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Droit de la fonction publique : harcèlement moral et bon usage du référé-libertés fondamentales

Publié le 15 novembre 2017 à 10h00 - par

Le droit de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue, pour un agent public, une liberté fondamentale invocable dans le cadre du référé-liberté.

Droit de la fonction publique et harcèlement moral: du bon usage du référé-libertés fondamentales
Donatien de Bailliencourt avocat collaborateur Granrut
Donatien de Bailliencourt

L’article L. 521-2 du Code de justice administrative permet à tout justiciable de saisir, en urgence, le juge administratif des référés afin qu’il prenne toute mesure utile pour faire cesser une violation d’une liberté fondamentale dont l’intéressé est victime de la part d’une personne publique1. Pour que le juge des référés puisse utilement intervenir, deux conditions sont requises :

– d’une part, l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

– d’autre part, l’existence d’une situation d’urgence.

Depuis un arrêt Commune du Castellet en date du 19 juin 20142, le Conseil d’État estime que des agissements constitutifs de harcèlement moral subis par un agent public justifient l’intervention du juge du référé-liberté.

Le droit pour un agent public de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue une liberté fondamentale

L’article 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 définit le harcèlement moral comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité d’un fonctionnaire, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de cet article, le Conseil d’État a, dans sa décision Commune du Castellet précitée, érigé le principe selon lequel le droit de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue, pour un agent public, une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2.

De fait, la Haute juridiction admet qu’un fonctionnaire puisse, dans le cadre d’un référé-liberté, demander au juge administratif de faire cesser une situation de harcèlement moral dont il est victime3.

Le constat d’une situation de harcèlement moral ne va pourtant pas de soi et son appréciation peut s’avérer être délicate surtout lorsque, saisi d’un référé-liberté, le juge administratif doit statuer dans un délai très restreint.

La preuve du harcèlement moral dans le contentieux administratif est en effet régie selon des règles spécifiques définies par le Conseil d’État dans sa décision Mme Montaut du 11 juillet 20114.

La charge de la preuve pèse sur l’agent qui soutient avoir été victime d’agissements de harcèlement moral, mais se trouve assouplie à son profit.

Celui-ci doit soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement.

En réponse, l’administration doit produire, et en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

Au vu des éléments fournis par les parties dans le cadre de la procédure contradictoire, le juge apprécie si les agissements de harcèlement moral sont ou non établis.

Saisi d’un référé-liberté visant à faire cesser une situation de harcèlement moral dont un fonctionnaire s’estime être victime de la part de son administration, le juge administratif doit donc s’en tenir à cette méthode et se livrer à une appréciation in concreto5.

À ce titre, la mise à l’écart du fonctionnaire au sein d’une équipe, son isolément dans un service, des remises en cause publiques de sa hiérarchie, la privation de toute fonction ou de toute activité réelle, la diminution de son niveau de responsabilité sont autant d’éléments caractérisant une situation de harcèlement moral si l’administration n’est pas en mesure d’établir que les mesures qui affectent l’agent sont justifiées par des considérations liées au service6.

Compte tenu de cette méthodologie, des divergences d’appréciation peuvent apparaître entre les tribunaux administratifs et le juge d’appel qu’est le Conseil d’État dans des affaires complexes où se mêlent des réorganisations de services, des relations conflictuelles entre l’agent et sa hiérarchie et une manière de servir peu flatteuse du fonctionnaire7.

Toutefois, lorsque les éléments du dossier permettent de caractériser une situation de harcèlement moral, le juge des référés estime alors que la première condition tirée de l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale – à savoir le droit dont bénéficie tout agent public de ne pas être soumis à un harcèlement moral – est nécessairement satisfaite8.

L’urgence à ce qu’il soit mis fin à une situation de harcèlement moral

En principe, lorsqu’il fonde son action sur la procédure du référé-liberté, le requérant doit justifier de circonstances caractérisant une situation d’urgence qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par l’article L. 521-1 soient remplies, qu’une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise à très bref délai9.

À défaut de justifier de cette urgence, le demandeur s’expose à ce que sa requête soit rejetée par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, en application de l’article L. 522-3 du Code de justice administrative.

S’agissant d’agissements de harcèlement moral qui caractérisent une atteinte manifestement grave et illégale à une liberté fondamentale, la question se pose de savoir si le fonctionnaire qui en est victime doit justifier spécifiquement de l’urgence ou si la preuve du harcèlement moral suffit à ce que cette seconde condition soit réputée acquise.

Sur ce point, la position du Conseil d’État ne semble pas définitivement arrêtée.

Dans les cas où il a estimé que le harcèlement moral était caractérisé, le Conseil d’État paraît avoir apprécié globalement les deux conditions de l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et de l’urgence au regard des circonstances particulières de l’affaire et de la gravité des conséquences en résultant pour le fonctionnaire qui en a été victime10.

En d’autres termes, le juge administratif semble admettre qu’en apportant la preuve de l’existence d’agissements de harcèlement moral de son administration, le fonctionnaire puisse être dispensé d’une démonstration de la condition d’urgence dans la mesure où il existe une « urgence intrinsèque qui s’attache à ce qu’il soit mis fin à une situation de harcèlement moral »11.

Cette solution devra néanmoins être explicitée par le Conseil d’État.

La reconnaissance du droit pour tout agent public de ne pas être soumis à un harcèlement moral comme liberté fondamentale ouvre donc, pour le fonctionnaire victime de faits de harcèlement moral, une voie de droit efficace – le référé-liberté -, qui peut se combiner avec d’autres actions contentieuses telles que le recours indemnitaire contre la personne publique qui l’emploie ou le recours en annulation, le cas échéant assorti d’un référé-suspension, contre des décisions administratives dont il estime qu’elles sont entachées d’illégalité.

 

Donatien de Bailliencourt, Avocat Counsel, cabinet Granrut

 


Notes :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens, justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de 48 heures ».

2. CE, 19 juin 2014, Commune du Castellet, req. n° 381061, AJDA 2014.2079, note O. Le Bot.

3. CE, 21 mai 2015, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, req. n° 390056 ; CE, 2 octobre 2015, Commune de Mérignac, req. n° 393766 ; CE, 4 mai 2016, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, req. n° 398909.

4. CE Sect., 11 juillet 2011, Mme Montaut, req. n° 321225, AJDA 2011.2072, concl. M. Guyomar.

5. Par exemple, CE, 23 octobre 2017, Pôle Emploi, req. n° 414975.

6. CE, 19 juin 2014, Commune du Castellet, préc. ; CE, 21 mai 2015, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, préc.

7. CE, 15 avril 2016, Commune de Maurepas, req. n° 398266 ; CE, 12 janvier 2017, Commune de Laval, req. n° 406149 ; CE, 14 mars 2017, Commune de Cluny, req. n° 408334 ; CE, 23 octobre 2017, Pôle emploi, préc.

8. CE, 2 octobre 2015, Commune de Mérignac, préc.

9. CE, 9 novembre 2015, req. n° 394426 ; CE, 13 octobre 2017, req. n° 414811.

10. CE, 19 juin 2014, Commune du Castellet, préc. ; CE, 21 mai 2015, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, préc. ; CE, 4 mai 2016, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, préc. ; CE, 15 avril 2016, Commune de Maurepas, préc.

11. CE, 2 octobre 2015, Commune de Mérignac, préc.


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