SDIS : de soldats du feu à soldats de la vie

Publié le 27 septembre 2023 à 9h00 - par

Entre sollicitations sur le terrain (feux de forêts, inondations, etc.) et une activité secours à personne qui représente plus de 80 % de leurs opérations chaque année, les sapeurs-pompiers ne sont plus seulement soldats du feu. Une situation doublée de l’évolution de la société auxquelles la profession doit s’adapter. Une mutation et des enjeux avec lesquels composent notamment le Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) du Lot-et-Garonne et son directeur départemental Frédéric Tournay. Rencontre et état des lieux.

SDIS : de soldats du feu à soldats de la vie
© Photos David Commenchal - WEKA Le Mag #11 septembre/octobre 2023

« Nous intervenons sur un territoire rural qui comporte également des risques prégnants, inondations ou feux de forêt. On doit se préparer aux conséquences du réchauffement climatique : ce qui nous amène aussi à muter nos pratiques. Des menaces doublement accentuées car nous sommes déjà un département dans lequel il y a des risques en matière de sécurité civile. De soldats du feu, nous sommes passés à soldats du climat mais surtout soldats de la vie. Les incendies ne représentent que 6 à 8  % de nos interventions. Le cœur de notre métier est le secours à personne », résume le colonel Frédéric Tournay.

Se préparer aux défis de demain

À l’instar de tous les autres SDIS en France, le SDIS 47 est face aux défis d’une société qui évolue, en lien avec son territoire.

À commencer par les conséquences de la désertification médicale. Une situation qui ne concerne plus uniquement les territoires ruraux. « Chez nous, cette désertification s’accentue aussi. Les incidences sont visibles pour notre activité : nous avons de plus en plus de sollicitations. Nous y répondons toujours, avec des effectifs constants. Ce qui nous amène à redimensionner voire à recalculer notre capacité opérationnelle. » Dans le Lot-et-Garonne comme dans les autres départements français, le modèle de sécurité civile repose sur les pompiers-volontaires. « 80 % de notre ressource est issue du volontariat et 20 % d’une structure de pompiers professionnels », précise le colonel Frédéric Tournay. Sur 24 000 opérations enregistrées chaque année par le SDIS 47, 76 % du temps passé pour secourir les habitants est assumé par les pompiers volontaires. « Il ne s’agit pas d’opposer nos sapeurs-pompiers. Mais bien de rappeler comment fonctionne notre modèle. »

Pompiers volontaires et… salariés

Ces temps d’opérations peuvent varier selon leurs localisations. « Si on intervient pour un malaise en centre-ville d’Agen, par exemple, nous pouvons rester dans des délais d’intervention d’une durée de 1h15 maximum. Cette même intervention, dans une zone isolée, prendra beaucoup plus de temps. » À chaque alerte, le pompier volontaire, qui se rend disponible, quitte son travail, rejoint la caserne, monte dans l’ambulance pour se rendre sur les lieux d’intervention. Tout cela en moins de 20 minutes. « Avec la prise en charge de la victime, le délai de transport pour aller jusqu’à l’hôpital le plus proche, celui d’Agen en l’occurrence, jusqu’à l’accueil des urgences, il faut compter entre 1h à 3h. Cela peut aller jusqu’à 6h si on transporte la victime jusqu’à Toulouse ou Bordeaux, là où les plateaux médicaux sont plus spécialisés. Ce scénario change notre modèle de disponibilité de pompier volontaire. » Pour assurer le maillage de la chaîne de secours, le SDIS 47 travaille régulièrement avec les employeurs pour signer des conventions autorisant le départ de leurs salariés pompiers.

Développer de nouvelles pratiques médicales

Depuis plusieurs années, le SDIS 47 s’est doté de véhicules légers d’infirmiers. « L’hôpital n’est pas toujours en capacité de mobiliser des médecins dans les véhicules SMUR. En l’absence de médecins, nous sommes capables d’envoyer un infirmier qui peut réaliser des soins d’urgences vitales, des actes supervisés par les médecins des pompiers et ceux du SAMU. Toutes nos casernes ne sont pas dotées de cet équipement. Néanmoins, avec cette ressource, nous sommes sur des champs complémentaires et non concurrentiels. » Des évolutions qui vont être validées par la loi Matras. Cette loi appelle à développer des « pratiques médicales » effectuées par les pompiers. Tablettes pour faire suivre des bilans plus facilement aux services d’urgence ou encore outils préprogrammés dans les ambulances pour réaliser des actes de télémédecine : les pompiers du Lot-et-Garonne sont formés à de nouvelles techniques.

« Le pompier peut poser un électrocardiogramme et l’envoyer au bilan du centre 15. Ainsi, le médecin du 15 peut comprendre le niveau de détresse de la personne, la pathologie et la nécessité de l’hospitaliser ou pas. On peut le développer sur d’autres gestes médicaux-secouristes un peu plus élevés. Cela demande des partenariats, des protocoles nationaux. On travaille avec nos collègues du SAMU et l’ARS pour regarder sur quels champs nous pouvons intervenir. »

Dans le Lot-et-Garonne, le colonel assure bénéficier d’une « belle synergie avec l’ARS, les services médicaux (…) On arrive à produire des permanences pour compléter des trous dans la raquette. Cela signifie aussi de penser à un nouveau modèle économique pour équiper les véhicules en matériel de télémédecine. »

S’adapter à la société

Être pompier aujourd’hui, c’est aussi être témoin de la détresse sociale. « Parfois, on peut ressentir un décalage entre ce qu’on imagine en s’engageant et la réalité du terrain. On sent qu’il y a une évolution sociétale : nous sommes de plus en plus sollicités. Cela nous amène à être en lien avec les services sociaux. » Isolement, stress, troubles de la santé mentale : les pompiers « viennent en aide à la société. Nous nous devons de la prendre comme elle est. » Au-delà de ces questions sociétales, le colonel Tournay s’interroge sur le changement de pratiques. « Pour éteindre des feux, il faudra toujours de l’eau. Mais faut-il encore continuer à manœuvrer avec de l’eau potable ? Ce que je demande à mes équipes, c’est d’être dans l’optimisation. Le plus souvent, ils trouvent des solutions car ils connaissent le territoire. On a conscience que l’eau devient une denrée rare. On essaye d’être cohérents avec tout ce qu’il se passe. »

Autre bouleversement : le management des équipes. Les interventions dans le département ont le plus souvent lieu en journée, alors que les pompiers volontaires sont disponibles la nuit. « Notre difficulté aujourd’hui est de garantir une réponse adaptée et suffisante en effectifs, notamment la journée. Ce qui veut dire qu’il faut peut-être utiliser la ressource volontariat la nuit, les professionnels la journée. Cela demande des adaptations. »

Attractivité du métier, démystifier l’engagement

Trois nouvelles recrues ont rejoint les pompiers professionnels du département. Un soulagement pour un des centres de secours du département qui cumulait 900 départs en mission à l’année.

À cet effectif, s’ajoutent 64 personnels administratifs et 1 300 pompiers volontaires. Et autant de conventions avec des employeurs, publics et privés, pour libérer les pompiers volontaires en journée. « Une équipe de promotion de l’engagement citoyen est dédiée à cette mission pour expliquer, entre autres, en quoi il est important de compter des pompiers dans leurs équipes. On insiste bien sur le gagnant-gagnant : on accompagne les entreprises à valoriser l’emploi d’un pompier volontaire : à savoir une personne formée aux gestes de premiers secours et/ou qui peut aider à mieux organiser le stockage des matériaux en fonction des risques. Nous incitons les employeurs à mieux négocier leur contribution d’assurances : ces dernières peuvent revoir leurs primes d’assurances en prenant en compte les compétences sur place. »

Pour booster le recrutement, le colonel dit même avoir « démystifié l’engagement. » « Nous avons dissocié les engagements des pompiers volontaires. Certaines recrues peuvent se charger uniquement des interventions relevant du secours à personne. » Quitte à se révéler par la suite. « Il arrive qu’après avoir démarré avec nous dans les ambulances, ils souhaitent se former à la maîtrise de l’incendie. »

Comme dans le secteur public, les sapeurs-pompiers font eux-aussi face à des problématiques d’attractivité. « Je ne peux pas manager de la même façon qu’avant. Ce serait une erreur de ma part. Il faut donner du sens à nos équipes en expliquant en quoi il est important de se former aux nouveaux outils, à de nouvelles pratiques. On doit être en mesure de leur dire où on les attend, et leur laisser de l’autonomie. Nos pratiques doivent changer au même rythme que  change la nouvelle génération d’officiers. »

Propos recueillis par Hélène Leclerc

Le mode de gouvernance des SDIS en France

Les SDIS sont placés sous la double autorité du président du conseil d’administration du SDIS pour la gestion administrative et financière et du préfet de département pour la gestion opérationnelle.

Source : Observatoire des finances et de la gestion publiques

 

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WEKA Le Mag n° 11 – Septembre / Octobre 2023

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