Portraits d'acteurs

Olivier Margouet

Olivier Margouet

Conseiller du président du Conseil départemental du Var

« La politique a plus que jamais besoin de leaders, contrairement au management qui est là pour sécuriser et  relayer l'action. »

Quelles sont vos fonctions actuelles et les grandes étapes de votre parcours professionnel ?

Olivier Margouet : J'ai un parcours assez classique dans la fonction publique territoriale, alors que je ne m'étais pas dirigé initialement vers la voie des concours et une carrière publique. J'ai commencé par exercer des fonctions financières et de contrôle de gestion dans le secteur privé. Ma formation à Sciences Po me prédestinait pourtant au service public mais peut-être voulais-je échapper justement à cette logique de parcours tracé ? Issu d'une famille de fonctionnaires, j'ai été bercé par les valeurs d'intérêt général et de réussite par le mérite, qui ont construit le modèle français des grandes écoles du service public.

La première étape, telle que je l'ai vécue, tient d'abord à ma formation, dans un champ qu'on commençait à appeler timidement à l'époque le management public. Aujourd'hui, on en est au management public 2.0, voire 3.0 mais il me semble qu'on n'a pas tiré les leçons des erreurs faites à cette époque. On estimait que le service public devait s'inspirer des méthodes du privé, voire les adopter totalement pour opérer une sorte de mue vers un modèle unifié ou hybride. Force est de constater que cela n'a pas été le cas, tant l'écart est grand entre les objectifs et les méthodes des deux univers. Mais j'ai vraiment tiré profit du mastère spécialisé en école de commerce sur ce double cursus, public et privé - sans doute le premier en France sur le sujet, quelques années à peine après les grandes lois de décentralisation. Je crois que cela a guidé mon parcours professionnel et cela a raffermi et rénové ma conception du service public, avec des formateurs et des mentors qui en étaient d'ardents défenseurs, tout en nous montrant les grands dangers d'une fonction publique qui ne saurait pas se moderniser - on dirait aujourd'hui se rationaliser - ou plus simplement se professionnaliser. Je pense notamment à Guy Lafite et d'autres hauts fonctionnaires qui avaient pressenti les  évolutions à venir.

Toujours est-il que cela m'a amené à revenir vers la sphère publique, d'abord par une entrée politique sur un poste de directeur de cabinet, à l'échelon communal, puis en valorisant ma formation en finances et gestion sur des fonctions de direction générale à La Garde, dans le Var. Ma montée en responsabilités s'est poursuivie grâce à la réussite au concours d'administrateur territorial qui m'a permis d'évoluer vers des fonctions de direction financière puis de direction générale adjointe à l'échelon d'une métropole, Toulon Provence Méditerranée.

Cependant je restais toujours attiré par la proximité et les aspects très opérationnels du métier de DGS d'une commune, ce qui m'a incité à rejoindre la ville de Sète, puis celle d'Hyères. Sur ces postes j'ai apprécié la richesse du travail avec les équipes, dans toute la diversité des métiers territoriaux, ainsi que l'extraordinaire variété des projets et des enjeux au quotidien. Mais j'ai aussi vécu l'usure et les difficultés inhérentes aux fonctions de direction générale, qui tiennent à mon sens aux équilibres parfois fragiles avec le pouvoir politique. C'est un sujet complexe car il existe autant de positionnements - et de postures - de DGS que de situations et on est souvent loin des préoccupations de pure gestion. Il n'en demeure pas moins que l'aspect passionnant est vraiment celui qui tient à la qualité de la traduction du projet politique et à sa mise en action, plutôt que celui de la quantification ou des indicateurs de gestion qui préoccupent encore nombre de “managers” publics.

Me situant dans une dynamique de nouveaux défis et de nouveaux échelons territoriaux, il me manquait une expérience en région et c'est donc avec plaisir et fierté que j'ai pris la direction des finances de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, dans un contexte de redressement budgétaire particulièrement délicat. La réussite de ce challenge m'a conduit à me réinterroger sur mes objectifs professionnels et à développer de nouvelles compétences en matière de territorialisation de l'action publique, champ très largement inexploré par les collectivités à l'échelon régional.

Aujourd'hui, la diversité de mes expériences professionnelles m'a permis récemment de rejoindre le Cabinet du Président du Conseil départemental du Var, au service de l'efficacité des politiques publiques pour répondre aux besoins des citoyens. J'y vois une synthèse intelligente d'un parcours territorial assez complet et dans lequel je me sens totalement à l'aise aujourd'hui.

Si vous deviez décrire votre métier actuel en 3 mots, quels seraient-ils ?

Olivier Margouet : Le premier mot qui me vient à l'esprit est celui d'intelligence de situation, c'est-à-dire principalement la faculté de comprendre et d'appréhender correctement son environnement et les relations avec les autres, de déduire de son expérience pour agir et évaluer les résultats ou encore d'évoluer en faisant preuve d'imagination et d'innovation. Occupant à présent des fonctions situées sur le versant politique de la décision, j'essaie de faire preuve de ces qualités afin de fournir la meilleure analyse de l'environnement, préparer la décision et contribuer à l'adapter en permanence à l'ambition de l'exécutif.

Cela demande à la fois de la capacité d'adaptation et de la proximité, qui sont pour moi les deux autres grands mots clés de l'action politique sur les territoires. D'abord parce que ce sont des piliers essentiels pour l'action publique et pour les collectivités territoriales, aujourd'hui plus que jamais. Les citoyens ont besoin de services publics proches d'eux et qui soient en phase avec leurs préoccupations du quotidien, mais qui leur donnent aussi un espoir dans un contexte social et économique compliqué.

C'est ce que je préfère dans mon métier, contribuer à façonner les politiques utiles et essentielles pour nos concitoyens et dont on a trop vite fait de considérer, dans un monde de plus en plus digitalisé et dématérialisé, que l'humain et l'administration coûtent cher et qu'on peut s'en passer.

Je pense que le service public a toujours su innover et s'adapter et qu'il continuera à le faire, c'est ce qui m'a poussé à prendre à nouveau un poste de Cabinet, après une carrière très axée sur la gestion publique.

Quelles sont les qualités essentielles inhérentes à vos fonctions ?

Olivier Margouet : Outre la disponibilité, inhérente à la fonction de Cabinet, travailler aux côtés d'un exécutif territorial demande surtout de fortes convictions et une continuité dans les idées. Des convictions partagées avec son autorité territoriale, évidemment, mais qui ne doivent être ni des certitudes, ni des idées “clonées”.

La décision politique est rarement un acte d'autorité ou le fruit d'un passage en force mais le résultat d'une consultation, d'une agrégation autour d'une volonté et bien souvent d'une personne. La politique a plus que jamais besoin de leaders, contrairement au management qui est là pour sécuriser et relayer l'action. Sinon on arrive à une confusion des rôles qui contredit tout l'édifice démocratique. Tout l'art est dans l'équilibre des opinions, des personnalités et la prise en compte des convictions de chacun.

J'aime le terme de spindoctor, répandu dans les pays anglo-saxons, même s'il est connoté négativement en raison de son lien avec la narration politique, le “storytelling” ou la manipulation. Je suis aux antipodes de cette posture. Je pense qu'on peut utiliser les techniques de persuasion ou de conviction pour faire le bien et dans une transparence vis-à-vis du citoyen. Et justement se saisir de tous les sujets dits sensibles pour que les décideurs politiques s'en emparent et y apportent des réponses claires.

Par conséquent pour moi il faut aussi une grande sincérité dans le positionnement et le discours, contrairement à ce que nos concitoyens pensent peut-être de l'action politique. Être une sorte d'éminence grise ou un genre de lobbyiste, ce n'est pas être de bon conseil sauf pour faire des “coups” politiques. Mon expérience en direction générale et auprès des élus me dit qu'on ne construit pas un parcours politique et une stature sur des coups d'éclat, même s'il en faut parfois pour débloquer une situation ou faire avancer un sujet. On peut dans ce cas s'entourer des personnalités ad hoc quand c'est nécessaire.

Qu'est-ce qui vous fait lever chaque matin ?

Olivier Margouet : Je suis résolument dans un esprit de service public et cela continue à me motiver chaque jour depuis près de 30 ans. Et je sais que chaque succès se gagne au quotidien, par de petites actions, en équipe, surtout dans une grande collectivité telle que le Département du Var.

J'ai aussi la chance de travailler pour un élu qui est totalement et exclusivement dans cet esprit de service public, qui n'hésite pas à s'engager sur tous les sujets d'intérêt général, même les plus délicats et sans faux semblant. Donc je sais que chaque matin va apporter son lot de surprises et d'initiatives, ce qui est particulièrement stimulant car il faut du répondant et être capable de rebondir sur de simples idées pour les faire fructifier.

Ensuite, j'ai la chance d'avoir maintenant un métier très diversifié et riche chaque jour puisque je m'intéresse à tous les champs de l'action publique, qu'ils soient de la compétence de la collectivité ou qu'ils relèvent de problématiques plus générales. Je suis de tempérament curieux, ouvert et j'ai des centres d'intérêts très éclectiques, donc je ne m'interdis aucun sujet, sinon je ne servirai pas à grand-chose. De ce point de vue, le fait d'être hors de l'administration et donc, parfois, le “poil à gratter” dans la préparation des décisions est aussi un des attraits de ce qui me fait me lever tous les jours.

Quel est le projet qui vous a le plus marqué ou dont vous parleriez avec fierté ?

Olivier Margouet : Je n'ai pas de projet fétiche, j'ai beaucoup de bons souvenirs des projets que j'ai menés mais les plus marquants sont toujours liés aux femmes et aux hommes de terrain avec lesquels j'ai travaillé. J'aime la proximité, le contact direct et la réussite collective. J'ai toujours eu cette préoccupation du collectif quand, par exemple, j'ai conduit la certification ISO9001 des services à la population de La Garde ou quand j'ai constitué le nouveau pôle ressources de la Métropole de Toulon, ou encore quand j'ai piloté le redressement financier de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, alors qu'en 2016 elle était au dernier rang de toutes les régions en termes d'épargne et de capacité d'endettement.

Au-delà de la fierté d'avoir mené ces projets, j'ai la fierté d'avoir partagé à chaque fois une aventure humaine, avec des élus, des DGS, des collègues et de nombreux collaborateurs, femmes et hommes. C'est surtout de leurs noms que me souviens et aussi des moments partagés de travail, de doute, de difficulté et bien sûr de succès.

Je crois que c'est comme cela qu'on “vit” vraiment toute expérience et finalement j'ai la chance d'avoir des moments marquants dans l'ensemble de mon parcours et de ne m'être jamais ennuyé !

Avez-vous un rêve que vous souhaiteriez concrétiser ?

Olivier Margouet : On poursuit tous plusieurs rêves. J'ai pu en réaliser certains, mais il en est sans doute un qui me tient plus à cœur, celui d'écrire ou de parler en public, pour le plaisir et en dehors de ma sphère professionnelle. Je me suis toujours consacré énormément à mon travail et j'ai essayé de donner à mes enfants ce même goût pour le travail et le fait d'apprendre le plus de choses possibles, d'être curieux de tout pour ne jamais s'ennuyer et se lasser, ni des gens, ni du monde qui nous entoure. Mais je n'ai jamais vraiment pris le temps de m'attarder sur moi-même et de savoir quel message je pouvais faire passer, alors que j'ai depuis longtemps une certaine fascination pour ceux qui parviennent à rendre intéressant n'importe quel type de sujet. Par exemple, je suis fan des conférences TedX... Dans un autre registre je pourrais citer Maurice Dantec, pas pour ses idées que je ne partage pas forcément mais pour son écriture coup de poing et sans fioritures.

L'éloquence et l'écriture, sont pour moi les plus puissants vecteurs pour changer les hommes, la vie et la société et j'aimerais un jour pouvoir parler et écrire aussi librement pour le faire. Nous sommes dans une société qui n'a jamais autant produit autant d'écrit et de paroles et qui, pourtant, paraît de plus en plus confuse en termes d'information et de savoir. C'est pour moi une source inépuisable de réflexion, qui m'éclaire aussi dans mon activité actuelle.

Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marqué dans votre carrière ?

Olivier Margouet : Les rencontres les plus marquantes sont toujours celles auxquelles on n'est pas préparé. En tous cas ce fut le cas pour moi, aussi bien pendant mes études que dans mes activités professionnelles ou extra-professionnelles.

Je crois profondément à l'alchimie de ces rencontres fortuites, qui résultent pourtant toujours d'une succession de décisions ou d'événements qui semblent réfléchis et préparés, mais qu'elles viennent généralement infléchir ou totalement chambouler. Cela a décidé des choix dans mes études, mais aussi de mon engagement pour le service public, comme je l'indiquais précédemment.

Certaines rencontres s'avèrent également malheureuses, comme cela a été le cas dans mon dernier poste en tant que DGS, mais on en retire encore plus d'enseignements que celles qui sont positives. Elles vous amènent à vous remettre en question, ou à tout le moins à changer de logiciel.

Parmi les rencontres fructueuses, je crois aussi à l'importance de celles qu'on peut avoir avec des mentors. Certaines personnes vous font partager leur vision, leur énergie et vous permettent de grandir, c'est un formidable accélérateur non seulement professionnel mais aussi mental et psychologique. Cela a été le cas avec le premier maire avec lequel j'ai été en responsabilité de direction générale, que j'ai donc retrouvé avec beaucoup de plaisir, près de quinze ans plus tard, dans mes nouvelles fonctions.

Ma dernière rencontre, parmi les plus marquantes, est une femme remarquable et que je considère à la fois comme un mentor et comme une amie, ce qui est rare. Je veux parler de Dayana Fievée, consultante RH et Présidente du réseau Dirigeantes et Territoires, qui a révélé un engagement personnel pour la parité que je ne soupçonnais pas et qui m'a éclairé sur mes motivations profondes.

Quelle est votre citation préférée et pourquoi ?

Olivier Margouet : Je reviens toujours à cette citation de Paul Valéry, qui est aussi un de mes auteurs préférés les soirs de blues : « Les maîtres sont ceux qui nous montrent ce qui est possible dans l'ordre de l'impossible ». Je crois que ça résume l'essence de l'être humain, le dépassement mais aussi l'attachement au réel, très banal et quotidien. J'aime les héros du quotidien, ceux qui se dévouent pour rien ou pas grand chose. Pour ceux qui ne connaissent pas Paul Valéry, je recommande la visite du musée qui lui est dédié à Sète, d'abord parce que la ville mérite le détour et ensuite parce qu'il n'y avait nul autre lieu semblable pour recueillir son œuvre. Rendre possible ce qui n'était pas imaginable, c'est bien l'essence du politique après tout ?

Quels sont les deux changements les plus importants qui ont impacté votre carrière ?

Olivier Margouet : La montée des conflits et les changements qui affectent les puissances au plan mondial sont un sujet de fascination permanent mais ne nous impactent que très indirectement, dans la sphère territoriale. Toutefois, je m'y suis fortement intéressé en suivant le cursus de la Fondation méditerranéenne des études stratégiques, à Toulon, qui m'a permis de faire des rencontres passionnantes parmi tous ceux qui participent à la défense de la France, à sa souveraineté et à ses conquêtes de demain, le spatial, la fusion nucléaire...

Plus prosaïquement et pour répondre à la question, je dirais le changement de paradigme territorial, d'une part et la fin du management, d'autre part. La fin des territoires tels qu'ils étaient conçus dans les années 1970 et 80, d'abord et de “Paris et le désert français”, même si on a toujours dans nos références la fameuse diagonale du vide. Il n'en reste pas moins que les territoires sont redevenus un sujet majeur pour les collectivités territoriales alors que leur histoire s'est créée en opposition à ces territoires, notamment ruraux. Donc un grand retour de la ruralité, dépouillée de ses connotations négatives, j'en suis profondément convaincu et les changements qui sont en cours, tant économiques que climatiques ou énergétiques, vont nous le montrer de façon éclatante.

La fin du management, d'autre part, non seulement en tant que discipline “scientifique”, ce qu'il n'a jamais été malgré les efforts de générations de chercheurs et praticiens, mais aussi en tant que voie d'atteindre une meilleure répartition de la valeur ajoutée, dans le privé et du bien public. Seul le productivisme a triomphé et on a vu arriver la règle de l'outil, qui a remplacé le sens. Il est temps de tourner la page de ce “management” singé sur le privé qui n'a pas tenu ses promesses pour refonder une véritable théorie du service public et de l'intérêt général.

 

Propos recueillis par Hugues Perinel

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