Dans un contexte législatif bouleversé et avec des majorités difficiles à trouver, les aides à venir de l’État aux collectivités locales sont incertaines, « alors qu’on demandait déjà à l’État avant les législatives plus de visibilité en a matière, observe Emmanuel Sallaberry, coprésident de la commission finances et fiscalité de l’Association des Maires de France. Or, l’investisseur – toute collectivité locale l’est – n’aime pas l’incertitude. L’investissement local, déjà contrarié par l’augmentation du point d’indice et des coûts de l’énergie, va reculer, d’autant plus si les taux d’intérêt remontent ».
Demander sans délai les aides
Mais tout ne changera pas tout de suite. Pour ce qui est des grandes dotations [dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), de soutien à l’investissement local (DSIL)], le statu quo pourrait présider : « S’il pourra y avoir des ajustements, la continuité des programmes existants sera probablement privilégiée », estime Thibault Nivière, directeur de Nivière & Subventions Consulting. Toutefois, « même si des circulaires de l’État encadrent la répartition des enveloppes, certaines consignes jusqu’ici données aux préfets pour favoriser tels types de collectivités pourraient devenir caduques, par une interprétation plus stricte demandée aux préfets et une application uniforme dans tous les départements, analyse Claire Delpech, chargé de mission finances à Intercommunalités de France. Pour acter la transition écologique par exemple, les préfets pourraient alors demander de financer davantage des projets écologiques et non pas tous types de projet comme de fait aujourd’hui ».
Certains secteurs pourraient être favorisés, quand d’autres seraient au contraire menacés : « La transition écologique par exemple, souvent mise en avant dans la campagne législative, continuera probablement de recevoir un soutien substantiel, anticipe Thibault Nivière. En revanche, la culture ou le patrimoine pourraient être réajustés avec les arbitrages budgétaires. Le développement économique et social restera prioritaire, mais les modalités de financement pourraient varier ».
Les appels d’offres et appels à manifestation d’intérêt (AMI) seront-ils remis en cause ? Pour Emmanuel Sallaberry, « tout dépendra du budget de l’État 2025 voté en loi de finances. Si le Fonds vert par exemple était supprimé, quid des projets futurs mais aussi des travaux déjà engagés alors menacés ? ». Thibault Nivière n’est pas aussi pessimiste : « Ces appels, qui stimulent l’innovation et répondent aux besoins de territoires, ne devraient pas être complètement stoppés. Mais, il faudra attendre les orientations politiques. Leur fréquence et leurs modalités pourraient alors être ajustées en fonction aussi des priorités budgétaires. France 2030 ou les appels à projets de la Banque des territoires seront-ils relancés ? ». Du côté des grandes agences nationales, la poursuite des appels à projets et AMI dépend de leur fonctionnement. « L’Ademe ou les agences de l’eau, ayant des programmes pluriannuels, en sortiront difficilement, observe Claire Delpech. Par contre, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ou le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) par exemple, qui ont un budget propre, pourraient reprioriser leurs financements – si le gouvernement peut mettre en place de nouveaux conseils d’administration – ».
En tout cas, si l’État baisse les aides ou prend du retard, mécaniquement, les projets des collectivités seront aussi retardés… ou annulés. Thibault Nivière conseille lui de candidater aux appels à projets déjà lancés, de demander sans délai les aides pour des projets déjà décidés, « puisqu’on ne sait pas avant la loi de finances, si le budget va augmenter, stagner ou baisser ».
Le PLF, juge de paix
Les régions, départements et intercos devront-ils et pourront-ils pallier d’éventuels manques de l’État ? « Non, assure Emmanuel Sallaberry, ils sont dans la même situation que nous. Les Départements notamment, sont tout près de la ligne rouge. Et si l’activité économique ralentit, la TVA baissera et le panier de toutes les collectivités locales se rétractera encore… ». Claire Delpech est plus prudente : « À ce stade, on n’en sait rien !… ». Thibault Nivière conseille lui de rechercher des financements alternatifs : partenariats public-privé, fonds européens, financements participatifs, émission d’obligations vertes, « même si cela ne suffira pas ».
Le prochain projet de loi de finances (PLF), traditionnellement discuté à l’automne, est attendu. « Ce sera le juge de paix, assure Emmanuel Sallaberry. On verra à ce moment-là ce que deviendront les mesures non financées de certains candidats… Attention, l’État a toujours équilibré avec le budget dédié aux collectivités locales… ». Sous-entendu, il pourrait baisser les dotations, « alors même que ces dernières années, elles diminuaient moins qu’auparavant… », selon l’élu. Thibault Nivière fait le raisonnement inverse : « Les dotations pourraient repartir à la hausse si le futur gouvernement veut stabiliser les relations avec les collectivités locales, ce qui nécessiterait des ajustements dans d’autres secteurs ». Claire Delpech estime elle aussi que le PLF sera « le rendez-vous incontournable, si on veut supprimer ou modifier la DGF, les dotations de compensation aux collectivités locales, tous les budgets en lien avec la loi de finances (politique de la ville, soutien à la ruralité…) ». Mais elle n’est tant inquiète : « Un gouvernement technique pourrait reconduire les dispositifs tels quels…. S’il voulait tout remettre à plat, il lui faudrait certainement alors recourir au 49-3, avec un risque de motion de censure… ».
Frédéric Ville
