Michel Bouvier : “Un effritement de l’autonomie fiscale locale depuis 40 ans” (1/2)

Publiée le 18 mai 2021 à 8h04 - par

Première partie de notre entretien avec Michel Bouvier, Professeur émérite de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Président-fondateur de l'Association pour la fondation internationale des finances publiques (Fondafip), Fondateur et Directeur de la Revue française de finances publiques.
Michel Bouvier : “Un effritement de l’autonomie fiscale locale depuis 40 ans” (1/2)

Comment vont les finances locales ?

Les finances locales font partie d’un système, le système financier public, avec les finances de la Sécurité sociale et celles de l’État. Autrement dit, lorsque l’une des composantes est en difficulté, l’ensemble en subit les conséquences. C’est pourquoi, la première question que l’on doit se poser est celle de la santé du système. Or, actuellement l’un des acteurs, l’État, est en première ligne face à une crise majeure, la crise sanitaire que nous connaissons qui engendre un effet de ciseaux. Dans la mesure où un processus long (cf 3°) de recentralisation prive les collectivités locales d’une grande partie de l’autonomie fiscale dont elles disposaient et qu’elles sont dépendantes de financements externes (notamment dotations ou prêts bancaires), leur santé peut bien entendu être menacée. Or, dans le contexte actuel, la soutenabilité des finances de l’État est en jeu, compte tenu des emprunts massifs qu’il a engagés, ce qui l’amène à requérir la participation des collectivités locales avec le risque de placer les finances locales dans des situations difficiles, d’autant qu’elles ont été conduites à engager des dépenses supplémentaires dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. On a déjà pu constater un fléchissement de leur ratio d’épargne brute entre 2019 et 2020.

Quel rôle peuvent-elles jouer dans la relance de l’économie ?

Le rôle des collectivités locales dans le développement économique a toujours été étroitement lié aux vicissitudes des finances publiques. Mais on peut dater de la deuxième moitié des années 1970, scandées notamment par différents « chocs pétroliers », une plus grande attention apportée aux finances locales en liaison avec les problèmes économiques et budgétaires d’alors, mais aussi à la faveur des controverses théoriques suscitées par le modèle de l’État providence sous l’effet des difficultés grandissantes de celui-ci. L’idée est alors soutenue qu’il convient de procéder à un retrait de l’État et que les collectivités territoriales prennent une part plus importante de responsabilités dans cette dynamisation du tissu économique. Les collectivités territoriales ont été pensées comme susceptibles de participer activement au développement de l’économie, soit en l’accompagnant, soit en l’insufflant. C’est dans ce même cadre d’analyse que, d’administrateurs ou de bâtisseurs qu’ils étaient jusqu’alors, les élus locaux ont été appréhendés comme ayant vocation à susciter et catalyser les énergies pour impulser un développement économique. C’est aussi dans ce contexte que les finances locales ont été considérées comme un instrument de première importance pour générer ce développement ou pour contribuer à son essor. Malheureusement, on peut constater que l’autonomie financière locale ancrée dans une autonomie fiscale réelle (impôts propres, droit de vote des taux) a progressivement diminué au fil du temps.

Justement, les élus locaux se plaignent d’une « recentralisation » de leurs ressources budgétaires. Est-ce à dire que ce n’est pas qu’une impression ?

C’est une réalité mais qui ne date pas d’aujourd’hui comme on peut le penser. En effet, une observation attentive laisse voir une évolution ascendante d’un partage du pouvoir fiscal entre l’État et les collectivités locales des années 1970 jusqu’en 1980 puis une évolution inexorablement descendante. On peut ainsi estimer que l’autonomie fiscale locale commença à se mettre en place lorsque des impôts propres furent attribués aux collectivités locales (principalement : taxe d’habitation, taxe professionnelle, taxe sur les propriétés bâties, taxe sur les propriétés non bâties) et que le droit de voter leur taux leur fut accordé (loi du 10 janvier 1980). Par ailleurs, dès les années 1970 les collectivités locales ont bénéficié de dotations globales et de prêts globaux. On pouvait alors considérer que cette large autonomie fiscale, associée à une globalisation des ressources externes, constituait la marque d’une réelle autonomie financière locale.

Mais ce triomphe ne sera que de courte durée. Le coup d’envoi d’une lente érosion de la fiscalité locale qui passa longtemps inaperçu fut lancé par la loi de finances rectificative n° 82-540 du 26 juin 1982 qui amorça un processus de déconstruction qui ne s’arrêtera plus. En effet, dans le cadre d’une politique économique de l’offre, il fut alors décidé d’alléger la charge pesant sur les contribuables et tout particulièrement sur les entreprises. La loi de finances rectificative pour 1982 institua un certain nombre d’allègements, notamment une réduction de la part salaire de la base de la taxe professionnelle. Par la suite, les allègements succéderont aux allègements et s’ils concerneront principalement la taxe professionnelle pour finalement aboutir à sa suppression, ils s’étendront, dans des proportions certes différentes, aux autres impôts locaux. Les derniers épisodes marquants furent la suppression de la taxe d’habitation puis la baisse des impôts locaux pesant sur les entreprises, qualifiés d’impôts de production (CVAE, CFE, TF). Il faut toutefois préciser que ces épisodes furent précédés d’une décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2009 qui a juridiquement clarifié la question de l’autonomie fiscale. Par cette décision, le Conseil est formel en affirmant « qu’il ne résulte ni de l’article 72-2 de la Constitution ni d’aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales bénéficient d’une autonomie fiscale ».

C’est ainsi que depuis près de quarante ans on peut constater un effritement de l’autonomie fiscale locale à la fois d’un point de vue matériel – par une disparition de la fiscalité locale et sa transformation progressive en dotations – et d’un point de vue juridique – par la décision très claire de la Haute juridiction. La marche vers une rupture d’avec le modèle des années 1970-1980 apparaît donc indéniable. Elle est aussi incontestablement le produit d’un long et complexe processus de décision.

Aujourd’hui, compte tenu des difficultés économiques et sociales considérables auxquelles l’État doit et devra faire face, ainsi que des conséquences désastreuses sur les finances publiques, on peut s’attendre à ce que le processus s’accélère, voire trouve une sorte d’aboutissement. Toutefois, il serait inexact de penser que cette « reprise en main » de la fiscalité locale par l’État soit la résultante d’un « retour de l’État » provoqué par la crise des subprimes ou par celle du Covid-19. Elle résulte, on l’a dit, d’un processus dont l’origine est bien antérieure. Ainsi, le brouillage théorique général et le contexte particulier de la France qui, on le sait, a longtemps été marqué par une tradition politique profondément centralisatrice ont porté une évolution vers une déconstruction du modèle fiscal local sans que jamais le pour et le contre n’en soit clairement discuté de façon argumentée.

Quelles marges de manœuvre budgétaire leur reste-t-il ?

On l’aura compris, leur marge de manœuvre budgétaire est faible dans la mesure où leur autonomie fiscale a été considérablement réduite. Celle des régions, mais aussi pour les départements. C’est également en grande partie vrai que ceux-ci n’ont quasiment plus la capacité d’agir par la fiscalité. Les communes conservent une capacité d’action qui ne peut s’exercer que sur les impôts fonciers devenus une variable d’ajustement à part entière.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant qualifié aux Fonctions de Professeurs des Universités

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