Villes women friendly : « le changement ne peut venir que de et par les villes, par l’éducation »

Publié le 20 mars 2017 à 17h28 - par

Où sont les femmes ? La question n’aurait pu être que le refrain d’un tube du disco. Mais c’est aussi celle que se sont posée l’urbaniste Audrey Noeltner et trois collègues devant le peu de place qu’accorde aux femmes l’espace public. Avec l’association Womenability, ils ont donc arpenté les 5 continents pour y comparer l’action des villes en la matière, s’attachant désormais à développer une nouvelle « mix(c)ité ».

Les fondateurs de Womenability : Gabriel Odin, Charline Ouarraki, Audrey Noeltner, Julien Fernandez

WEKA : Selon le Haut Conseil à l’Égalité, 84 % des maires sont encore des hommes, en 2017, en France. Quelles conséquences cette prédominance a-t-elle pour les femmes ?

Audrey Noeltner : Tout bonnement des villes faites par et pour les hommes, comme l’a si bien pointé le géographe Yves Raibaud. Du nom des rues aux libertés vésicales qu’ils y prennent, les hommes se sont totalement appropriés l’espace urbain où les femmes, du coup, se sentent, au mieux, tolérées. Il y a ici la crainte de l’agression verbale, là, la difficulté à se mouvoir, notamment avec son bébé… L’entre-soi masculin a totalement nié les problématiques féminines.

WEKA : Ce constat est-il universel ?

Audrey Noeltner : Après avoir, durant sept mois, visité 25 villes de plus de 100 000 habitants dirigées par des femmes sur les cinq continents et y avoir analysé la propreté, les transports, la sécurité et l’accès aux équipements, la réponse est malheureusement positive ! De Malmö (Suède) à Yokohama (Japon) en passant par Houston (États-Unis/Texas), Kaifeng (Chine) ou encore Bombay (Inde), 59 % des femmes déplorent au moins un harcèlement verbal hebdomadaire. Mais certaines villes ont largement su modifier la donne puisque ce chiffre, de 72 % à Montevideo (Uruguay), tombe à 12 % à Sofia (Bulgarie).

WEKA : Ce ne serait donc pas la culture qui fait la ville mais l’inverse ?

Audrey Noeltner : Pour l’urbaniste que je suis, le changement, en effet, ne peut venir que de et par les villes, par l’éducation. La campagne d’affichage lancée par Paris contre le harcèlement de rue en est un exemple. De même, des images de divinités collées aux murs dissuadent les hommes de Bombay d’uriner tandis qu’à Kaifeng, des milliers de femmes se réunissent chaque soir pour danser dans la rue… La signalétique a également son importance : que la ligne du T3 parisien honore Colette Besson, Ella Fitzgerald et Rosa Parks constitue une avancée sociétale à la forte portée éducative !

WEKA : Quelles leçons majeures rapportez-vous de votre périple ?

Audrey Noeltner : L’invalidation de certains préjugés comme l’éclairage qui n’apparaît finalement déterminant, ni dans la fréquence du harcèlement, ni même dans le sentiment d’insécurité. La propreté de la ville, en revanche, influe beaucoup sur le harcèlement de rue. Un autre constat, enfin, doit interpeller élus et aménageurs : le rapport inversement proportionnel entre la féminisation des espaces publics et les occurrences de harcèlement.

WEKA : À la lueur de ces éléments, qu’est-ce qu’une ville « women friendly » ?

Audrey Noeltner : C’est une ville accessible et attractive, dans ses infrastructures comme dans ses services (horaires et itinéraires des transports, planning des espaces de loisirs…). Afin de changer les mentalités, chaque équipement public doit être pensé pour que les femmes s’y sentent suffisamment à l’aise pour l’investir. À cet effet, certaines initiatives internationales pourraient être importées en France, comme les cabines d’allaitement à l’aéroport de New-York, les vélib’équipés de sièges enfant à Hambourg ou les skateparks réservés aux filles, certains jours, à Malmô.

WEKA : Mais sous les bonnes intentions ne point-il pas, en germe, le risque de « communautariser » la ville ?

Audrey Noeltner : Bien au contraire puisque, en partant d’un postulat genré, le projet se veut justement une véritable contribution en faveur d’un meilleur partage de la ville par et pour toutes et tous. Womenability défend ainsi une approche totalement inclusive de la ville, où femmes et hommes sont actrices et acteurs du changement, dans une plus grande compréhension mutuelle.

Propos recueillis par Laurence Denès

 

 Les visages de Womenability

Créée en mai 2016, Womanability réunit une vingtaine de salariés et bénévoles qui s’emploient, bonnes pratiques à l’appui, à faire de la mixité le genre urbain au sein d’une Charte internationale de la ville mixte.


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