Face au tollé, le Premier ministre a décidé de ne pas appliquer le recalibrage à la hausse de la taxe sur le foncier bâti (TFB) pour 2026 par intégration des « éléments de confort ». Le gain supplémentaire aurait été de 466 M€ pour les collectivités locales, avec + 63 €/logement1. Mais ce ne serait que différé, Sébastien Lecornu souhaitant élaborer une « nouvelle méthode de calcul plus locale »2. Quels sont les enjeux selon vous ?
Dans un contexte où les bases, héritées des années 1970, sont désuètes, recalibrer la taxe sur le foncier bâti (TFB) me paraît un bon principe. Toutes les améliorations – et cela concerne aussi les « éléments de confort » – qui peuvent apporter de la justice fiscale entre les contribuables sont bienvenues. Certes, cela se traduirait par une augmentation d’impôts, mais on peut aussi dire que, jusqu’ici, ce sont plutôt des économies pour les foyers pour lesquels ces éléments ne sont pas à jour. Attention, seuls sont concernés les locaux « ordinaires » classés de 1 à 6 pour lesquels la Direction générale des finances publiques considère qu’ils possèdent les « éléments de confort », ceux classés 7 à 8 étant réputés ne pas les posséder3.
L’idée de la DGFIP est de renverser la preuve. On n’est plus en 1970. A priori, aujourd’hui, tous les logements « ordinaires » ont tous les éléments de confort : eau courante, électricité, chauffage, sanitaires (WC, lavabo, douche/baignoire). Mais il resterait possible aux contribuables de préciser qu’ils n’ont pas tel ou tel élément de confort. In fine, ce sont 7,4 millions de logements existants sur les 48 que compte le pays qui seraient ainsi corrigés : il s’agit de ceux dont les rénovations réalisées au fil du temps ne sont pas toujours connues des services fiscaux. Parmi les autres logements, certains sont neufs et donc à jour, d’autres ont eux déjà été corrigés par un travail des Directions départementales des finances publiques, parfois en lien avec observations des collectivités, inégal selon les départements.
Mais la TFB a déjà augmenté de 20 % en moyenne nationale entre 2018 et 2023 (14,8 % de revalorisation des valeurs locatives et 4,5 % de hausse des taux) selon l’Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI), quand dans le même temps, les salaires n’augmentaient que d’environ 13 % selon l’Insee. N’est-il donc pas difficile d’exiger encore plus ?
Appliquer l’intégration des « éléments de confort » d’un seul coup en une année risque en effet d’être difficile pour certains, car cela vient percuter l’augmentation de la TFB, essentiellement du fait de l’évolution des bases liée à l’inflation. Cette évolution des bases était, je le rappelle, de 3,4 % en 2022, 7,1 % en 2023 et 3,9 % en 20244. Certains ont dit alors qu’il fallait quitter la règle de l’inflation5. Mais, si le Parlement indexait traditionnellement chaque année en loi de finances les valeurs locatives à l’inflation prévue (parfois in fine un petit peu plus ou un petit peu moins), depuis 2018, ce sont les chiffres de l’inflation de l’Insee connus fin novembre qui servent pour faire évoluer les bases (+ 0,8 % prévus pour 2026)6. In fine, il me semble qu’on peut intégrer les éléments de confort en deux ou trois ans, après avoir mesuré l’impact sur certains contribuables.
Cela ne pose-t-il pas plus largement la question de la révision des valeurs locatives, serpent de mer d’une réforme jamais engagée ?
La réforme des valeurs locatives est à l’ordre du jour pour 2028, l’État et les collectivités locales n’y ayant pas renoncé. Cet épisode des « éléments de confort » prouve d’ailleurs à quel point elle est impérative. C’est un enjeu fondamental de la décentralisation. Mais pour la mener à bien, il faut que la DGFIP puisse y consacrer des moyens. Il faut également anticiper : certains contributeurs paieront plus, d’autre moins ; certaines collectivités recevront plus et d’autres moins. Les impacts devront être étalés sur un temps long. Et il faudra réexpliquer en quoi les politiques locales concernent nos concitoyens.
Quels sont les autres évolutions ou sujets marquants en matière de fiscalité locale ?
La taxe d’habitation sur les résidences secondaires7 a fortement augmenté (+ 40 %) entre 2021 et 20248, ce qui est en partie lié aux majorations de 5 à 60 % possibles dans les zones tendues et surtout à l’élargissement géographique de ces dernières en loi de finances pour 20239. À noter toutefois que certains locaux ayant été rentrés par erreur comme résidences secondaires (lors de la campagne Gérer mes biens immobiliers de 2023 par la DGFIP), les rectifications à suivre expliquent la baisse de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires (THRS) en 2024 de – 0,63 %8.
La taxe d’habitation sur les logements vacants – hors zones tendues –10 (ndlr : instituée en 2006) a, elle, plus que doublé entre 2021 et 2024, passant de 82 à 178 M€8 (ndlr : cela serait lié à la revalorisation des bases et à un meilleur recensement des logements vacants).
Quant aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO) – ceux des communes et surtout des départements – ils ont chuté de 6,5 Mds€ entre 2022 et 20248. 2025 devrait signer un retour à la croissance, avec environ + 2,5 Mds€8, ce qui s’explique par le retour d’une dynamique immobilière et par le relèvement du plafond de 4,5 à 5 % pour les départements en loi de finances pour 2025.
Du côté des entreprises, la revalorisation des bases et l’accroissement physique dans certains territoires ont fait progresser la cotisation foncière des entreprises de + 5,6 % en 20247. Mais pour 2026, la compensation au titre des valeurs locatives des locaux industriels (ndlr : TFB et cotisation foncière des entreprises) que les collectivités recevaient depuis 2021 suite à leur division par deux, pourrait être écrêtée de 25 %, c’est-à-dire de sa dynamique (ndlr : soit 800 M€ en moins). La compensation complète aurait été très courte. Ce sont les intercommunalités industrielles qui sont touchées, comme elles le sont dans ce PLF 2026 par la réduction de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP).
L’autonomie fiscale, rognée progressivement, avec la disparition de la taxe professionnelle, puis de la taxe d’habitation et enfin de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, semble aujourd’hui un mirage. Qu’en pensez-vous ?
Le sujet n’a pourtant pas disparu. Certains réclament en effet un retour à un lien fiscal entre les ménages et leurs communes. Ils demandent une contribution locale qui viendrait « compenser » la disparition de la taxe d’habitation, mais pas au même niveau, et sans prélèvement nouveau, c’est-à-dire qu’elle viendrait en substitution d’un autre prélèvement (une part de l’impôt sur le revenu ou d’une autre taxe par exemple…). Pour le contribuable, l’enjeu est de retrouver un lien entre fiscalité et politiques locales, qu’il soit d’accord ou pas avec ces politiques.
Propos recueillis par Frédéric Ville
1. « Maintenant, les mètres carrés virtuels vont payer la taxe foncière ? », IFRAP, novembre 2025
2. « Taxe foncière : Sébastien Lecornu annonce suspendre la hausse d’ici au printemps, le temps de définir une « nouvelle méthode » de calcul, plus locale », Le Monde, 26 novembre 2025.
3. Voir les 8 catégories de logements définies par le Code général des impôts au regard de la TFB.
4. 19e rapport Observatoire national des taxes foncières, UNPI, octobre 2025.
5. Selon l’UNPI, « l’indexation des valeurs locatives sur l’IPCH est largement contestable ».
7. Seule composante restante de la taxe d’habitation.
8. Source : rapport OFGL, 2025
9. L’objectif est d’inciter les propriétaires de résidences secondaires à vendre ou à louer à l’année, pour que ces secteurs « récupèrent » les logements permanents qui leur font défaut.
10. Dans les zones tendues, la taxe sur les logements vacants (TLV) s’applique de plein droit et son produit est versé à l’État.