« Les communes face à une offre de spectacle vivant sous tension », l’affiche du forum annonçait en quelque sorte la couleur. Maire du Teil, en Ardèche, Olivier Peverelli n’a pas manqué de rappeler que la culture était « un socle commun », qu’il ne devait pas « être menacé à la fois par les coupes budgétaires, mais aussi par les pressions extérieures, la création devant rester sacrée ». Dans sa commune, toutes les politiques se mêlent : le dispositif Territoire zéro chômeur de longue durée (TZCLD) a permis la création d’un bar à jeux à travers une EBE (Entreprise à but d’emploi) où se déroulent donc de nombreuses activités culturelles, « à visée ludique et parfois plus conséquente ». Florence Portelli, maire de Taverny, vice-présidente de la Région Île-de-France en charge de la culture, la culture est omniprésente dans la ville, « jusque dans le ventre des mamans, où l’on fait écouter de la musique aux futurs bébés ». Bourges, de son côté, a réussi la performance de coiffer sur le poteau de grandes métropoles régionales pour décrocher le label tant recherché de Capitale européenne de la culture 2028. « J’ai été élu sur ce thème-là d’une ville ouverte à la culture. Nous avons lancé un appel à projets de 5 M€ pour permettre aux acteurs de la ville de se mobiliser. Cette distinction a déjà des effets positifs sur l’activité économique de la ville puisque trois hôtels ont décidé de s’installer à Bourges, qui bénéficie déjà il est vrai de l’effet positif du Printemps », assure son maire, Yann Galut. À Langres (Haute-Marne), le festival Tinta’mars s’invite à la fois dans les écoles maternelles et les Ehpad, rappelle Anne Cardinale, première magistrate de cette commune de 3 800 âmes. Festival multiforme, il mobilise une partie de la population, qui se retrouve à l’automne pour des rencontres philosophiques de haut vol. « La culture doit être mise à portée de tous, c’est une évidence pour nous ».
Pas de chèque en blanc aux artistes
Mais la culture, et c’est tant mieux, peut être parfois le terreau de dissensus. Lorsque la question de l’élaboration des programmes nourrit les échanges, Florence Portelli porte une première banderille en considérant qu’elle a son mot à dire dans la programmation d’un équipement que sa commune finance : « Il serait quand même sidérant que dans ce domaine, les élus n’aient pour seule fonction que celle de signer des chèques et de laisser aux artistes le soin de la création sans savoir ce qu’ils financent ». Présidente par ailleurs de l’Orchestre national d’Île-de-France, Florence Portelli, passionnée et enthousiaste sur ces sujets, évoque la nécessaire mise en place d’un « dosage » entre les élus et les artistes, dans le cadre de commission où les échanges se font. David Nicolas, maire d’Avranches (Manche), approuve : « L’élu peut être moteur. Le processus démocratique est porté dans les commissions ». « Pourquoi se passer d’une notoriété comme la tienne, David ? », lance Florence Portelli, rappelant que le maire d’Avranches est l’un des grands historiens français de l’architecture. Compliment que pourrait lui renvoyer ce dernier, Florence Portelli étant une mélomane accomplie.
L’élu n’est pas un programmateur, pour le Syndeac
Ce dosage, les artistes ont un peu de mal à en apprécier la subtilité. Florence Guinard, directrice adjointe du Théâtre national populaire de Villeurbanne et membre du conseil national du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles), répond sans biaiser : « L’élu ne doit pas s’arroger le fait du prince, en utilisant l’argent public comme il l’entend. Il doit créer les conditions pour les artistes puissent produire de la culture ». La règle du jeu existe d’ailleurs dans la loi LCAP de 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, assure-t-elle. Elle reçoit le soutien de Yann Galut : « Je donne les grandes orientations, mais ça s’arrête là, je ne suis pas là pour avoir une quelconque influence sur les choix artistiques », dit-il. Nicolas Dubourg, président démissionnaire du Syndeac, enfonce le clou : « Les artistes et les directeurs de lieux ne doivent pas discuter avec les élus, mais avec la société. Le rôle de l’élu est de garantir la possibilité de ce dialogue ». Florence Portelli n’en démord pas : « J’ai été élue sur la culture, je suis la meilleure médiatrice de la culture et de la société ». Le débat est vif et tout le monde s’en réjouit.
Des vertus de l’engueulade
Fabien Le Guernevé, adjoint au maire de Vannes (Morbihan) chargé de la culture et vice-président de la FNCC (Fédération nationale des collectivités pour la culture), penche du côté de la maire de Taverny : « Les élus sont choisis dans le cadre d’une élection et doivent mener les affaires de leur commune, notamment sur le plan culturel. Dans le cas contraire, les habitants ne comprendraient pas. Une des raisons de la crise démocratique est dans ce décalage entre les élus et les habitants qui lui ont donné mandat pour mener à bien toutes les affaires de la cité ». Le mot de la fin revient à Olivier Peverelli : « La culture est un espace de liberté où l’on a bien le droit de s’engueuler, de ne pas être d’accord. C’est plutôt rassurant ». Que vivent en effet les engueulades sainement étayées…
Stéphane Menu