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« Circulaire Castaner » : le Conseil d’État, garant du clivage gauche/droite ?

Publié le 4 février 2020 à 16h33 - par

Dans son ordonnance n° 437675, 437795, 437805, 437824, 437910, 437933 du 31 janvier 20201, le Conseil d’État a partiellement suspendu l’exécution de la circulaire du 10 décembre 2019 du ministre de l’Intérieur relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020.

"Circulaire Castaner" : le Conseil d'État, garant du clivage gauche/droite ?

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Élections municipales 2020
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Cette circulaire dite Castaner s’inscrivait dans un contexte de recomposition politique, amorcée aux dernières municipales de 2014 et consacrée par les élections d’Emmanuel Macron comme président et d’une majorité de député du parti présidentiel en 2017. Le clivage gauche/droite permet encore, pour l’instant, de mesurer le rapport des forces politiques en France. Néanmoins, aucun texte ne permet de saisir de manière pertinente la recomposition politique du pays.

Saisi par six requérants, dont le Parti Socialiste (PS), le parti Les Républicains (LR) et le parti Debout la France, le Conseil d’État s’est prononcé en référé contre une circulaire qui n’avait pas été publiée. Ladite circulaire relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 donnait instruction aux préfets de n’attribuer de nuances politiques qu’aux candidats des communes de plus de 9 000 habitants. En reconnaissant la valeur réglementaire de cette circulaire par rapport aux dispositions du décret du 9 décembre 2014 autorisant le ministre de l’Intérieur à collecter, conserver et traiter sur supports informatiques ou électroniques les données correspondant notamment aux nuances politiques dans les communes d’au moins 1 000 habitants, le Conseil d’État s’est posé en garant du clivage gauche/droite en France. Il a suspendu la circulaire en ce qu’elle limite l’attribution des nuances aux listes dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus ainsi que dans les chefs-lieux d’arrondissement, en ce qu’elle prévoit l’attribution de la nuance « Liste divers Centre » (LDVC) aux listes qui, sans être officiellement investies par La République en Marche (LREM), le Mouvement Démocratique (MoDem), l’Union des Démocrates et Indépendants (UDI), seront soutenues par le parti de la majorité présidentielle et par ses alliés et en ce qu’elle qualifie la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême-droite ». Le clivage gauche/droite est maintenu pour les prochaines élections municipales (1), néanmoins, critiquable sur le fond et la forme, cette circulaire est révélatrice des difficultés de saisir dans les textes la recomposition politique actuelle du pays (2).

1. Le clivage gauche/droite maintenu

Premièrement, sur la question de l’effacement du territoire dans la prise en compte du système du nuançage, le Conseil d’État a suspendu cette disposition visant à l’étendre aux communes de plus de 9 000 habitants. Actuellement ce seuil est fixé à 1 000 habitants et concerne plus de 25 000 communes et 8,9 millions de Français2. En relevant le seuil à 9 000 habitants, la circulaire Castaner permettait de sortir du système de nuançage toutes les petites communes dans lesquelles le parti LREM n’avait pas d’ancrage politique. Déjà amorcée en 2014 avec la victoire de listes sans étiquettes, la recomposition politique a été prise en compte par le Conseil d’État : « si pour plus de 80 % des listes présentes dans ces communes, les nuances attribuées lors des élections municipales de 2014 ne correspondaient pas à celles d’un parti politique ». Néanmoins pour suspendre l’attribution des nuances aux listes dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus ainsi que dans les chefs-lieux d’arrondissement au regard du décret de 2014, le Conseil d’État affirme qu’« il n’est pas contesté que, pour les trois quarts d’entre elles, il avait été possible d’attribuer des nuances intitulées « divers droite » et « divers gauche », reflétant ainsi des choix politiques des électeurs. Le seuil retenu par la circulaire de 9 000 habitants a, en conséquence, pour effet potentiel de ne pas prendre en considération l’expression politique manifestée par plus de 40 % du corps électoral ».

Deuxièmement, sur la question de la création de la nouvelle catégorie politique du centre, le Conseil d’État suspend l’attribution de la nuance « Liste divers Centre » (LDVC) aux listes qui, sans être officiellement investies par LREM, le MoDem, l’UDI, seront soutenues par ces partis ou par la « majorité présidentielle ». La circulaire prévoyait une nuance « liste d’union des partis de gauche » attribuée aux listes qui auront obtenu l’investiture du Parti socialiste et celle d’au moins un autre parti de gauche (EELV, PRG, PCF, Générations.s) et une nuance « Liste Union de la Droite » attribuée aux listes qui auront obtenu l’investiture conjointe des Républicains et d’un autre parti. La circulaire affirmait que « les seules listes qui seront simplement « soutenues » par les partis LREM, le MoDem, l’UDI ou par la « majorité présidentielle », devaient être comptabilisées dans la nuance « divers centre ». En revanche, le soutien d’un parti de gauche ou d’un parti de droite à ces listes soutenues par les trois partis précités, ne permettait pas, aux termes de la circulaire, de prendre en compte ses résultats au titre respectivement des nuances “divers gauche” et “divers droite” ».

En l’état de l’instruction, compte tenu de la différence de traitement qui en résulte entre les partis politiques, le moyen tiré de ce que les dispositions précitées du 4e alinéa du c) du 2 de la circulaire contestée et de la 16e ligne de l’annexe 2 sont contraires au principe d’égalité et propre à créer un doute sérieux quant à leur légalité ». Le Conseil d’État permet de préserver l’apparentement de gauche ou de droite des soutiens aux candidats qui auraient, par exemple, obtenus l’investiture du PS, EELV ou LR, mais qui feraient également alliance avec la LREM. Néanmoins la suspension de cette disposition n’empêchera pas les alliances diverses et variées sur l’ensemble du territoire et posera nécessairement la question de la redéfinition des clivages politique en France.

2. Une recomposition politique non saisie par les textes actuellement en vigueur

Aujourd’hui, l’état des forces politiques est composite. De nombreux mouvements, à commencer par les partis PS et LR qui structuraient la bipolarisation de la vie politique en France, cherchent un second souffle, une nouvelle image, un nouveau positionnement sur les sujets de société. Depuis, les élections présidentielles 2017, les soutiens d’Emmanuel Macron cherchent à accentuer le clivage LREM contre les partis d’extrême droite et d’extrême gauche, rassemblés autour du Rassemblement national (RN) et la France Insoumise (FI). Dans ce dernier cas, il est patent que la circulaire n’intègre pas FI aux blocs des listes d’union de gauche alors que des alliances sont actuellement en discussion dans certains territoires.

Par ailleurs, le Conseil d’État a suspendu les dispositions de la circulaire en ce qu’elle classe la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême-droite ». Le Conseil d’État considère que : « si cette nuance a été classée, pour les élections législatives de 2017 dans le bloc de clivage « extrême droite » au même titre que le Rassemblement national, il résulte de l’instruction que cette classification se fonde essentiellement sur les seules déclarations publiques du président du parti « Debout la France », à l’issue du premier tour des élections présidentielles, en faveur de la présidente du Rassemblement national, sans que puissent être regardés comme ayant été pris en considération le programme du parti « Debout la France » et la circonstance que les deux partis n’ont pas conclu d’accord électoral, en vue de ces élections ni depuis lors. »

La suspension de cette disposition démontre malgré tout que le clivage gauche/droite n’est plus nécessairement un critère permettant d’identifier l’appartenance politique des partis. Des alliances entre les forces politiques, non durables, non homogènes, non identiques sur l’ensemble du territoire, se font et se défont au gré des élections. Quel sens donner aux rapports de force politique en 2020 dès lors que d’une élection à l’autre, que d’une commune à l’autre les mêmes formations ne s’allient pas nécessairement ensemble ?

Aujourd’hui, le décret de 2014 – et les circulaires qui l’ont explicité – permet au ministère de l’Intérieur de recueillir et d’établir des données établissant le rapport de force gauche/droite en France au soir des élections municipales. Néanmoins, on est en droit de penser que le clivage gauche/droite est aujourd’hui dépassé. Aucun texte de valeur constitutionnelle et législative – et c’est tant mieux en démocratie – ne fige les clivages politiques. Rien n’empêche aujourd’hui le ministère de l’Intérieur de prendre un nouveau texte afin d’établir une « grille des nuances politiques » destinée à permettre l’agrégation des résultats des élections en vue de l’information des pouvoirs publics et des citoyens. Le problème étant de déterminer les critères de clivages. Le Conseil d’État a donné une piste en prenant en compte les résultats électoraux obtenus depuis cinq ans et la pérennité des alliances d’une élections à l’autre.

Il faudra attendre le jugement au fond pour que le Conseil d’État statue sur la légalité de la circulaire. Néanmoins, la mesure des rapports de force gauche-droite sera-t-elle encore pertinente aux soirs des 15 et 22 mars prochains ?

Dominique Volut, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. CE, Ordonnance du 31 janvier 2020, n° 437675, 437795, 437805, 437824, 437910, 437933.

2. Question écrite n° 14035 de M. Jean-Louis Tourenne (Ille-et-Vilaine – SOCR) publiée dans le JO Sénat du 30 janvier 2020, p. 480.

3. Op. Cit. CE, 31 janvier 2020, consid. 9.

4. Ibidem.

5. Ibidem consid. 13.

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