“Il reste des progrès à accomplir sur la fiabilité et la sincérité des comptes”

Publiée le 19 avril 2023 à 10h00 - par

Entretien avec Bertrand Diringer, Président de la Chambre régionale des comptes Pays de la Loire.
“Il reste des progrès à accomplir sur la fiabilité et la sincérité des comptes”

Comment se portent les finances locales à la lumière de votre activité de contrôle et d’évaluation ?

Il serait présomptueux pour une seule chambre régionale comme celle des Pays de la Loire de dresser un tableau d’ensemble de l’état des finances locales. Elle n’est pas outillée pour cela et ce n’est pas sa vocation première. Pour autant, elle participe avec les autres chambres aux travaux de la Cour des comptes qui publie annuellement un rapport sur les finances locales consultable en ligne. Le dernier en date, publié à l’automne 2022, soulignait les incertitudes dues à la situation internationale. Selon la Cour, celle-ci est susceptible « de peser sur les charges des collectivités, de manière directe (coût des achats et services) ou indirecte (mesures salariales, dont la hausse du point d’indice). Dans le même temps, du fait de l’inflation, leurs produits de fonctionnement pourraient rester assez dynamiques, avec une hausse des produits de la fiscalité locale et économique, dont les produits de TVA issus des récentes réformes fiscales ».

S’agissant des Pays de la Loire, quelques indices conduisent à penser que, sauf exceptions somme toute assez ponctuelles, les collectivités ne rencontrent pas de difficultés majeures. La chambre est très peu saisie au titre de sa mission de contrôle budgétaire : elle n’a eu à traiter que quatre dossiers en 2022. Par ailleurs, au travers de ses contrôles de gestion, se dégage une impression d’équilibre général des comptes, malgré la crise sanitaire et, jusqu’à présent du moins, malgré la poussée inflationniste. Celle-ci a pu susciter quelques craintes, s’agissant principalement de la forte augmentation du prix de l’énergie. Il faut tout de même rester prudent à cet égard, car l’inflation semble loin d’être jugulée et les récentes difficultés du secteur bancaire créent de nouvelles incertitudes. Si nombre d’entités publiques locales ont des marges financières confortables, voire excessives pour certaines, quelques-unes connaissent des tensions. Mais, globalement, la croissance démographique des Pays de la Loire et une situation économique comparativement plutôt favorable ont des effets positifs sur les finances locales.

Le juge financier est amené à connaître des politiques publiques locales dans tous leurs aspects au travers de leurs implications budgétaires. Quelles sont les priorités du moment et quelles difficultés posent-elles aux budgets locaux ?

Il reste encore, pour quelques budgets locaux, à solder les conséquences financières parfois lourdes d’emprunts structurés, anciens pour la plupart. La restauration d’une capacité d’autofinancement est ici ou là un préalable pour faire face aux projets d’investissement sans recours excessif à l’endettement. À l’inverse, dans quelques autres situations, ce sont les marges inutilisées qui posent problème. La chambre peut alors inciter les collectivités, soit à les mobiliser pour exercer pleinement leurs compétences et répondre davantage aux attentes des usagers, soit à alléger la pression fiscale sur les contribuables. La gestion des ressources humaines est aussi un enjeu important, avec le juste équilibre à trouver entre la réponse aux besoins de la population et la maîtrise de la masse salariale. De manière générale, il reste des progrès à accomplir sur la fiabilité et la sincérité des comptes, notamment en matière de provisionnement, d’amortissement, d’engagement comptable, ou encore de rattachement des charges et des produits à l’exercice. Enfin, la gestion des achats reste un point important de vigilance, tant sur le plan du respect des règles de la commande publique que de l’efficience, à savoir le souci permanent d’obtenir la meilleure prestation au moindre coût.

Les juridictions financières ont vu leur rôle transformé par l’ordonnance du 23 mars 2022, dans la mesure où vous n’êtes plus juges des comptables publics locaux. Que change la réforme pour les gestionnaires publics ?

Une réforme était nécessaire. Le dispositif de jugement des comptes des comptables publics avait ses vertus, mais il était devenu au fil des temps excessivement complexe et difficilement compréhensible par tous les acteurs. Certes, les chambres régionales ne jugeront plus directement les comptes. Cependant, l’instauration de la responsabilité unifiée des gestionnaires publics leur laisse une place essentielle. Il leur reviendra dorénavant d’alimenter la chambre du contentieux de la Cour des comptes en cas d’identification d’un certain nombre d’infractions financières qui s’inspirent largement de celles dont avait à connaître l’ancienne Cour de discipline budgétaire et financière. Par ailleurs, la gestion de fait devient une infraction en tant que telle, susceptible d’être poursuivie devant la Cour des comptes, quels qu’en soient les auteurs. En effet, le principe fondamental de la séparation de l’ordonnateur et du comptable subsiste, et avec lui le monopole de ce dernier dans le maniement des deniers publics. Même si sa responsabilité personnelle et pécuniaire disparaît, le comptable public reste une vigie susceptible de s’opposer par la suspension de paiement à une dépense insuffisamment justifiée, quitte à être réquisitionné par l’ordonnateur. Mais il y a alors substitution de responsabilité et justiciabilité de l’ordonnateur élu, si un avantage injustifié est accordé à cette occasion, que ce soit à autrui ou à soi-même.

Dans le même temps, votre activité d’évaluation est en train d’être renforcée. De  quoi s’agit-il et comment cela se concrétise-t-il, s’agissant par exemple des budgets verts ? Sait-on aujourd’hui les évaluer ? Si oui comment ?

Avec la loi du 21 février 2022 dite 3DS, l’évaluation des politiques publiques, déjà mise en œuvre par la Cour des comptes, devient également une compétence propre des chambres régionales des comptes. Celles-ci sont désormais en capacité de l’exercer sur saisine des principaux exécutifs locaux (région, départements, métropoles), mais elles peuvent aussi s’autosaisir. Si le contrôle de la gestion comportait déjà une dimension évaluative, avec l’examen des résultats atteints par rapport aux objectifs fixés par les organes délibérants, l’évaluation des politiques publiques est plus ambitieuse puisqu’elle va s’étendre à l’impact des actions menées. Cela suppose une méthodologie particulière, notamment la formulation pertinente des questions évaluatives, un travail rigoureux sur les données qui sous-tendent l’analyse, ainsi que la mise en place d’un comité d’accompagnement réunissant les parties prenantes de cette politique, dont naturellement les usagers.

Parmi de nombreux sujets préoccupant les citoyens dans tous les secteurs (santé, culture, éducation, logement, transports, action sociale…), les thèmes relatifs à l’environnement pourraient être au cœur des évaluations à venir. Comme les autres, la chambre régionale des comptes Pays de la Loire se met en ordre de marche pour y faire face, ce qui conduira à nouer des partenariats avec d’autres acteurs : Insee, comité économique, social et environnemental régional (CESER), universitaires, entre autres.

Dans les domaines concernés par les budgets verts, la chambre s’est d’ores et déjà penchée sur la prévention et la gestion des déchets, la gestion quantitative de l’eau, la gestion du trait de côte. Elle pourrait s’intéresser dans un avenir proche aux questions de pression foncière et d’utilisation optimale du  sol. Elles sont complexes, car elles doivent concilier la préservation des zones naturelles et des surfaces agricoles avec les besoins du logement et du développement économique.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant, Professeur à Le Mans Université, Membre de l’IUF

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