Téléphonie mobile : la fin en trompe-l’œil des « zones blanches » ?

Publié le 10 février 2016 à 8h11 - par

Plus aucune commune sans téléphonie mobile d’ici la fin de l’année ? C’est l’objectif du gouvernement, mais élus ruraux et associations sont prudents face à ce programme, estimant qu’il ne résoudra pas tous les aléas de couverture dans les campagnes.

Téléphonie mobile : la fin en trompe-l'œil des "zones blanches" ?

À Antichan-de-Frontignes, petite commune accrochée à 600 mètres d’altitude dans les montagnes de Haute-Garonne, Bernard Dumail se mobilise depuis « plus de dix ans ». Sans succès. « Les opérateurs compatissent, mais pour eux, ce n’est pas porteur, parce qu’il n’y a pas assez d’abonnés », affirme ce maire élu sans étiquette depuis 1995. Une barre, deux parfois, puis plus rien : le long des rues étroites de cette pittoresque commune de 95 habitants, dont la population « triple » en été, la réception est aléatoire. Sur une petite place, une cabine téléphonique trône encore près d’une fontaine et d’une statue de la Vierge. L’annuaire jauni témoigne de son délaissement.

Selon l’Arcep, le gendarme des télécoms, de 91 % à 98 % du territoire est couvert en 2G, soit entre 99,2 % et 99,9 % de la population. Restent des « zones blanches » comme Antichan qualifiée comme telle lors de la campagne de recensement, fin 2015, lancée par le gouvernement après la promulgation de la loi dite « Macron ». Cette dernière acte le retrait définitif des cabines téléphoniques, avec, en contrepartie, la couverture par les quatre opérateurs mobiles des centres-bourgs de 238 communes dépourvues de réseau 2G d’ici fin 2016, ainsi que 800 sites économiques et touristiques. Les opérateurs devront aussi couvrir en 3G 2 200 communes qui en sont dépourvues d’ici mi-2017.

« Coup de com »

À Castans, « zone blanche » de l’Aude, en sus régulièrement privée de fixe et d’ADSL par le givre, un retraité ironise : « On est complètement isolés. Il n’y a plus que les signaux de fumée ». « Est-ce que nous sommes des sous-citoyens ici ? » s’agace un autre, alors qu’une troisième habitante préfère détenir « quatre téléphones, avec quatre opérateurs ». « Quand l’un ne passe pas, je passe à l’autre », résume-t-elle.

« Dans notre village, tous les jeunes partent », déplore Didier Cornet, maire de Fontaine-Bonneleau dans l’Oise. « Un jeune couple a fait construire une maison en janvier 2015, mais a décidé de déménager en novembre car sans réseau, ils ne pouvaient pas travailler ».

À Auradou (Lot-et-Garonne), « les ados aux arrêts de bus n’ont pas les yeux rivés sur le téléphone », mais « c’est délicat car aucune entreprise ne vient s’installer, les secours sont en galère et cherchent du réseau où vont toquer chez les habitants pour utiliser le téléphone fixe », raconte l’édile, Georges Lagrèze.

La région Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées est la plus affectée, avec un total de 72 communes concernées, mais plus de 200 s’étaient signalées, selon la préfecture.

La « définition » d’une zone couverte, « c’est de pouvoir téléphoner à l’extérieur d’un bâtiment, près de la mairie, pendant une minute, sans bouger », observe Patrick Vuitton, délégué général de l’Association des villes et collectivités pour les communications et l’audiovisuel (Avicca). « Tout ça fait que les opérateurs ont aujourd’hui des cartes magnifiques mais sur le terrain, on est très loin d’avoir une couverture satisfaisante ».

« Cela montre que tout le monde à Paris a conscience que des communes sont dépourvues de réseau, mais c’est un coup de com. Pendant ce temps, il y a un écart de technologies croissant : vous imaginez, des communes qui n’ont pas la 2G et d’autres en 4G, voire 5G ? », interroge John Billard, vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF).

Sur les cartes de couverture, « au lieu d’avoir du blanc, on aura du rose, du bleu, ou du rouge, mais dans le fond la problématique n’aura pas été réglée », tranche Antoine Autier, chargé de mission à l’UFC-Que choisir.

Premiers programmes en 2003

Les premiers programmes « zones blanches » datent de 2003, époque à laquelle quelque 3 000 communes sont recensées et leur couverture annoncée pour la fin 2007. Les opérateurs abondent une enveloppe de plus de 600 millions d’euros, aux côtés de l’État et des collectivités territoriales.

En juillet 2008, un nouveau recensement dénombre 364 « communes oubliées », auxquelles s’ajoutent 113 autres non-encore couvertes dans le programme de 2003. Nouvelle échéance : fin 2011.

« Le problème, c’est que le principe de service universel de téléphone mobile n’existe pas. Il n’y a pas de loi qui dit chaque Français a le droit au téléphone mobile, ce qui est le cas en téléphonie fixe », estime Bernard Dupré, président de l’Association française des utilisateurs des télécommunications (Afutt).

Le nouveau programme concerne 67 communes des programmes précédents et 171 supplémentaires, une liste qui doit être complétée dans les prochaines semaines. Il est cette fois assorti d’une menace de sanctions de la part de l’Arcep. Bercy a annoncé en janvier que l’État financerait la construction des pylônes nécessaires, les opérateurs y posant leurs équipements.

Le ministre de l’Économie et des Finances, Emmanuel Macron, réunira avant la fin du mois les associations des collectivités territoriales et les 300 maires des communes et zones n’ayant aucune couverture mobile et qui devront être équipés avant la fin de l’année. Cette réunion sera l’occasion de présenter le calendrier de mise en œuvre des mesures, selon Bercy.

SFR précise être « activement impliqué et tiendra les engagements ». « L’Arcep contrôle les cartes des opérateurs tous les ans y compris dans les zones rurales. En général, elle confirme la fiabilité des cartes des opérateurs et de Bouygues Telecom en particulier », abonde-t-on chez Bouygues.

« Nous comprenons l’impatience numérique et essayons d’y répondre avec des investissements volontaires », ajoute Orange. Le dirigeant du groupe, Stéphane Richard, a par ailleurs promis que les cabines publiques, gérées par l’opérateur historique, ne seraient pas retirées tant que la couverture mobile ne prendrait pas le relais.

« Couverture parfaite impossible »

L’Arcep est « consciente » de ces critiques, et a annoncé en janvier par la voix de son président, Sébastien Soriano, la publication au cours de l’année de cartes plus précises avec notamment différents degrés de qualité et des indications sur la réception à l’intérieur des bâtiments. « Le programme vise à garantir une couverture minimale de tous les centre-bourgs. Ni plus, ni moins. Donc il demeurera encore de nombreux trous de couverture », précise-t-on à l’Autorité. « Il faudra donc continuer à travailler sur le sujet, inventer de nouvelles solutions technologiques pour répondre à un besoin croissant et légitime de meilleure couverture mobile. Comme pour la radio FM, la couverture mobile parfaite est impossible. »

Au-delà d’un désir de « déconnexion » et de « tranquillité » chez certains, d’autres aimeraient d’ailleurs garder des zones vierges, comme l’association « Perdons pas le fil », qui veut fonder un refuge pour les électro-hypersensibles dans les Pyrénées-Orientales.

« Pour moi, ce programme est un leurre », tranche Pierre Le Ruz, président du Criirem. « Il y aura toujours des zones où ça ne passera pas – certaines zones montagneuses, désertiques – et il faut de la place pour tout le monde ».

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