Vous avez fait partie des 25 collectivités ayant expérimenté la certification des comptes entre 2021 et 2025 : pourquoi ?
L’article 110 de la loi de NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) du 7 août 2015 avait en effet amené 25 collectivités locales à expérimenter la certification des comptes en deux temps : préparation de 2017 à 2020, puis expérimentation de 2020 à 2024.
Le maire de Sceaux, Philippe Laurent, souhaitait que la ville, pionnière dans le domaine des finances et des RH1, participe. Il s’agissait aussi de faire entendre la voix des petites collectivités face à des décisions normatives impliquées par la certification. Expérimenter, c’était aussi se donner le temps de se préparer. L’objectif était enfin de parfaire notre qualité comptable et de booster le management en offrant un projet de qualité aux cadres A du service financier. Moi-même et la cheffe de service finances et qualité comptable, cheffe de projet sur le sujet sommes là déjà depuis le début de l’expérimentation. Depuis cette année, l’expérimentation étant officiellement achevée, nous poursuivons la certification de manière conventionnelle.
Concrètement, comment s’est déroulée l’expérimentation ?
On a au départ travaillé à moyens constants, en plus de notre travail habituel. Partir en formation, recevoir les commissaires aux comptes (CAC) et mener des actions ponctuelles, on y arrivait. Par contre, lorsqu’il a fallu contrôler et justifier l’inventaire ou mener des actions nécessitant 30 ou 50 jours de travail, par exemple nos milliers de fiches immobilisations, le maire a alors accepté de recruter il y a cinq ans une chargée de mission. Puis, la littérature et la formation classique ne nous suffisant pas, il a accepté de signer la mission d’un cabinet de CAC pour quelques mois, de façon à nous aider à bien comprendre la méthodologie pour rédiger un contrôle interne. La certification demande un véritable engagement des agents. Mon adjointe a déposé pendant l’expérimentation près de 30 jours de compte épargne-temps par an.
Lors des trois années de préparation, les CAC de la Cour des comptes nous ont audités et formés. Sommes-nous au niveau attendu pour être audités par un CAC ? Tel numéro de compte n’est pas bon ! Que faut-il faire pour rendre tel point conforme ? Lors de l’expérimentation proprement dite, les CAC du cabinet Deloitte puis d’Ernst & Young ont exercé de vraies missions de contrôle. La première année, il leur a été impossible de nous certifier, comme pour la quasi-totalité des collectivités expérimentatrices, l’organisation des comptes des collectivités locales étant en décalage par rapport à leurs attentes. Il a alors fallu faire évoluer la loi sur deux points. Une collectivité locale n’ayant pas de compte bancaire propre mais un Service de gestion comptable (nouveau nom de la Trésorerie) commun à toutes les collectivités, il était impossible pour les CAC de distinguer ce qui concerne chaque collectivité particulière sans données précises de la Direction générale des finances publiques (DGFIP), que celle-ci a accepté de communiquer la seconde année. Deuxième point, pour être conforme, il faut être en mesure de prouver sans limite de temps toute opération comptable et notamment les dotations. Ceci étant souvent très compliqué pour une collectivité qui date des années 1830, la conformité exige désormais des justifications par des pièces comptables n’allant pas au-delà de cinq ans d’âge pour les dotations de l’État (équivalent du capital social d’une entreprise).
Les trois années suivantes, la ville a été certifié avec seulement deux réserves, communes à la plupart des autres collectivités. La première, c’est de ne pas pouvoir prouver que toute la taxe foncière à laquelle la collectivité a le droit, lui est effectivement versée, la DGFIP ne voulant pas être contrôlée sur sa manière de calculer l’impôt. Deuxième réserve, la collectivité locale ne disposant pas de toutes les archives nécessaires, ne peut ni donner toute la documentation ni justifier toutes les valeurs des immobilisations et des actifs. En outre, son inventaire (ordonnateur) n’est pas strictement conforme à l’actif réalisé par le comptable public, obligation imposée par la M572.
À l’aune de l’expérimentation, quels sont les avantages de la certification ?
Notre qualité comptable s’est améliorée. Nous avons désormais une meilleure connaissance de nos risques. Quand la ville émet un titre de recettes, elle assure un suivi et provisionne en cas de risque de non-paiement. Idem quand elle part en contentieux : elle provisionne pour risque de perte au tribunal. La démarche nous a par ailleurs permis de mieux connaître notre actif sur les plans financier et juridique, rapprochant ainsi mieux inventaire et actif. On a en effet recherché dans nos archives les actes d’acquisition de tous nos bâtiments – une centaine – : nous disposons désormais d’une banque de données complète de nos bâtiments. Une autre collectivité expérimentatrice a découvert qu’elle était bénéficiaire de legs et donc propriétaire d’appartements qu’elle pouvait donc vendre.
Nous maîtrisons également le concept de contrôle interne et les risques inhérents, alors qu’auparavant, nous faisions plutôt une succession d’opérations, sans envisager clairement les risques de fraude ou de perte associés. C’est très important pour la paye ou les régies. Quand on fait une paye, il faut vérifier que le RIB existe bien, que l’agent n’a pas de casier judiciaire ou encore l’état des heures supplémentaires demandées. Le fait de formaliser les processus en les rédigeant garantit un meilleur résultat. Cela permet en outre aux nouveaux arrivants de saisir tout de suite le mode opératoire. Enfin, la communication entre l’ordonnateur et le comptable s’est améliorée.
La certification des comptes comporte aussi des freins : le coût, un cadre pas toujours adapté au secteur public, non ?
Il faut un engagement fort des parties prenantes. À Sceaux, nous faisons cela en plus de notre travail quotidien antérieur. Heureusement, notre équipe solide a pu récupérer certaines de nos tâches et notre expérience sur le poste nous permet de réaliser plus rapidement les tâches. Cette certification nous coûte 60 000 €/an d’interventions du CAC, auxquels il faut ajouter ½ ETP de notre chargée de mission, soit 40 000 €, sans oublier la formation initiale et le temps passé par moi-même et ma cheffe de service.
La mise en œuvre des attentes des CAC et de la certification représente également des coûts : provisionner pour contentieux ou pour des créances douteuses, provisionner année après année le compte épargne-temps (800 000 euros). Certaines collectivités expérimentatrices ont demandé à être certifiées avec une réserve sur ce point, plutôt que de budgéter des provisions.
Globalement, le cadre de la certification s’adapte bien au secteur public, avec l’utilisation de la M57. Toutefois, étendre la limitation de l’antériorité des pièces comptables à 5 ans pour les immobilisations dans leur ensemble serait adapté. La comptabilité publique n’oblige pas à amortir les voiries et les bâtiments. Certes, pour une bonne connaissance et prévisibilité des travaux, il faudrait le faire, mais ce serait insoutenable budgétairement. Côté calendrier, le CAC nous demande des corrections pour les provisions de CET, mais on ne connaît les résultats qu’en mars de chaque année et on ne peut corriger qu’à ce moment-là, ce qui nécessite une délibération annuelle et une modification a posteriori des résultats de l’exercice…
La certification des comptes vous fait-elle faire des économies ?
Formaliser les processus, c’est s’assurer de mieux récupérer toutes les recettes auxquelles on peut prétendre ou de ne pas engager de dépenses qui donneraient lieu à des indus, en déjouant par exemple de faux ordres de virement. Mais nous n’avons pas chiffré ces recettes en plus ou ces dépenses en moins. On estime toutefois que les gains couvrent le coût annuel des CAC. Nous avons par contre travaillé sur les baux emphytéotiques3 et observé sur les 15 dernières années une recette non appelée de 400 000 euros au total que nous avons récupérée en trois semaines.
La certification sera-t-elle généralisée ?
À Sceaux, nous continuons de manière conventionnelle, d’autres collectivités ont décidé d’arrêter, soit parce que l’élu ou le DGS porteur n’est plus là, soit parce que la collectivité (un département notamment) n’a plus les moyens de le faire, soit parce qu’elle estime que le saut qualitatif a été fait. Aucune généralisation n’est prévue par la loi. Dans le bilan du gouvernement de 2023, celui-ci voulait encourager les collectivités les plus importantes à certifier volontairement leurs comptes à partir de 2028. À l’expérience, c’est plutôt adapté pour des villes de grande taille, à partir de 40 000 habitants : pour nous par exemple, cela fonctionne grâce à l’engagement de mon adjoint et moi-même, mais que se passerait-il si nous partions ? Toujours selon ce bilan et pour les autres, pourrait être adoptée une synthèse de la qualité des comptes par le comptable public. Ce n’est pas adapté selon nous, le comptable public étant juge et partie, contrairement à un CAC. Faut-il en outre faire une certification seulement par mandat ? C’est ce que propose le bilan du gouvernement de 2023. Mais sera-ce efficace ?
En tout cas, les collectivités expérimentatrices sont convaincues de l’utilité de l’exercice pour garantir la qualité des comptes locaux et les inscrire dans les mêmes règles de contrôle que toutes les entités publiques (État, sécurité sociale, hôpitaux et universités), comme l’ont rappelé les intervenants au colloque sur la certification des comptes qui s’est tenu le 2 juin 2025 au Sénat.
Propos recueillis par Frédéric Ville
1. P. Laurent a dirigé un cabinet de finances locales et est aujourd’hui président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale.
2. Cadre budgétaire et comptable applicable aux collectivités.
3. Contrat de location à très long terme (18 à 99 ans) qui confère au locataire (l’emphytéote) un loyer très faible, celui-ci investissant dans la construction ou l’entretien.
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* Deux bilans :
* Philippe Laurent. Les enseignements de l’expérimentation de la certification des comptes, l’exemple de Sceaux. In Revue française des finances publiques. À paraître à l’automne 2025. Pour Philippe Laurent, « l’affaire prend un tournant politique, la DGFIP s’opposant à la généralisation, l’expérimentation l’ayant mis en cause comme ayant des difficultés à fournir des chiffres précis aux collectivités locales en matière d’imposition (taxe foncière) ». |
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