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« Le silence vaut décision d’acceptation »: des exceptions et des sources d’insécurité juridique

Publié le 19 septembre 2014 à 9h26 - par

La loi du 12 novembre 2013 a instauré le principe selon lequel le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation alors que jusqu’ici le silence valait par principe rejet de la demande.

Sébastien Pinot, Avocat associé du département Droit public et Environnement de Bignon LebraySébastien PINOT Thi Hong Mai Pham, Avocat du département Droit public et Environnement de Bignon LebrayThi HONG MAI PHAM

Décrite comme une véritable « révolution administrative »1, cette réforme a pour but une meilleure satisfaction de l’intérêt des administrés et une plus grande efficacité de l’administration « en bornant dans le temps le délai de réponse de l’administration » et ainsi, « en incitant à une instruction diligente des dossiers »2.

Toutefois, compte tenu du nombre d’exceptions au nouveau principe (I) ainsi que des insécurités juridiques qu’il soulève (II), on peut s’interroger sur son efficacité.

 

I. Les exceptions

Tout d’abord, la loi prévoit une première catégorie d’exceptions au titre de laquelle le silence vaut rejet lorsque la demande :

    • ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle ; on pense aux demandes d’abrogation d’un règlement ;
  • ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ; on peut songer aux demandes de cession de marchés publics, dont le régime est encadré jusqu’ici uniquement par la jurisprudence ;
  • constitue une réclamation ou un recours administratif contre une décision ;
  • présente un caractère financier (sauf dans certains cas) ; il peut s’agir ici des demandes d’indemnisation, cette catégorie peut se recouper avec la précédente ;
  • est formulée dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents.

Ensuite, la loi prévoit une deuxième catégorie d’exceptions dont la mise en œuvre est subordonnée à l’adoption de décrets :

    • lorsqu’une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public ;
  • lorsque l’objet de la décision ou la bonne administration le justifient.

Par ailleurs, des décrets pourront fixer un délai d’acceptation tacite différent lorsque l’urgence ou la complexité de la procédure le justifie.

Compte tenu du libellé de ces exceptions, le gouvernement dispose d’une marge de manœuvre considérable pour revenir à l’état du droit antérieur (i.e. silence vaut rejet) ou pour modifier le délai de deux mois à l’issue duquel silence vaut acceptation.

C’est donc en toute logique que les trois projets de décrets mis à la consultation du public sur les sites internet ministériels au cours de l’été dernier contiennent une liste très étendue d’exceptions. Par exemple, dans de nombreuses hypothèses, le silence continuera à valoir rejet ou ne vaudra acceptation qu’au bout d’un délai plus long dans les secteurs sensibles ou stratégiques (nucléaire, énergie, eau, chimie, patrimoine naturel, déchets, mines, transports, construction en site classé).

La nouvelle loi ainsi que ses décrets d’application entreront en vigueur le 12 novembre 2014 pour les actes relevant de l’État ou de ses établissements publics administratifs et le 12 novembre 2015 pour les actes pris par les collectivités territoriales et leurs établissements publics.

 

Les sources d’insécurité juridique

Tout d’abord, les tiers ayant intérêt à agir peuvent attaquer une décision sans condition de délais tant que celle-ci ne fait pas l’objet d’une publicité adéquate. Les décisions implicites n’étant par définition pas publiées, les cas de recours des tiers sans condition de délais seront donc plus nombreux.

La loi tente toutefois de contenir ce phénomène en précisant que « dans le cas où la décision demandée peut être acquise implicitement et doit faire l’objet d’une mesure de publicité à l’égard des tiers lorsqu’elle est expresse, la demande est publiée par les soins de l’administration, le cas échéant par voie électronique, avec l’indication de la date à laquelle elle sera réputée acceptée si aucune décision n’est intervenue ».

Par ailleurs, en vertu du principe selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales, les lois antérieures à la réforme prévoyant que pour certaines demandes le silence vaut rejet continueront à s’appliquer ; à moins que le gouvernement, habilité jusqu’au 12 novembre 2014 à modifier les lois antérieures par ordonnance, modifie lesdites lois pour prévoir dans ces cas que le silence vaudra acceptation.

Enfin, il se peut que certaines dispositions réglementaires antérieures à la réforme, et prévoyant que le silence sur une demande particulière vaut rejet, ne soient pas expressément modifiées ; il conviendra néanmoins de les écarter pour appliquer le principe inverse prévu par la nouvelle loi, car ces dispositions seront devenues implicitement contraires à la nouvelle loi.

On comprend mieux pourquoi, pour tenter de guider les administrés dans ce dédale juridique, le législateur a prévu qu’une liste soit publiée sur un site internet relevant du Premier Ministre, récapitulant la liste des procédures pour lesquelles le silence sur une demande vaudra acceptation et mentionnant l’autorité à qui la demande devra être adressée.

 

Sébastien Pinot, Avocat associé, et Thi Hong Mai Pham, Avocat, au département Droit public et Environnement de Bignon Lebray

Notes :

1. http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r1342.asp#P96_10847

2. http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r1342.asp#P96_10847


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