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La constitutionnalité de la loi du 23 mars 2020

Publié le 18 juin 2020 à 14h32 - par

La loi du 23 mars 2020 a maintenu le premier tour du 15 mars 2020 et reporté le second tour des élections municipales. Dans une décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 M. Daniel D. et autres, le Conseil constitutionnel a jugé que cette loi est conforme à la Constitution1.

La constitutionnalité de la loi du 23 mars 2020

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Élections municipales 2020
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Le 25 mai 2020, le Conseil d’État a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour contrôler la constitutionnalité des paragraphes I, III et IV de l’article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Ces dispositions ont suspendu les opérations électorales postérieurement à la tenue du premier tour des élections municipales intervenu le dimanche 15 mars 2020 et ont reporté l’organisation du second tour, qui était initialement fixé au 22 mars 2020, au plus tard en juin 2020, à condition que la situation sanitaire permette l’organisation des opérations électorales. Si cette condition n’était pas remplie, la loi avait prévu que les électeurs des communes dont le conseil municipal n’a pas été élu au complet à l’issue du premier tour seraient à nouveau convoqués pour les deux tours de scrutin, dans des conditions qui aurait été définies dans une nouvelle loi. Dans les deux hypothèses, l’élection des conseillers municipaux élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 demeure acquise. La médiatisation de l’épidémie de Covid-19 et les annonces du président de la République le 12 mars ont eu un effet indéniable sur le taux de participation électorale lors du premier tour le 15 mars 2020. La question d’une annulation des opérations électorales s’est posée, avant d’être balayée.

Dans sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, le Conseil constitutionnel a jugé la constitutionnalité du maintien des résultats acquis au premier tour des élections municipales du 15 mars (1) et du report du second tour au plus tard au mois de juin 2020 (2). Enfin, le Conseil constitutionnel estime que ce sera au juge des élections d’estimer au cas par cas si l’abstention a pu altérer la sincérité du scrutin (3).

1. La constitutionnalité du maintien des résultats acquis au premier tour des élections municipales du 15 mars

Premièrement, l’article 19.I dernier alinéa de la loi du 23 mars 2020 dispose que « dans tous les cas, l’élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d’arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l’article 3 de la Constitution ».

Deuxièmement, le Conseil constitutionnel juge que « Le dernier alinéa du paragraphe I de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 se borne à préciser que ni le report du second tour au plus tard en juin 2020 ni l’éventuelle organisation de deux nouveaux tours de scrutin après cette date n’ont de conséquence sur les mandats régulièrement acquis dès le premier tour organisé le 15 mars 2020. Ces dispositions n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l’attribution de sièges ».

Enfin, peu importe le taux de participation lors du scrutin du 15 mars 2020, le Conseil constitutionnel estime que les résultats sont acquis. En dehors, des communes de moins de 1 000 habitants, où pour être élu, il faut avoir obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés et recueilli au moins un quart des voix des électeurs inscrits, aucun texte constitutionnel et législatif ne détermine un taux minimum de participation pour qu’une élection soit valable.

2. La constitutionnalité du report du second tour au plus tard au mois de juin

Il était permis de se questionner sur le fait que l’écart de temps entre le premier et le second tour pourrait remettre en cause la sincérité des élections. Là encore le Conseil constitutionnel va justifier le maintien des résultats acquis au premier tour.

Premièrement, le Conseil constitutionnel estime que si les dispositions de la loi « remettent en cause l’unité de déroulement des opérations électorales, elles permettent, contrairement à une annulation du premier tour, de préserver l’expression du suffrage lors de celui-ci. Toutefois, le législateur ne saurait, sans méconnaître les exigences résultant de l’article 3 de la Constitution, autoriser une telle modification du déroulement des opérations électorales qu’à la condition qu’elle soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général et que, par les modalités qu’il a retenues, il n’en résulte pas une méconnaissance du droit de suffrage, du principe de sincérité du scrutin ou de l’égalité devant le suffrage ». Ainsi, le Conseil constitutionnel considère que la loi du 23 mars 2020 visait à éviter que la campagne électorale et la tenue du deuxième tour de scrutin, initialement prévue le 22 mars 2020 n’engendrent la propagation de l’épidémie de Covid-19, alors que la population était confinée. Ce report était justifié par un motif impérieux d’intérêt général.

Deuxièmement, le Conseil constitutionnel estime que le report des élections au plus tard, fin juin 2020, n’engendrait pas la méconnaissance du droit de suffrage, du principe de sincérité du scrutin ou de l’égalité devant le suffrage. Ce délai maximal était alors adapté à la gravité de la situation sanitaire et à l’incertitude entourant l’évolution de l’épidémie. Par ailleurs, la loi imposait au pouvoir réglementaire de fixer la date du second tour, par décret en Conseil des ministres pris le 27 mai 2020 au plus tard. Cette fixation était conditionnée à l’évolution de la situation sanitaire et à l’analyse du comité de scientifiques.

Troisièmement, pour préserver l’unité du corps électoral, le Conseil constitutionnel relève que l’ordonnance n° 2020-390 du 1er avril 2020 a permis que le second tour du scrutin pourra avoir lieu à partir des listes électorales, initialement prévues pour le 22 mars 2020 et des listes électorales établies pour le premier tour.

Enfin, le Conseil constitutionnel juge qu’un décret a permis de maintenir l’égalité des candidats en majorant les plafonds de dépenses de campagne et d’obtenir le remboursement d’une partie des dépenses de propagande ayant été engagées pour le second tour initialement prévu le 22 mars 2020.

3. L’estimation au cas par cas par le juge électoral de l’abstention comme cause d’altération de la sincérité du scrutin

Premièrement, le Conseil constitutionnel juge d’une part que : « si les requérants et certains intervenants faisaient valoir que, en raison de l’épidémie de Covid-19, l’organisation du second tour avant la fin du mois de juin 2020 risquerait de nuire à la participation des électeurs, le Conseil constitutionnel relève que ce scrutin ne peut se tenir que si la situation sanitaire le permet. Dès lors, les dispositions contestées ne favorisent pas par elles-mêmes l’abstention. Il appartiendra, le cas échéant, au juge de l’élection, saisi d’un tel grief, d’apprécier si le niveau de l’abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l’espèce, la sincérité du scrutin. » D’autre part, il estime que « pour préserver les possibilités de contester les résultats du premier tour en dépit de la suspension du scrutin, les électeurs ont pu, par dérogation au troisième alinéa de l’article L. 68 du Code électoral, obtenir communication des listes d’émargement des bureaux de vote à compter de l’entrée en vigueur du décret de convocation pour le second tour et jusqu’à l’expiration du délai de recours contentieux ». En premier ressort, ce sera donc à chaque tribunal administratif d’estimer, dans chaque cas avec des analyses statistiques de la population, si l’abstention a pu – et pourrait – fausser les élections le 15 mars 2020 et le 28 juin 2020 en cas de très faible écart de voix.

Deuxièmement, le Gouvernement a depuis favorisé le système de procuration pour éviter que les mesures sanitaires n’encouragent l’abstention. Un décret publié le 18 juin 2020 facilite le recueil des procurations en élargissant le champ des personnes auprès desquelles les délégués des officiers de police judiciaire peuvent se déplacer et en prévoyant, de manière pérenne, que le recueil peut avoir lieu dans des lieux accueillant du public. Ledit décret considère que les bulletins de vote qui mentionneraient la date du 22 mars seront valides.

Enfin, ce décret multiplie par deux le nombre de panneaux attribués à chaque candidat par emplacement d’affichage ainsi que le nombre d’affiches pouvant être remboursées. En sus, il autorise, pour les candidats souhaitant y avoir recours, la mise en ligne de leurs professions de foi.

Le maintien des résultats acquis le 15 mars 2020 et le report à fin juin du second tour des élections municipales ont été fait dans une bonne intention en raison des inconnus du virus. Cela a non seulement perturbé la poursuite de l’élection, mais également l’installation de ceux qui ont été élus. En sortant du cadre électoral prévu par les textes, il est difficile et souvent perçu comme injuste de compenser les effets de ce report. Cette pandémie démontre que la démocratie se construit en permanence.

Dominique Volut, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. Dans une autre QPC portant sur le mode de scrutin dans les communes de plus de 1 000 habitants, le Conseil a également estimé que ce mode de scrutin était contraire à la Constitution (décision n° 2020-850 QPC du 17 juin 2020, Mme Patricia W).

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