« Le monde urbain veut l’intercommunalité »

Publié le 20 décembre 2011 à 11h05 - par

Entretien avec Jean-Robert Massimi, conseiller chargĂ© de la fonction publique territoriale et de la mobilitĂ© auprès de François Sauvadet.

Directeur de cabinet du prĂ©sident du CNFPT de 2002 Ă  2008, Jean-Robert Massimi a ensuite Ă©tĂ© directeur gĂ©nĂ©ral du CNFPT de 2008 Ă  2010, avant de rejoindre le Ministère de l’Ă©conomie, de l’industrie et de l’emploi, comme conseiller du chef de la mission de facilitation de l’accueil dans les fonctions publiques. Il est depuis septembre dernier conseiller mobilitĂ© et fonction publique territoriale auprès de François Sauvadet, ministre de la Fonction publique. Il est par ailleurs maĂ®tre de confĂ©rences associĂ© au Celsa, oĂą il enseigne l’histoire de la dĂ©centralisation et des collectivitĂ©s, et est l’auteur du Dictionnaire de l’intercommunalitĂ©.

Weka : Jean-Robert Massimi, quelles sont les implications de la rĂ©forme territoriale pour la fonction publique territoriale ?

Jean-Robert Massimi : Elles sont simples, mĂ©caniques : la rĂ©forme territoriale, comme chaque Ă©tape de la dĂ©centralisation, entraĂ®ne une Ă©volution quantitative et qualitative de la fonction publique territoriale. Quantitative car c’est une mutualisation des services, qui doit donc permettre de rĂ©duire les recrutements. Qualitative car les grosses structures ont des besoins diffĂ©rents des petites collectivitĂ©s.

Le dĂ©veloppement de grosses structures créé un besoin d’encadrement, de spĂ©cialistes, plus fort qu’il ne l’était. Cela participe Ă  ce besoin important qu’ont les collectivitĂ©s de cadres et cadres supĂ©rieurs. Avec des compĂ©tences de plus en plus sophistiquĂ©es, les structures importantes ont besoin de personnes pouvant penser leurs organisations de façon plus lourde.

L’intercommunalitĂ© participera donc au rééquilibrage des proportions entre catĂ©gories A, B et C dans la fonction publique territoriale (FPT) par rapport Ă  ce qu’elles sont dans les services de l’État, historiquement très encadrĂ©. D’ailleurs, depuis 1982, chaque loi de dĂ©centralisation s’est accompagnĂ©e peu de temps après d’une loi rĂ©organisant la FPT. Ainsi, on ne peut exonĂ©rer une rĂ©flexion sur la fonction publique territoriale de son rapport avec l’évolution des structures, et des besoins en emplois.

Weka : Concernant le chapitre de l’intercommunalitĂ©, on peut observer certains succès, les premiers pĂ´les mĂ©tropolitains et mĂ©tropoles se mettent en place, mais aussi certaines difficultĂ©s, notamment entre prĂ©fets et Ă©lus locaux. Comment expliquez-vous que s’emparer de cette rĂ©forme soit facile pour certains territoires et non pour d’autres ?

Jean-Robert Massimi : Le monde urbain veut l’intercommunalitĂ©. Depuis 1999, elle y est quasi-irrĂ©versible. Les mĂ©tropoles, les pĂ´les mĂ©tropolitains correspondent Ă  une rĂ©alitĂ©, Ă  un vrai besoin.

Ă€ Nice, oĂą s’est mis en place la mĂ©tropole Nice CĂ´te d’Azur, il y a Ă  la fois une grande cohĂ©rence politique locale, entre le maire, le  prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral, et l’entourage de la grande ville, et une densitĂ© de villes propre Ă  la CĂ´te d’Azur, un continuum urbain entre Nice, Antibes, Cannes, etc.

Je crois beaucoup, au-delĂ  de la volontĂ© des Ă©lus, en la cohĂ©rence sociopolitique. C’est pour cela que Paris, mĂ©tropole par excellence, n’est pas concernĂ©e, car la relation politique est très compliquĂ©e. Idem pour Marseille : Ă  mon avis la mĂ©tropole marseillaise n’est pas près d’arriver, car elle n’a pas la mĂŞme relation avec sa pĂ©riphĂ©rie qu’a la ville de Nice.

Et si la rĂ©forme de l’intercommunalitĂ© bloque plus souvent au niveau rural, c’est aussi parce que la continuitĂ© territoriale y est inexistante. Les besoins d’intercommunalitĂ© sont donc moindres que dans le monde urbain.

Sur le chapitre dĂ©partements/rĂ©gions, la crĂ©ation de la collectivitĂ© unique d’Alsace n’est pas non plus un hasard : cette rĂ©gion constituait un terrain d’application idĂ©al : une culture commune, une identitĂ© forte, une petite rĂ©gion, avec deux dĂ©partements seulement, un droit local spĂ©cifique, et un prĂ©sident du conseil rĂ©gional ministre des CollectivitĂ©s territoriales en guise de mini-accĂ©lĂ©rateur. D’autres rĂ©gions sont historiquement beaucoup moins stabilisĂ©es.

Weka : Qu’est-ce qui motive les collectivitĂ©s Ă  se lancer dans de tels projets ?

Jean-Robert Massimi : Un souci de cohĂ©rence des projets urbains, de l’amĂ©nagement territorial. Avec la dĂ©centralisation, on a donnĂ© beaucoup de compĂ©tences aux collectivitĂ©s territoriales, mais pour qu’elles s’appliquent et soient visibles, pour une transformation qualitative du territoire, il faut atteindre un certain seuil de taille. J’y vois lĂ  la principale motivation. Les Ă©lus ayant une vision territoriale savent que l’extension est nĂ©cessaire au dĂ©veloppement du territoire.

Weka : Les rapports entre les collectivitĂ©s et l’État sont aujourd’hui assez tendus, Ă  propos des finances notamment. En tant que « transfuge Â» du monde territorial au sein d’un ministère, quel regard portez-vous lĂ -dessus ?

Jean-Robert Massimi : Ca n’est pas nouveau. Il y a deux critiques historiques des collectivitĂ©s envers l’État, deux craintes majeurs : que l’État recentralise, et qu’il ne donne pas aux collectivitĂ©s les moyens dont elles ont besoin. L’addition de la rĂ©forme territoriale, de la suppression de la taxe professionnelle, ajoutĂ©e Ă  un contexte difficile, créé des tensions.

Les rapports entre l’État et les collectivitĂ©s n’ont rien de nouveau, les tensions sont juste un peu exacerbĂ©es. La rĂ©forme territoriale vise d’ailleurs aussi, via la mutualisation, Ă  faire faire des Ă©conomies aux collectivitĂ©s.

Weka : Selon-vous, la sphère territoriale est-elle reconnue Ă  sa juste valeur ?

Jean-Robert Massimi : C’est un monde riche, variĂ©, innovant, producteur, mais non connu et reconnu Ă  la hauteur de ce qu’il fait, avec une visibilitĂ© sociale, mĂ©diatique, insuffisante. Pourtant, la vie est rĂ©glĂ©e par les collectivitĂ©s, dès la crèche. Je rĂ©flĂ©chis d’ailleurs Ă  la crĂ©ation d’un think tank spĂ©cialisĂ©, une fondation qui travaillerait Ă  mettre en valeur le Â« monde local Â».


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