont le titre encore provisoire est « Manuel de décentralisation à l'usage des ambassadeurs et des gens du pays ». Ce n'est pas tout à fait un rêve puisque sa réalisation ne dépend que du temps que j'y consacre. Mais c'est quand même un rêve que j'ai eu au Mali : dans un monde idéal les mots et les notions veulent dire la même chose pour tous. Or le mot décentralisation évoque des choses très différentes selon qu'on parle à un citoyen malien, à un ambassadeur français, allemand, danois, Onusien, ou à un ministre des Finances, et cela complique tout ! Je rêve donc d'unifier ce morceau de langage.

Plus globalement, je rêve que la décentralisation progresse dans tous les pays ; quoiqu'on en dise, c'est une forme vraiment moderne pour l'action publique.

Comment décririez-vous votre engagement personnel en tant qu’acteur public ?

Denis Gournay : Je crois en la sincérité, et mon expérience me permet de la pratiquer sans trop d'accrocs. Sincérité du choix de carrière et de la tradition humaniste d'une administration qui veut aider le monde à être vivable, sans prétendre l'ordonner à l'excès. Sincérité aussi des décisions, des prises de position, des doutes, et des relations. La sincérité facilite grandement l'exercice assumé des responsabilités.

Quelles sont les qualités essentielles inhérentes à vos fonctions ?

Denis Gournay : Dans le genre de poste qui me correspond, on a bien sûr besoin des qualités d'un pilote, qui veille au cap, à l'itinéraire, aux passagers, au temps de trajet et à la consommation, à l'état de la route et de la machine, à ce que font les autres véhicules, etc.

Mais tout cela ne découle que d'une notion essentielle : l'esprit de responsabilité. C'est ce qui permet de se confronter à tout, même à ses propres échecs, à ses faiblesses. Une fois qu'on a ça comme guide, le reste va de soi.

Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marqué dans votre carrière ?

Denis Gournay : Travailler dans l'administration territoriale vous expose à des tas de rencontres, de toutes sortes, et c'est bien cela le meilleur ! Ceci dit, après 24 ans, je suis encore reconnaissant à Feu le préfet Éric Degrémont, de m'avoir accueilli dans la profession et de m'avoir montré, avec son sourire toujours amusé, que le champ des possibles est rarement balisé. Mais je suis aussi marqué par des gens parfaitement vivants, et pour longtemps j'espère. Les rencontres qui me marquent sont celles avec des gens qui me parlent de leur métier, de leur activité, qui m'invitent sur leur terrain et offrent des découvertes.

Quels sont les deux changements les plus importants qui ont impacté votre carrière ?

Denis Gournay : Le changement le plus profond que nous vivons est celui de l'élévation du niveau d'éducation de la population et des aspirations qui l'accompagnent. Je l'ai ressenti à l'échelle d'une carrière pourtant pas encore si longue. Cela change énormément de choses par rapport aux temps fondateurs où l'administration représentait une élite peu contestée. L'administrateur doit désormais rester modeste, sans pour autant se réfugier dans le banal ou la grisaille.

Il y a un autre changement, qui est celui du recours plus fréquent aux services de prestataires dans l'exécution - voire la définition - de l'action publique, même si en France on s'en rend moins compte qu'ailleurs dans le monde. Je pense que les services publics d'aujourd'hui sont encore mal armés pour assumer pleinement leur rôle de commanditaire. La procédure et le droit des marchés sont des protections parfois illusoires. Que celui qui n'a jamais souffert d'une DSP ou d'un marché d'études me jette la première pierre. Le client public est un peu faible dans sa relation avec ses « fournisseurs » et c'est un sujet de préoccupation. Nous avons peut-être là à réviser collectivement quelques fondamentaux.

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