Pénuries de médicaments : quelles solutions ?

Publié le 17 mars 2023 à 11h15 - par

Depuis plusieurs années, la France est confrontée à des pénuries de médicaments. Afin de faire face à ce problème récurrent, des députés ont déposé une proposition de loi pour un service public du médicament et les sénateurs ont créé une commission d’enquête sur les pénuries de médicaments. Le Gouvernement planche aussi sur le sujet pour trouver des solutions à court et long termes.

Pénuries de médicaments : quelles solutions ?
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Si les médias ont largement parlé ces derniers mois des pénuries de paracétamol et d’amoxicilline, le problème concerne en réalité des centaines de médicaments délivrés en ville et dispensés à l’hôpital. Le phénomène n’est malheureusement pas nouveau, mais il s’est accentué avec la crise sanitaire de 2020 et le contexte inflationniste actuel. Ainsi, en 2022, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) a géré 2 160 signalements de ruptures de stock et de risque de ruptures. Et en janvier 2023, l’agence recensait déjà plus de 300 produits de santé en rupture de stocks.

Prix et capacités industrielles trop faibles

Les causes de ces tensions d’approvisionnement et de pénuries de médicaments sont multiples : mondialisation du marché, délocalisations des industries françaises et européennes vers d’autres pays notamment en Asie, fabrication des principes actifs des médicaments concentrée en Chine et en Inde avec pour conséquence une dépendance des industriels européens, prix faibles des produits matures… Ce dernier élément est d’ailleurs de plus en plus mis en avant. « Les pénuries touchent en effet beaucoup plus les médicaments peu coûteux », souligne l’Académie nationale de pharmacie dans son Livre blanc sur les pénuries de médicaments du 15 février 2023. 75 % de MITM (médicament d’intérêt thérapeutique majeur) en rupture de stock sur le site de l’ANSM sont vendus à un prix inférieur à 25 € la boîte et 25 % le sont à moins de 4 €.

À cela s’ajoute un différentiel entre l’offre et la demande mondiale en produits de santé. Depuis 2011, le marché pharmaceutique est en forte expansion au niveau mondial : + 6 % par an depuis 2011 et + 10 % ces dernières années. Or, « plus la marge est faible, moins il est possible d’investir en capacité industrielle. Plus la marge est faible, plus l’industriel rencontre des difficultés pour améliorer ou conserver l’outil industriel et pour disposer de ressources humaines expertes afin de maintenir et d’améliorer son système de management de la qualité. Et donc plus il a tendance à délocaliser dans les pays à moindre exigences sociales et environnementales, lorsque c’est encore possible », explique l’Académie de pharmacie. L’inflation exacerbe encore cette situation avec des coûts de production qui ont augmenté de 25 à 30 %. Ce qui conduit des industriels pharmaceutiques à envisager l’arrêt de la production de médicaments qui ne sont plus rentables.

Un pôle public de médicaments

Quelles sont alors les solutions pour faire face à cette situation ? Depuis 2020, des propositions de loi (PPL) de députés de LFI (La France Insoumise) et de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) ont été déposées afin de créer un pôle ou un service public des médicaments. La dernière PPL, déposée le 21 février 2023, vise ainsi à créer un service public du médicament et des dispositifs médicaux afin « d’une part d’organiser une politique publique des médicaments et des dispositifs médicaux visant à garantir l’indépendance sanitaire de notre pays, et d’autre part de renforcer la régulation économique et sanitaire des secteurs du médicament et des dispositifs médicaux afin de rendre accessible au plus grand nombre les produits de santé, dans des conditions sécurisées et à un prix abordable ». Ce texte n’a pas été examiné à l’Assemblée nationale mais la PPL des députés LFI déposée en 2020 avait été rejetée à l’époque. Cette idée de créer un pôle public afin de produire des médicaments essentiels par une entité publique n’est d’ailleurs pas nouvelle. En 2018, la Mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins du Sénat proposait, entre autres, d’instituer un programme public de production et distribution de quelques médicaments essentiels concernés par des arrêts de commercialisation, ou de médicaments « de niche » régulièrement exposés à des tensions d’approvisionnement. Le rapport de cette mission n’a pas été suivi d’effets. Le 1er février 2023, une nouvelle commission d’enquête du Sénat a été constituée sur « La pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française ». Celle-ci a commencé ses auditions et doit rendre ses conclusions mi-juillet.

Réindustrialisation et missions

De son côté, le Gouvernement a initié diverses actions pour faire face aux pénuries de médicaments. Après la crise sanitaire, le président de la République a fait de la souveraineté sanitaire une priorité. Le plan France Relance, lancé en 2020, a permis de soutenir 106 projets industriels de production de principes actifs et de médicaments et vaccin en France. On peut citer la construction d’un site de production de paracétamol à Roussillon (Isère) par Seqens en partenariat avec Sanofi et Upsa, mais aussi les projets d’Axyntis, Seqens et Aguettant portant sur des injectables pour la réanimation, et de relocalisation de curares et anesthésiques par Diverchim CDMO. Ces projets ne seront cependant pas opérationnels avant 2024-2025.

Le 25 janvier 2023, la Première ministre a lancé une mission interministérielle sur la régulation et le financement des produits de santé. Elle doit analyser les impacts des politiques actuelles et proposer des « premières pistes de solutions » conciliant la lutte contre les pénuries et la soutenabilité des dépenses de santé, mais aussi le renforcement de la production de produits très innovants et de produits matures essentiels. Et le 2 février 2023, le Gouvernement a également annoncé un moratoire sur les baisses de prix des génériques stratégiques sur le plan industriel et sanitaire, et des hausses de prix ciblées sur certains génériques stratégiques produits en Europe, en contrepartie d’engagements des industriels sur une sécurisation de l’approvisionnement du marché français. Il a aussi engagé trois chantiers prioritaires : l’établissement pour fin mai d’une liste des médicaments dits « critiques » pour les relocaliser à terme ; l’élaboration d’un plan de préparation des épidémies hivernales ; la préparation d’un « Plan blanc Médicaments » activable en cas de situation exceptionnelle, nécessitant de prendre des mesures fortes pour sécuriser la prise en charge des Français. En outre, une nouvelle feuille de route de lutte contre les pénuries de produits de santé doit être présentée au plus tard en juin.

Magali Clausener


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