La France « moche » peut-elle devenir belle ?

Publié le 26 janvier 2024 à 11h00 - par

Le gouvernement s’attaque à la transformation des zones commerciales qui n’ont cessé de s’étendre aux périphéries des villes, avec pour objectif d’y introduire de la nature, mais aussi du logement et de l’industrie lorsque c’est envisageable.

La France "moche" peut-elle devenir belle ?
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Un « signal positif très fort » mais qui risque d’accoucher d’une souris faute de moyens suffisants, prévient l’économiste et urbaniste Pascal Madry, directeur de l’Institut pour la ville et le commerce (IVC).

Quels obstacles identifiez-vous pour mettre à exécution l’ambition gouvernementale d’embellir cette « France moche » décriée en 2010 par Télérama ?

Le principal frein est lié au coût d’acquisition du foncier et de l’immobilier. Pour chaque bâtiment commercial, un exploitant dispose d’un droit de propriété commerciale, c’est-à-dire du droit de pouvoir rester indéfiniment dans ses murs, à quelques exceptions près. Si l’on doit déloger un commerçant exploitant pour transformer ses murs, il faut donc l’indemniser en moyenne à hauteur de 80 % de son chiffre d’affaires annuel.

Par exemple, si l’on prend une « boîte à chaussures » de 1 000 m2 qui réalise 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, il faudra d’abord débourser 1,6 million d’euros avant de pouvoir la transformer. Comme la vacance commerciale est plus faible dans ces zones, de l’ordre de 6 % contre 12 % en centre-ville et 14 % dans les galeries marchandes à l’intérieur des centres commerciaux, cela signifie qu’elles sont pleines et que si on veut les transformer, il faudra indemniser leurs occupants.

Le gouvernement a annoncé une enveloppe de 24 millions d’euros pour accompagner une vingtaine de projets lauréats. Ce n’est donc pas suffisant ?

C’est un signal politique très fort mais les moyens restent insuffisants. Aujourd’hui, les exploitants de magasins portent peu de projets de transformation parce que leurs magasins, en l’état, fonctionnent très bien. Malheureusement, l’impulsion ne pourra être donnée que par le secteur public dans la mesure où le privé, en particulier les promoteurs d’immobilier de commerce, ne voudront pas intervenir là où il y a des problématiques de remembrement commercial, de dépollution des sols, là où les terrains ne sont pas prêts à accueillir immédiatement des opérations de transformation. C’est l’aménagement public qui va devoir préparer le terrain.

Pensez-vous que ce plan de transformation a malgré tout un avenir ?

Aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de doctrine d’urbanisme qui dise voilà ce qui est souhaitable pour cette France moche. Il n’y a pas de philosophie urbaine sur le devenir de ces espaces et personne ne sait très bien en quoi les transformer.

On peut renaturer, mais si on veut redonner ses qualités naturelles à un sol qui a été imperméabilisé avec de l’asphalte, il faut laisser reposer la terre pendant au moins deux ans. Or je ne pense pas que les opérateurs qui souhaitent transformer ces zones soient prêts à se donner tout ce temps.

On peut construire des logements et des bureaux, mais ce ne sera possible que là où il y a une demande, ce qui écarte pas mal de territoires.

Ce qui est positif, c’est que pour la première fois il y a une convergence de vues au sein de l’État entre une culture entrepreneuriale liée à la liberté d’établissement portée par Bercy, et une culture aménagiste portée par le ministère de la Transition écologique.

Il y a un signal fort de l’État qui nous dit l’environnement et la cohésion des territoires ça compte et que les politiques d’urbanisme commercial doivent évoluer.

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