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La reconnaissance des signes diacritiques dans les documents de l’état civil

Publié le 29 octobre 2018 à 9h01 - par

Intimement lié à la linguistique et obéissant aux règles grammaticales propres à chaque langue, l’usage du signe diacritique est devenu, entre les défenseurs du français et les tenants des langues régionales*, un sujet polémique qui a des implications jusque dans  l’établissement des actes de l’état civil.

La reconnaissance des signes diacritiques dans les documents de l'état civil

Le « diacritique » est un signe qui s’ajoute à une lettre de l’alphabet pour en modifier la prononciation ou distinguer le mot qui l’inclut d’un autre mot homonyme. Il peut être placé au-dessus (diacritique suscrit) tel qu’un accent ou un tréma, au-dessous (diacritique souscrit) comme la cédille, devant (diacritique prescrit), derrière (diacritique adscrit), dedans ou à travers (diacritique inscrit) la lettre à laquelle il se rattache.

L’usage réglementé des signes diacritiques dans les actes de l’état civil…

Le cadre juridique des actes de l’état civil est défini aux articles 34 et suivants du Code civil.

Établis par les officiers d’état civil sous le contrôle du procureur de la République et inscrits, dans chaque commune, sur un ou plusieurs registres1, les actes de l’état civil sont dressés pour les naissances, les reconnaissances de filiation, les mariages et les décès et comportent nécessairement les prénoms et noms de leurs auteurs et de ceux qui y sont dénommés2.

Actes officiels exprimant d’une certaine façon la souveraineté de l’État, ils sont rédigés en langue française et obéissent à ses règles orthographiques.

Sur ce point, la circulaire du 23 juillet 2014 relative à l’état civil rappelle que « seul l’alphabet romain peut être utilisé et que seuls les signes diacritiques admis sont les points, tréma, accents et cédilles tels qu’ils sont souscrits ou suscrits aux voyelles et consommes autorisés par la langue française »3.

Par alphabet romain, l’on doit entendre le seul alphabet utilisé pour l’écriture de la langue française, qui est un dérivé de l’alphabet latin et roman4.

Cette même circulaire énonce les voyelles et consonne accompagnées d’un signe diacritique qui sont connues dans la langue française et dont la retranscription est autorisée dans les actes de l’état civil, à savoir : à, â, ä, é, è, ê, ë, ï, î, ô, ö, ù, û, ü, ÿ et ç ; étant précisé que ces signes diacritiques concernent tant les lettres majuscules que les minuscules.

Peuvent également être portées sur un acte de l’état civil les ligatures « æ » (ou « Æ ») et « œ » (ou « Œ »), équivalents de « æ » (ou « Æ ») et « œ » (ou « Œ »), qui sont admises par la langue française.

En revanche, les autres signes diacritiques qui font partie de certains alphabets romains mais qui n’ont pas d’équivalent en français, tel que le « tilde » espagnol, et, a fortiori, l’utilisation de signes appartenant à un autre système d’écriture que l’alphabet romain (alphabet cyrillique, idéogrammes…) n’ont pas leur place dans les actes de l’état civil5.

Cette « doctrine » administrative, relative à l’usage des signes diacritiques dans les actes de l’état civil, s’appuie sur plusieurs textes d’ancienneté variable :

  • le décret du 2 thermidor an II – ou du 20 juillet 1794 –, dit de « la Terreur linguistique », qui imposait que, sur tout le territoire français, tout acte public soit écrit en langue française ;
  • l’arrêté consulaire du 24 prairial an XI – ou du 13 juin 1803 – qui spécifiait que les actes publics devaient être rédigés en français même dans les régions où il était toujours d’usage de les rédiger dans la langue locale ;
  • l’article 2, premier alinéa, de la Constitution du 4 octobre 1958, résultant de la loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992, qui dispose que « la langue de la République est le français » ;
  • et l’article 1er de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française qui précise que, « langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France » et « est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ».

Sur le fondement de ces textes, l’autorité étatique considère donc que les actes de l’état civil, qui ont une valeur authentique, doivent être rédigés en français et selon les règles orthographiques inhérentes à cette langue.

… ne porte pas atteinte au principe de la liberté de choix de prénoms, ni aux droits linguistiques

Le principe de la liberté de choix des prénoms de l’enfant par ses parents est consacré à l’article 57 du Code civil, lequel prévoit, en son 2e alinéa, que « Les prénoms de l’enfant sont choisis par ses père et mère »6.

En vertu de ce principe, les parents peuvent choisir les prénoms de leurs enfants et, à cet égard, faire usage d’une orthographe non traditionnelle, sous la stricte réserve toutefois que celle-ci ne comprenne que les lettres diacritées et les ligatures de la langue française admises dans les actes de l’état civil.

Le juge judiciaire a été saisi d’actions contentieuses relatives au refus d’officiers d’état civil d’enregistrer un prénom suivant l’orthographe de langue régionale, comme le catalan ou le breton.

Dans ces affaires, les parents estimaient que ce refus était contraire au principe de liberté de choix de prénoms, ainsi qu’à l’article 75-1 de la Constitution7 et au droit au respect de sa vie privée et familiale garantie par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

À titre d’exemple, la Cour d’appel de Montpellier a, par un arrêt du 26 novembre 2001, estimé fondé le refus opposé par un officier d’état civil de retranscrire sur un acte de l’état civil le prénom « Marti » dans son orthographe résultant du catalan, aux motifs :

  • qu’en application des articles 1er et 2 de la Constitution, tels qu’interprétés par le juge constitutionnel8, l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé et, réciproquement, les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français ; de sorte que les actes d’état civil, actes authentiques par nature, doivent être rédigés dans cette langue ;
  • que si le choix du prénom est libre selon l’article 57 du Code civil, cette liberté doit s’articuler avec ces principes supérieurs qui en restreignent l’exercice ;
  • qu’en l’espèce, le prénom « Marti », avec un accent aigu sur le i, choisi par les parents est un prénom catalan et qu’en français, le i accompagné d’accent aigu n’existe pas ; si bien que, non conforme à l’alphabet romain et à la structure fondamentale de la langue française, la transcription de ce prénom dans son orthographe catalan n’est pas possible et qu’en acceptant le prénom Marti écrit selon les usages de la langue française, l’officier d’état civil a respecté le choix des parents dans les limites des principes susrappelés9.

Saisie en dernier lieu par les parents, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé, par une décision de non recevabilité en date du 25 septembre 200810, que si les contestations relatives aux noms et prénoms des personnes physiques tombent dans le champ de l’article 8 de la Convention garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté linguistique ne figure pas, en tant que telle, parmi les matières régies par la Convention et celle-ci ne garantit pas le droit d’utiliser une langue particulière dans les rapports avec les autorités publiques.

La Cour a ainsi reconnu aux États une large marge d’appréciation pour imposer et réglementer l’utilisation de leur(s) langue(s) officielle(s) dans les pièces d’identité et autres documents officiels, pour maintenir l’unité linguistique du pays.

Très récemment, la Cour d’appel de Rennes a examiné la demande présentée par des parents de retranscrire, sur l’acte de naissance de leur enfant, le prénom « Fanch » orthographié selon la langue bretonne avec un « ñ » ; orthographe refusée par l’officier d’état civil de Quimper et par le tribunal de grande instance de Quimper qui, par un jugement du 13 septembre 2017, a considéré que le tilde est incompatible avec la langue française11.

Cette affaire, mise en délibéré au 19 novembre 2018, est susceptible d’intéresser le catalan et le basque, langues dans lesquelles l’on trouve également la présence du tilde dans certains prénoms.

Donatien de Bailliencourt, Avocat Counsel, cabinet Granrut


* v. à ce propos l’amendement n° 1534 proposé après l’article 62 du projet de loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, proposant l’abrogation du décret du 2 thermidor an II et de l’arrêté consulaire du 24 prairial an XI, rejeté le 23 juin 2016 par l’Assemblée nationale (loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté).

1. Articles 34-1 et 40 du Code civil.

2. Article  34 du Code civil.

3. NOR : JUSC1412888C, BOMJ n° 2014-07 du 31 juillet 2014.

4. v. l’instruction générale relative à l’état civil en date du 11 mai 1999, NOR : JUSX9903625J, § 106.

5. Rép. Min. à question écrite n° 03860, JO S., 5 juillet 2018, p. 3356.

6. Cet alinéa résulte de la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 modifiant le Code civil relative à l’état civil, à la famille et au droit de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales.

7.L’article 75-1 de la Constitution dispose que « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».

8. v. notamment Cons. const., 15 juin 1999, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, n° 99-412 DC.

9. CA Montpellier, 26 novembre 2001, Baylac-Ferrer et Suarez, n° 01/02858.

10.CEDH, 25 septembre 2008, Baylac-Ferrer et Suarez, n° 37977/04.

11. « Interdit à l’état civil, le « ñ » revient devant la justice », AFP, Lefigaro.fr, 8 octobre 2018.

Auteur :

Donatien de Bailliencourt

Donatien de Bailliencourt

Avocat Counsel, Granrut Avocats


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