Policiers, magistrats, préfets ou ambassadeurs sollicités par l’AFP s’interrogent sur leur attitude en cas de victoire aux élections législatives d’un camp dont ils ne partagent pas forcément les convictions.
À une semaine du premier tour, ces grands commis de la République restent dans l’expectative.
La plupart s’accordent à prévoir « plus de bordel » si le résultat des urnes conduisait à une Assemblée sans majorité claire, avec, selon un préfet en poste depuis plus de vingt ans, « une interrogation sur la capacité à agir ».
Dans la préfectorale, les serviteurs de l’État mettent tous l’accent sur leur « rôle fondamental » : « Assurer la continuité de l’État », « être garant des institutions républicaines et démocratiques ».
« La neutralité est au centre de la déontologie de la haute fonction publique », insiste l’un d’eux.
« On nous rebat les oreilles avec les heures sombres. Mais qu’est-ce que c’étaient les heures sombres ? C’était plus d’Assemblée nationale, plus de Sénat, plus d’élections. Une justice dépendante. Plus de séparation des pouvoirs ! », s’agace un autre préfet expérimenté.
Si le Rassemblement national ou le Nouveau Front populaire « arrivent aux manettes, je n’envisage pas une seconde de quitter le métier et de ne pas servir le gouvernement et l’exécutif. Je n’ai aucun état d’âme là-dessus », ajoute-t-il.
« La vraie question que doit se poser un haut fonctionnaire c’est : Est-ce que les attributs de l’État de droit sont remis en cause ? », poursuit le même. « C’est ça la ligne rouge ou jaune pour un fonctionnaire. Ce n’est pas de savoir si on a un gouvernement du Nouveau Front populaire ou RN ».
Exemple italien
Environ 600 hauts fonctionnaires sont nommés en Conseil des ministres par le pouvoir politique.
Selon l’article 13 de la Constitution, le président de la République nomme ainsi les préfets, ambassadeurs, conseillers maîtres à la Cour des comptes, officiers généraux, recteurs d’académie et directeurs des administrations centrales notamment.
En cas de cohabitation, il est d’usage que certaines de ces nominations soient négociées entre le chef de l’État et celui du gouvernement.
Avant le second tour de la présidentielle de 2017 (duel Emmanuel Macron – Marine Le Pen), « il y a eu des pétitions », rappelle à l’AFP un diplomate en poste à Paris. « Des gens même très à droite disaient qu’ils refuseraient de bosser pour le RN. Là, ce n’est pas le cas », observe-t-il.
« Et puis il y a l’exemple de l’Italie. Les post-fascistes sont arrivés au pouvoir mais l’opposition n’a pas pour autant été envoyée dans des camps », relève le même.
Un autre diplomate, également à Paris, pronostique qu’en cas de gouvernement RN, il y aura « une petite minorité qui se dit prête à quitter le ministère, une minorité encore plus faible qui pourrait faire son coming-out RN et une très grande majorité dans l’expectative ».
« Il ne va pas se passer quelque chose de révolutionnaire », parie un autre préfet en référence à une désertion massive de l’appareil d’État.
Celui-ci distingue toutefois ceux qui sont engagés politiquement dans la macronie. « Ils préfèreront démissionner que d’être virés. Ils retourneront dans leur corps d’origine (Cour des comptes, Conseil d’État…) ou iront dans le privé ».
Mais dans l’hypothèse d’un retour vers le corps d’origine, s’amuse un autre membre de la préfectorale, « il risque de ne pas y avoir assez de places pour accueillir tout le monde… »
« Sang-froid »
« Si l’extrême droite l’emporte, une forme de résistance va s’organiser », anticipe pour sa part Noam Leandri, cofondateur du cercle de réflexion des hauts fonctionnaires « Le Sens du service public », qui prépare des « documents sur le droit de réserve ou de retrait ».
« Dès lors que le peuple souverain fait ses choix, je trouve que des hauts fonctionnaires qui déserteraient leur fonction pour des questions de convenances personnelles ne seraient pas à la hauteur de leur mission », juge l’un des préfets.
La prudence est également de mise dans la police.
« Je serais plutôt d’avis de voir comment les choses vont évoluer de l’intérieur », avance un cadre policier.
« Chaque administration a une part de libre arbitre », explique-t-il. « On n’est pas obligés d’être dans un zèle absolu devant toutes les mesures. On peut temporiser, prioriser certaines choses ».
Un autre haut cadre de la police abonde. « Il faut rester solides sur ses bases, garder son sang-froid. Nous avons un rôle à jouer de maintien des institutions et de la démocratie », développe-t-il.
Dans la magistrature, les avis sont plus tranchés en cas d’arrivée au pouvoir d’un gouvernement RN.
« L’inquiétude est générale », selon un juge, s’il s’agit d’appliquer une politique pénale dictée par le parti de Marine Le Pen, notamment sur « les questions migratoires ou d’ordre public ».
Dans l’Éducation nationale, « le message qui prévaut au ministère, c’est : Il faut continuer à faire avancer le bateau en dépit de la situation politique », rapporte un haut fonctionnaire.
« La ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, a demandé aux grandes directions de continuer à préparer la rentrée », ajoute-t-il. Mais parmi les hauts cadres, « beaucoup se demandent ce qu’ils feront en cas de victoire du RN. Rester ou partir ? »
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