Collectivités locales : “Pour sortir de l’instabilité budgétaire, il faut des règles pluriannuelles de cadrage”

Publiée le 5 septembre 2025 à 12h00 - par

Pour Michel Klopfer, consultant en finances locales, l’effort demandé aux collectivités locales paraît inévitable, quelles que soient les évolutions politiques à venir. Le contrôle de l’inflation normative reste pour elles un levier de négociation possible. Surtout, pour mettre fin à une instabilité dommageable à leur action, il est urgent d’établir des règles pluriannuelles de cadrage budgétaire.
Collectivités locales : “Pour sortir de la crise budgétaire, il faut des règles pluriannuelles de cadrage”

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Dans un contexte où l’effort demandé aux collectivités locales a été doublé par le Premier ministre François Bayrou à 5,3 Mds€, mais alors que ce dernier s’expose à un vote de défiance, comment les collectivités peuvent-elles préparer leur budget : leur faut-il attendre ou non, être prudentes ou non, rogner sur certaines politiques publiques ou non ?

Précisons que pour le Dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), il était acquis dès la publication de la loi de finances (LF) du 14 février 2025 pour 2025 qu’il allait se poursuivre1. En effet, selon l’article 186 de la loi, « le produit de la contribution mentionnée au II est reversé, les trois années suivant sa mise en réserve, à hauteur d’un tiers par année et dans la limite du montant du produit de la contribution pour l’année en cours ». C’est ce que j’ai indiqué dans mon audition au Sénat fin mai dernier. Cela amène à se poser la question de la crédibilité du dossier de freinage des dépenses publiques défendu par la France auprès de Bruxelles : rendre les sommes épargnées ne contribue pas à redresser les comptes publics…

Pour les collectivités locales, la situation actuelle est délicate. On ne sait pas s’il y aura des élections, à quelle date, ni non plus quand une nouvelle loi de finances (LF) sera présentée et votée… Ce n’est pas sous prétexte que 95 % de l’activité de mon cabinet est tournée vers les collectivités locales, que je dois avoir un discours corporatiste. Il faut regarder les choses en face : le 8 septembre, le gouvernement devrait tomber ; le 10, ce sera la journée des syndicats ; et le 12, la note de l’agence Fitch pour la France sera dégradée. Pour reprendre une phrase célèbre2, « notre pays brûle et nous regardons ailleurs ».

La majorité des élus accepteraient des réductions de dépenses, mais à la condition que le gouvernement leur donne enfin une perspective pluriannuelle des règles budgétaires et du soutien de l’État. Au lieu de cela, à quatre mois de la fin de l’année, les collectivités locales ne savent pas quelles règles prévaudront en 2026. C’est comme si les entreprises ne connaissaient pas le niveau des charges sociales, le taux des prélèvements de l’an prochain… Jusqu’ici, on a toujours raisonné en indiquant qu’il fallait sauver l’investissement. Mais aujourd’hui, on appuie davantage sur les investissements dans la transition écologique et on commence à dire qu’il y a des investissements qui sont moins nobles que d’autres.

La situation pourrait certes réduire les ambitions des candidats aux prochaines élections municipales, mais, rappelons-le… les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Au début de ma carrière, il y a 35 ans, j’avais rédigé un article sur les ratios d’endettement, en illustrant sur la base des résultats de 1989, que les élections municipales ne se faisaient pas sur des critères financiers. Cela n’a pas changé aujourd’hui. Tout au plus, les nouveaux candidats pourront simplement dans leur campagne utiliser le bilan financier de leur adversaire sortant… si celui-ci n’est pas bon.
En fait, le monde politique français actuel, national ou local, n’est pas prêt à prendre en considération le critère financier de manière prépondérante. Il faudra pour cela un choc extérieur, par exemple une forte dérive du taux de rendement de l’obligation d’État, suite à une dégradation de la note de la France par les agences. C’est ce qui s’est passé il y a 15 ans pour plusieurs pays de l’Europe du Sud.

L’Association des Maires de France et la plupart des associations d’élus souhaitent que certaines autres pistes soient explorées : « réduire les dépenses contraintes imposées par l’État aux collectivités », « geler les hausses de cotisations CNRACL », « supprimer les normes coûteuses déjà adoptées ». Est-ce encore une variable de négociation pour la prochaine LF ?

Le problème, c’est que ces deux premières mesures transféreraient des dépenses à l’État, sans donc réduire le déficit public. Quant aux normes, les réduire contrarierait les objectifs écologiques que tous ont mis peu ou prou dans leurs programmes. À ma dernière audition au Sénat, j’ai bien sûr reconnu qu’il faut isoler les bâtiments ou lutter contre les îlots de chaleur. Mais faut-il encore vérifier la rentabilité, évaluer le taux de rentabilité interne. Or, les cabinets missionnés sont prêts à surévaluer les économies et minimiser les investissements nécessaires pour caresser les collectivités dans le sens du poil… et poursuivre leur mission auprès d’elles. J’avais suggéré à l’Inspection générale des finances qui m’avait auditionné en 2012 d’interdire à un bureau d’études ayant réalisé une évaluation préalable en amont de participer à un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage en aval, mais il n’y a pas eu de suite…

Pour autant, il me semble qu’on viendra à une réduction des normes, de la même façon qu’on a atténué par décret les normes comptables en 20153 : depuis lors, les collectivités locales peuvent en effet neutraliser l’amortissement des subventions d’équipements reçues, ce qui n’était pas le cas auparavant. Les normes constituent bien une variable de négociation pour la prochaine loi de finances (LF), ce qui contrariera en revanche les écologistes.

En l’absence de dissolution de l’Assemblée nationale, ne reviendra-t-on pas vers un nouveau gouvernement qui redemandera une réduction des efforts aux collectivités locales comme pour la LF pour 2025 ? Serait-ce une nouvelle fois reculer pour mieux sauter ?

Si le gouvernement actuel chute et si le président de la République dissout l’Assemblée nationale, la situation ne serait pas nécessairement plus stable. De même s’il nomme Premier ministre une personnalité de gauche ou de droite, aucune n’ayant de majorité parlementaire. Dans tous les cas, cela n’améliorerait pas l’image de la France vis-à-vis des agences de notation et des acheteurs de la dette publique.

Dans un contexte où la France se classe 25e sur 27 parmi les pays de l’Union européenne, en matière de déficit public ainsi que de dette publique en pourcentage du PIB, il parait inévitable que l’État continue à demander aux collectivités locales des efforts budgétaires. Par contre, il me semble qu’en contrepartie, de la même façon que les traités européens par exemple s’imposent à nos lois4, il faudra inscrire dans la Constitution des règles pluriannuelles de cadrage budgétaire. Il s’agit de sortir d’une instabilité, qui, existant déjà avant la crise actuelle, s’est amplifiée avec celle-ci.

Propos recueillis par Frédéric Ville


1. Dilico reconduit, dynamique de TVA limitée au niveau de l’inflation, écrêtement de la dynamique de la compensation au titre des valeurs locatives des locaux industriels et diminution des variables d’ajustement.

2. Jacques Chirac, lors du quatrième Sommet de la terre à Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».

3. Voir Décret n° 2015-1846 du 29 décembre 2015.

4. Voir art. 55 de la Constitution.

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