Longtemps bannie, la langue alsacienne désormais proposée en « immersion » à l’école

Publié le 19 octobre 2023 à 8h30 - par

« Wenn de gaere en d’schuel gesch, klàtsch en d’Hand » (« Si tu aimes aller à l’école, frappe des mains ») : à Brumath (Bas-Rhin), des élèves de maternelle baignent dans l’alsacien, une langue longtemps bannie de l’école publique avant d’y revenir en septembre.

Longtemps bannie, la langue alsacienne désormais proposée en "immersion" à l'école
© Par herreneck - stock.adobe.com

« Guede morje ! » (« Bonjour ! »). Sandra Cronimus, enseignante de l’école Arc-en-ciel, accueille les petits de trois et quatre ans qui entrent dans sa classe sourire aux lèvres pour les uns, quittant à regrets leurs parents pour les autres. Puis elle fait l’appel. « Ich bin do » (« Je suis là ») répondent un à un les enfants.

Les 15 élèves de cette classe à double niveau (petite et moyenne section de maternelle) participent à une expérimentation lancée à la rentrée par l’académie de Strasbourg : 75 % de leur temps est consacré à l’alsacien et à l’allemand, et 25 % au français.

Quatre écoles se sont lancées dans cette nouveauté baptisée « parcours Tomi Ungerer », du nom de l’auteur-illustrateur alsacien.

À Brumath, ville bas-rhinoise de 10 000 habitants à 20 kilomètres au nord de Strasbourg, le maire LR Étienne Wolf est enthousiaste. « Ce qui m’intéressait c’était de défendre l’alsacien, qui se perd. Souvent on le comprend, mais on ne le parle plus », justifie-t-il.

Corinne Husser, agent éducatif, se réjouit de pouvoir parler librement sa langue maternelle avec les petits. « C’est la première année que j’exerce en alsacien, c’est top ! »

Le dialecte pratiqué par cette Brumathoise n’est d’ailleurs pas exactement le même que celui de Sandra Cronimus, originaire d’Offwiller, un village des Vosges du Nord.

Fort déclin du dialecte

Car les élèves participant à l’expérimentation ne parleront pas tout à fait la même langue selon qu’ils l’étudient dans le sud du Haut-Rhin ou au nord du Bas-Rhin : « À Altkirch, c’est complètement différent », compare l’enseignante, qui passe de  l’allemand à l’alsacien et au français devant ses élèves.

Pour ce « nouveau challenge », elle a été formée par un conseiller pédagogique en langues vivantes.

En Alsace, il existait déjà une douzaine d’écoles gérées par l’association ABCM où coexistent l’allemand et l’alsacien. Certaines se sont lancées dans un système immersif, à la différence près que le français y est dans leur système complètement absent.

Le président de la Fédération Alsace bilingue-Verband zweisprachiges Elsass, Pierre Klein, regrette que l’académie de Strasbourg n’ait pas suivi ce modèle car il estime que « cela aurait permis de profiter pleinement des avantages de l’immersion ».

Il se félicite cependant que l’alsacien fasse son entrée à l’école publique, y voyant « la prise de conscience de la valeur que représentait le bilinguisme et du très fort déclin du dialecte ».

« On estime qu’il y a entre 400 000 et 700 000 locuteurs en Alsace et ça dégringole chez les moins de 50 ans », souligne-t-il.

Problème de recrutement

« Quand j’étais enfant, on nous défendait de parler alsacien », se rappelle le maire de Brumath Étienne Wolf, 68 ans, se félicitant que ce soit « la première fois » que le dialecte soit « reconnu » à l’école.

Mais pour faire perdurer ces parcours immersifs, « le gros problème sera de trouver des gens compétents », reconnaît-il.

Car l’académie de Strasbourg peine déjà à recruter des enseignants d’allemand pour les classes bilingues français-allemand, dans lesquelles sont scolarisées près d’un écolier sur cinq dans l’académie.

Un souci soulevé par la FSU selon laquelle cet enseignement immersif pose un certain nombre de questions : « Comment croire qu’il ne sera pas confronté aux mêmes difficultés et critiques que l’enseignement bilingue paritaire ? », s’interrogeait le syndicat à la rentrée.

Redoutant peut-être quelques difficultés au démarrage, les parents d’élèves se sont montrés plutôt frileux et les quatre classes immersives ne rassemblent qu’une cinquantaine d’élèves au total.

« Au départ j’avais trois élèves inscrits mais les parents se sont laissés tenter », raconte Sandra Cronimus.

Ceux qui ont tenté l’expérience ne semblent pas déçus.

Céline Babin, 40 ans, avoue avoir « hésité un peu » mais se dit désormais « convaincue » de l’intérêt pour son fils Paul : « ça peut l’aider dans l’apprentissage des langues. Et puis ça fait partie de notre culture ».

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