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Réforme territoriale : allons-nous vers la disparition des communes ?

Publié le 30 juin 2015 à 13h34 - par

Suite à la réécriture par le Sénat du projet de loi NOTRe sur les compétences des collectivités, le 2 juin dernier, doit-on toujours craindre à terme une disparition des communes ? Quel avenir pour les communes dans le cadre du projet de loi NOTRe  ? Donatien de Bailliencourt, Avocat Counsel au sein du cabinet Granrut, nous éclaire.

Réforme territoriale : allons-nous vers la disparition des communes ?
Donatien de Bailliencourt avocat collaborateur Granrut

Donatien de Bailliencourt

 

Après la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles et celle relative à la délimitation des régions, le gouvernement a déposé, le 18 juin 2014, devant le bureau du Sénat, un projet de loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République – dite loi « NOTRe » – qui constitue le troisième volet de la réforme des territoires souhaitée par le président de la République.

Ce projet vise à proposer une nouvelle organisation territoriale de la République en substituant à la clause de compétence générale « des compétences précises confiées par la loi à un niveau de collectivité », dans la mesure où, pour le gouvernement, cette clause de compétence générale a l’inconvénient de faire intervenir les régions et les départements en dehors de leurs missions principales de manière parfois concurrente et souvent redondante.

Après une première lecture, les 27 janvier puis 10 mars 2015, devant les deux assemblées parlementaires, ce projet de loi a été examiné, en seconde lecture, par le Sénat à partir du 11 mars 2015.

Or, lors de sa séance du 2 juin 2015, le Sénat a adopté le projet de loi dans une version nettement réécrite par la majorité sénatoriale. Il faut ici préciser que, pendant les débats qui ont opposé cette dernière à l’exécutif, des profondes divergences sont apparues.

Un projet de loi impliquant le regroupement des communes en intercommunalités de 20 000 habitants

À cet égard, il en est une qui porte sur une disposition emblématique du projet de loi, à savoir son article 14.

En effet, pour renforcer les solidarités territoriales et améliorer l’accompagnement des communes et des établissements publics dans la mise en œuvre de leurs projets de territoire, le gouvernement a voulu poursuivre le « mouvement de regroupement de communes pour disposer, au 1er janvier 2017, d’intercommunalités dont la taille correspondra aux réalités vécues et qui possèderont les moyens nécessaires pour offrir aux populations le niveau de services auquel celles-ci aspirent » (voir l’exposé des motifs du projet de loi déposé devant le Sénat).

Le but clairement affiché est ainsi d’obtenir, parallèlement au renforcement des régions et la disparition programmée des conseils départementaux, des intercommunalités puissantes et adaptées à l’exercice des compétences de proximité.

Autrement dit, l’architecture que l’exécutif entend mettre en œuvre vise à « créer deux grands niveaux d’intervention locale : le niveau intercommunal, traduisant la volonté des communes, et le niveau régional » (voir l’étude d’impact du projet de loi « NOTRe »).

Concrètement, cet objectif s’est traduit, dans le projet de loi initial, par une modification du III de l’article L. 5210-1-1 du Code général des collectivités territoriales ; étant précisé que cet article est relatif au schéma départemental de coopération intercommunale, lequel prévoit une couverture intégrale du territoire par des établissements publics de coopération intercommunale – ci-après « EPCI » – à fiscalité propre et la suppression des enclaves et des discontinuités territoriales.

À ce jour, le III de l’article L. 5210-1-1 – créé par l’article 35 de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales – définit les orientations que ce schéma départemental doit prendre en compte.

Au nombre de ces orientations, figure celle portant sur la constitution d’EPCI à fiscalité propre regroupant au moins 5 000 habitants ; ce seuil de population n’étant toutefois pas applicable aux établissements publics dont le territoire comprend des zones de montagne délimitées conformément à l’article 3 de la loi dite « Montagne » du 9 janvier 1985, et pouvant être abaissé par le préfet du département pour tenir compte des caractéristiques géographiques particulières de certains espaces.

L’article 14 du projet de loi, tel que voulu par le gouvernement, a relevé ce seuil de population à 20 000 habitants, tout en autorisant quelques adaptations – sans qu’elles puissent être inférieures à 5 000 habitants – pour les projets de périmètre d’établissement public répondant à l’une des quatre hypothèses définies par l’article 14 lui-même.

Aux yeux de l’exécutif, ce passage d’un seuil de 5 000 à 20 000 habitants est rendu nécessaire pour permettre le regroupement des communes dans des groupements intercommunaux de taille suffisamment critique pour assurer la gestion de compétences renforcées.

L’hostilité du Sénat sur tout relèvement du seuil et sa crainte d’une disparition des communes

Ce relèvement du seuil intercommunal de population a été très fortement critiqué par la majorité sénatoriale qui, en deuxième lecture, a purement et simplement supprimé la disposition litigieuse.

En cause, la question de l’avenir des communes et la crainte de leur « évaporation ».

En dépit des quatre dérogations prévues à l’article 14 du projet de loi, bon nombre de sénateurs ont soulevé l’incohérence d’un seuil fixé à 20 000 habitants face à la grande diversité de situations locales et ont attiré l’attention sur le risque de blocage des politiques locales en contraignant une fois de plus les communes et intercommunalités existantes à fusionner pour atteindre ce nouveau seuil.

D’aucuns ont également rappelé les difficultés rencontrées par les intercommunalités et liées à la mise en œuvre récente de la loi du 16 décembre 2010, et ont appelé à faire une « pause législative ».

À les suivre, le seuil de 5 000 habitants est parfaitement adapté et permet tout à la fois de tenir compte des spécificités locales en laissant l’initiative aux communes, sans constituer un obstacle à la création de très grandes intercommunalités (cf intervention de Monsieur Philippe Bas, président de la commission des Lois).

Réfutant l’argument d’une « mise à mort des communes » en raison des principes de spécialité des EPCI à fiscalité propre et de subsidiarité, les sénateurs du groupe socialiste ont proposé un compromis en retenant un seuil intermédiaire de 15 000 habitants permettant de « rationaliser la carte intercommunale » du pays « tout en restant plus mesuré » (cf intervention de Monsieur Yannick Botrel).

Mais, ce seuil n’a pas plus convaincu la majorité sénatoriale que le seuil prévu dans le projet de loi NOTRe.

De fait, si le désaccord persiste entre le gouvernement et le Sénat, il est fort probable que l’Assemblée nationale, qui conserve le « dernier mot » en matière législative, entérine purement et simplement le relèvement du seuil intercommunal de population que l’exécutif appelle de ses vœux.

 

Donatien de Bailliencourt, Avocat Counsel, cabinet Granrut


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