Ehpad : l’Alsace divise en autorisant les tarifs différenciés

Publié le 28 septembre 2023 à 16h30 - par

Tarification équitable ou rupture de service public ? La Collectivité européenne d’Alsace (CEA) a décidé d’autoriser les Ehpad non lucratifs à fixer, pour une même prestation d’hébergement, des tarifs différenciés aux résidents en fonction de leurs moyens financiers, un virage qui inquiète certains établissements.

Ehpad : l'Alsace divise en autorisant les tarifs différenciés
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L’équation est connue : face à l’inflation, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ont de plus en plus de difficultés à boucler leurs budgets. Selon la Fédération hospitalière de France (FHF), 85 % des Ehpad publics affichaient un déficit pour 2022, et les signaux pour 2023 n’invitent pas à l’optimisme.

Mais redresser la barre n’est pas aisé : ces établissements ne sont pas maîtres de leurs ressources. Le tarif facturé aux résidents est fixé par chaque conseil départemental, qui détermine un prix de journée identique pour tous les Ehpad non lucratifs.

La Collectivité européenne d’Alsace (fusion des conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin) a ainsi réévalué à la hausse ce prix de journée de 2 % en 2022 et de 3 % en 2023, pour atteindre 69,67 euros (en moyenne, variable selon les prestations offertes). Des hausses qui ne suffisent pas face à la hausse des prix constatée, notamment pour l’alimentation, l’énergie et les charges de personnel.

Alors, face aux demandes des professionnels, la CEA a cherché une solution. Mais augmenter de nouveau le prix de journée aurait des conséquences sur ses finances : le conseil départemental verse l’ASH, l’aide sociale à l’hébergement, octroyée aux résidents qui ne peuvent pas payer l’intégralité de leur facture d’Ehpad.

Revaloriser de 2 % le prix de journée revient à augmenter d’autant l’enveloppe budgétaire consacrée à cette aide. Les hausses décidées en 2022 et 2023 représentent ainsi un effort financier de 5,2 millions d’euros pour la CEA.

La Collectivité a donc fait un autre choix : mettre en place un « tarif différencié ». En clair, les établissements volontaires pourront augmenter leur tarif, mais uniquement pour les résidents non bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement. Les autres, pris en charge par le département, ne seront pas concernés.

Rupture de service public

« Le département ne veut pas assumer la part qui est la sienne », critique Florian Kobryn, élu d’opposition à la CEA, qui y voit une « rupture de service public ». « Ça va représenter un manque à gagner pour les établissements, qui va se répercuter sur les autres familles », anticipe-t-il.

Chez les gestionnaires d’établissement, la mesure divise. « On est favorable aux tarifs différenciés, parce que c’est une question de survie économique », indique Annabelle Veques, directrice générale de la Fnadepa, une association de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées. « Mais plus ça va être cher, plus certaines personnes vont faire le choix de rester à domicile, dans des conditions parfois inadaptées ».

Surtout, le tarif différencié, qui ne s’appliquera qu’aux nouveaux résidents, génère aux yeux de certains directeurs un risque de sélection par les revenus, au bénéfice des personnes âgées capables de payer le surcoût.

« On va rechercher les résidents solvables », craint Jean Caramazana, directeur général de l’Abrapa, association qui gère 13 Ehpad alsaciens au déficit cumulé de 2 millions d’euros pour 2023. « Il y aura la tentation pour les gestionnaires de dire “je dois trouver de l’argent pour rembourser les dettes, pour investir” ».

Lui aurait préféré une solution sur-mesure : que le Conseil départemental décide d’une hausse du prix de journée propre à chaque établissement en fonction de sa situation budgétaire, et applicable à tous les résidents.

« Je suis déçu », commente-t-il face à l’instauration des tarifs différenciés. « Ce n’est pas ce qu’on demande, et ça ne résout pas le problème : même si je ne prenais que des résidents solvables, il faudrait que j’attende cinq ans (la durée moyenne de séjour) pour qu’ils paient tous le nouveau prix. Mais dans cinq ans, il n’y aura plus d’Ehpad ! ».

Karine Pagliarulo, vice-présidente de la CEA chargée des personnes âgées, défend son dispositif, tout en appelant l’État à renforcer l’accompagnement des établissements.

« Si les départements avaient les moyens, ils pourraient augmenter » le prix de journée, assure-t-elle. « Mais nous sommes dans un budget contraint, on ne peut pas se le permettre ».

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