Suspension de la réforme des retraites jusqu’en 2027 : quelles conséquences pour la FPT ?

Publié le 15 octobre 2025 à 8h15 - par

Annoncée par le Premier ministre Sébastien Lecornu le 14 octobre 2025 lors de sa déclaration de politique générale, la suspension de la réforme des retraites de 2023 jusqu’à l’élection présidentielle de 2027 bouleverse de nouveau le paysage social français. Cette décision, motivée par la volonté d’éviter une censure parlementaire et de renouer un dialogue apaisé avec les partenaires sociaux, appelle une lecture nuancée, notamment pour les employeurs publics territoriaux. Le point sur les conséquences dans la fonction publique territoriale (FPT) si cette suspension était adoptée par le Parlement.

Suspension de la réforme des retraites jusqu'en 2027 : quelles conséquences pour la fonction publique territoriale ?
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Une suspension politique et non une abrogation juridique

La réforme de 2023, qui avait relevé l’âge légal de départ à 64 ans et accéléré le calendrier d’allongement de la durée de cotisation, reste en vigueur dans son principe. Toutefois, la suspension annoncée stoppe la montée en charge de la réforme à compter de 2026, ce qui a pour effet concret de figer l’âge légal à 62 ans et 9 mois au lieu d’un passage progressif vers 64 ans. Mais l’autre effet majeur concerne la durée de cotisation, initialement prévue pour atteindre 172 trimestres (43 années) à partir de 2027. Avec cette suspension, le calendrier d’allongement est gelé : la durée requise reste donc bloquée à 171 trimestres pour les générations actuellement concernées, jusqu’à nouvel ordre. Cela signifie que les agents n’auront pas à cotiser davantage que ce qui était déjà prévu pour 2025-2026, au moins jusqu’à la reprise du processus de réforme après 2027. Autrement dit, les agents publics et salariés du privé pourront continuer à partir à la retraite à 62 ans et 9 mois avec 171 trimestres de cotisation, sans que l’objectif final de 64 ans et 172 trimestres ne soit atteint. Il n’y a donc pas de retour aux règles antérieures à 2023, qui permettaient un départ à 62 ans avec 167 trimestres, mais un gel des paramètres en vigueur à mi-réforme, ce qui représente une inflexion majeure.

Les mesures sociales conservées : entre continuité et compromis

Plusieurs dispositions issues de la réforme de 2023 devraient être maintenues, tant elles répondent à un consensus social. Le minimum contributif amélioré, qui permet de porter les pensions les plus basses à environ 85 % du SMIC net pour une carrière complète, devrait être conservé, car son abrogation serait politiquement intenable et socialement contre-productive. Le dispositif carrières longues, assoupli pour permettre des départs anticipés dès 58 ou 60 ans selon la durée d’assurance, pourrait être étendu ou ajusté, notamment pour les agents publics ayant commencé très jeunes. Enfin, la prise en compte de la pénibilité, via la reconnaissance de certains critères spécifiques dans la fonction publique – tels que le travail de nuit, l’exposition au stress ou aux risques physiques – pourrait faire l’objet de discussions dans la conférence sociale annoncée par le Premier ministre. Ces mesures évitent une rupture brutale et permettent de maintenir une continuité dans la justice sociale, en particulier pour les carrières modestes et débutées tôt.

Des effets différenciés entre fonction publique et secteur privé

Pour les agents publics territoriaux, la suspension de la réforme n’entraîne pas de retour à l’ancien système des catégories actives et sédentaires. Les nouvelles bornes d’âge, fixées à 60 ans pour les actifs et 62 ans et 9 mois pour les sédentaires, continueront de s’appliquer sans atteindre le cap de 64 ans initialement prévu. En revanche, la progression des durées de cotisation est désormais gelée à 171 trimestres, ce qui simplifie temporairement la gestion des carrières longues et des départs anticipés. Dans le secteur privé, les effets seront plus directs sur les dispositifs de retraite anticipée, notamment ceux liés à la pénibilité et aux carrières longues. Les entreprises devront ajuster leurs politiques de maintien dans l’emploi des seniors, au moins jusqu’à la réouverture du dossier après 2027.

Pour la fonction publique territoriale, cette incertitude rend complexe la planification des départs à la retraite et la gestion prévisionnelle des effectifs. Les directions des Ressources humaines devront anticiper des taux de départ plus étalés, notamment dans les services techniques, les Ehpad et les SDIS, où les agents actifs sont nombreux. Les budgets de remplacement devront intégrer des scénarios variables selon les hypothèses de réactivation de la réforme. Enfin, les collectivités devront suivre de près les discussions sur la pénibilité et les fins de carrière, car elles pourraient être redéfinies à l’occasion de la conférence sociale.

Une conférence sociale déterminante sur les retraites

Le Premier ministre a annoncé une conférence sur les retraites et le travail avec les partenaires sociaux pour début 2026. Son objectif sera double : trouver un nouvel équilibre financier – les 400 millions d’euros en 2026 et 1,8 milliard en 2027 devront être compensés par des économies – et réfléchir à une refonte du rapport au travail et à l’emploi des seniors, dans un contexte de vieillissement de la population active et de tension sur le recrutement public. Cette concertation pourrait ouvrir la voie à des dispositifs spécifiques pour les agents publics, tels que des aménagements de fin de carrière comme le  temps partiel senior ou le cumul emploi-retraite assoupli, des reconnaissances de pénibilité sectorielles, notamment dans les filières techniques et sociales, ainsi que des incitations à la transmission des compétences avant le départ.

La suspension de la réforme des retraites jusqu’en 2027 ne signifie ni retour en arrière, ni statu quo total. Elle gèle l’âge légal à 62 ans et 9 mois, la durée de cotisation à 171 trimestres, et maintient les mesures sociales les plus consensuelles. Cette situation hybride ouvre une période d’incertitude pour les employeurs publics mais donne un peu d’air aux carrières longues. Pour les directions des Ressources humaines, la priorité sera de rester en veille juridique et sociale, d’adapter les projections de départs et de s’impliquer dans la concertation à venir. Car c’est bien à l’horizon 2027 que se jouera la nouvelle architecture du système de retraite français.


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