Finalement, devant le tollé général, MaPrimRenov (MPR), principale aide financière, distribuée par l’Agence nationale de l’amélioration de l’habitat (ANAH) et qui accompagne les ménages depuis 2020 dans la rénovation énergétique de leur logement, ne sera suspendue que cet été – et non jusqu’à fin 2025 comme initialement prévu –, pour reprendre le 15 septembre prochain. La suspension concerne les rénovations énergétiques d’ampleur, mais in fine ni les rénovations de copropriétés – celles-ci mettant plus de temps à aboutir ont fait valoir les acteurs –, ni les rénovations par geste. Les dossiers engagés continueront.
Fraudes en tous genres
Première raison de cette suspension invoquée par le gouvernement ? La « professionnalisation de la fraude ». Selon lui, en 2025, 44 000 dossiers suspects ont fait l’objet de contrôles renforcés, évitant ainsi 229 M€ de fraudes (7 % des aides), mais 8 M€ versés font l’objet de contentieux actuellement. Carole Ropars, conseillère environnement à Intercommunalités de France, confirme : « Selon les directeurs de l’habitat de nos intercos, la fraude est fréquente ». D’après le gouvernement, celle-ci vise surtout des rénovations monogestes, via des usurpations d’identité (des ménages ou des entreprises de travaux) ou le détournement du mandat financier qui permet à un tiers de se substituer au ménage pour percevoir la subvention. Ce sont encore « de faux ensembliers de la rénovation empochant une partie des aides à la place des ménages, tout en faisant réaliser des travaux de piètre qualité », selon Jacques Le Bec, directeur du service habitat privé Tinergie pour Brest Métropole. Depuis 2025, sont aussi apparus des Mon Accompagnateur Rénov’ (MAR) véreux (audits manipulés, absence de neutralité…), notamment sur les rénovations d’ampleur.
Le gouvernement évoque aussi un allongement des délais d’instruction – « supérieurs à 7 mois dans de nombreux départements » selon la plateforme Biovallée –, une augmentation du coût des travaux en 2025 (+ 7 % contre + 2 % d’inflation). Tout ceci aurait épuisé le budget en 9 mois au lieu de 12. Le gouvernement mettra donc à profit la suspension estivale pour remédier à ces problèmes, y compris par une loi contre les fraudes aux aides publiques en préparation, avec interdiction du démarchage téléphonique notamment. Une taskforce interministérielle contre la fraude a été lancée ; un référentiel de prix doit être établi avec la filière.
Il faudrait 6 Mds€… et non 3,6
Même si le dispositif était maintenu au-delà du 15 septembre, l’enveloppe baissera, puisque le gouvernement veut baisser les plafonds de travaux subventionnables, recentrer sur les passoires énergétiques chauffées aux énergies fossiles et sur la décarbonation du chauffage pour les autres logements.
Côté collectivités, c’est la douche froide, tant le dispositif était apprécié. Si ces mesures étaient appliquées, « ce serait une réduction par trois du nombre de dossiers éligibles », selon Julien Coudert, chargé de mission de l’espace-conseil France Rénov’ Biovallée dans la Drôme, alors qu’« au premier trimestre 2025, les demandes ont été multipliées par trois par rapport à l’an dernier » et que « plus de la moitié de ces rénovations d’ampleur concernent des ménages très modestes », regrettent les présidents des trois intercos ayant créé Biovallée. Selon eux, les objectifs de la stratégie nationale bas carbone – 400 000 rénovations complètes par an de logements individuels et 200 000 en copropriétés – sont loin d’être remplis avec le dispositif actuel MPR, malgré sa montée en puissance : c’est donc 6 Mds€ que MPR devrait totaliser pour 2025, contre les 3,6 Mds€ alloués, réclament-ils… Et d’observer que le recentrage des priorités exclut les logements chauffés à l’électricité, énergie de chauffage la plus chère.
Les collectivités veulent de la stabilité. « Déjà, les règles changeaient tous les six mois : montant des primes, conditions d’attribution, matériaux… Si la suspension homogénéise finalement le processus et le stabilise, ce serait un gros progrès », note François Chollet, vice-président de Toulouse Métropole en charge de l’environnement. Il s’agirait aussi de simplifier le dispositif. « C’est facile pour un particulier, mais très compliqué pour une copropriété : vote à l’unanimité nécessaire, assemblée générale annuelle seulement… », continue l’élu. Ce dernier partage l’objectif gouvernemental de réassainir le système : « J’ai fait 20 réunions sur MPR, les gens n’ont plus confiance ni dans le dispositif ni dans les professionnels… ». À leur façon, les collectivités peuvent agir. L’ANAH incite d’ailleurs dans une campagne de communication actuelle à contacter pour avis son espace France Rénov’ avant de signer un devis. Les collectivités peuvent aussi contrôler les prestataires. Ainsi, Toulouse Métropole a sorti deux entreprises de son annuaire de la rénovation, lesquelles ne respectaient pas la charte signée en contrepartie du référencement.
Les espaces FranceRénov’ menacés aussi
À terme, les collectivités pourraient-elles pallier les baisses de financement ? « Elles n’en ont pas les moyens, assure Julien Coudert, rien que chez nous, MPR pèse 5 à 7 M€/an pour 58 000 habitants ! ». Certaines collectivités aident d’ailleurs déjà, de manière cumulée à MPR. À Toulouse Métropole par exemple, une prime éco-rénovation forfaitaire de 1 000 euros s’adresse à tous les propriétaires occupants sans conditions de ressource, mais sous réserve d’au moins 40 % de gain énergétique. Sans compter une prime optimisée pour atteinte du niveau BBC rénovation. Certaines collectivités ont aussi des Programmes d’intérêt général (PIG) pour rénovations d’ampleur et foyers à revenus modestes ou copropriétés fragiles. Ainsi, en 2025, pour les ménages modestes, Brest Métropole a-t-elle financé près de 300 000 euros de projets de rénovation énergétique, en plus des 4,7 M€ de l’ANAH (MPR + certificats d’économie d’énergie) sur la même cible. Pour les plus modestes, Toulouse Métropole ajoute, elle, 10 à 20 % aux montants de l’ANAH, ce qui peut porter les aides totales jusqu’à 100 %. Difficile de faire mieux…
Si les financements MPR baissent, mécaniquement, les espaces FranceRénov’ risquent de voir leur activité se ralentir. À terme, cela remettrait en cause les financements d’État dont ils profitent via des pactes territoriaux, puisqu’une part des aides varie sur la base du nombre de dossiers MPR déposés. Pour Tinergie, élargi depuis 2020 au Pays de Brest (10 ETP), les aides de l’ANAH représentent 50 % du fonctionnement, soit tout de même 300 000 euros par an dédié à l’info-conseil et à l’animation territoriale sur la partie Brest Métropole. La menace est donc réelle. « Un arrêt ou un recentrage profond des priorités nous amènerait à réduire nos effectifs et la qualité du service, avec surtout une baisse du rythme des rénovations », note Julien Coudert. De quoi convaincre le gouvernement ?
Frédéric Ville
MaPrim’Renov en chiffres
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