Aide à la douche, aux repas, ménage, petits soucis du quotidien : Vonnick, 61 ans, doit veiller et penser à tout, pour chacun des seniors chez qui elle intervient. Le tout pour environ 1 200 euros net, avec 600 à 800 kilomètres à parcourir chaque mois, dans des villages de la périphérie strasbourgeoise, au volant de son propre véhicule. Lucie, bientôt 97 ans, l’attend chaque matin avec impatience. « Elle me gâte, c’est mon bon Dieu ! », sourit la vieille dame, qui s’accroche à son déambulateur pour aller de sa chambre à sa cuisine. La nonagénaire ne peut pas s’habiller ni se laver seule. Mais elle est catégorique : « Je n’irai pas à la maison de retraite, je mourrai ici ! », dit-elle en tapant du poing sur la toile cirée.
La ministre des Solidarités, Agnès Buzyn, qui doit présenter prochainement une loi sur le financement de la dépendance, a souligné que son projet privilégierait le maintien à domicile, une solution plébiscitée par les Français. Or, partout en France, le secteur fait face à une pénurie de main d’œuvre. Dans les seules structures associatives à but non lucratif, la branche compte 226 000 salariés, mais il en faudrait 17 000 supplémentaires dans l’immédiat et 42 000 d’ici 2022, selon l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA).
À l’Abrapa, la structure locale qui emploie Vonnick Guibout dans le Bas-Rhin, « on a du mal par moment, sur certains secteurs géographiques, à répondre à la demande », au point de devoir instaurer des « sortes de listes d’attente », déplore Charlotte Blatt, directrice du pôle « soutien à domicile ».
Proche du seuil de pauvreté
Dans leur immense majorité, les salariés du secteur, quasiment toutes des femmes, sont payés au SMIC, et souvent à temps partiel, si bien que leur rémunération mensuelle moyenne est à peine supérieure au seuil de pauvreté (1 026 euros pour une personne seule). Avec de tels salaires, et au vu des horaires irréguliers, « je comprends pourquoi les jeunes ne restent pas : si elles ont de jeunes enfants, c’est pas possible, elles peuvent pas vivre », analyse Vonnick, dont la qualification d’« auxiliaire de vie sociale », la plus élevée dans cette branche, ne lui rapporte que quelques dizaines d’euros mensuels supplémentaires.
En fin de matinée, la journée se poursuit chez Alice, 92 ans, que Vonnick aide depuis 14 ans. « Au début, je faisais seulement le ménage ». Puis le vieillissement a fait son œuvre, et les soins à la personne ont pris de plus en plus d’importance. Alice, qui s’est fracturé une cheville à l’automne dernier, est désormais grabataire : elle ne quitte plus son lit, où elle somnole l’essentiel de la journée, veillée par sa fille septuagénaire. Quand vient l’heure du repas, « je la stimule pour qu’elle se réveille doucement, j’ouvre la fenêtre, je lui parle », explique Vonnick.
Chez Paul, 87 ans, l’aide à la douche se conclut toujours par un moment d’échange autour d’un café. Sans l’aide à domicile et la livraison des repas, « ça ne serait pas gérable, il ne pourrait pas rester à la maison », commente son fils Denis, 57 ans, qui habite juste à côté. L’auxiliaire de vie s’efforce de rester calme même lorsque les bénéficiaires jouent avec ses nerfs. « Ça peut être une dame qui crache par terre le repas que je lui ai préparé, ou qui cache son dentier dans le paquet de lessive, pour m’obliger à rester auprès d’elle jusqu’à ce que je l’aie retrouvé ».
Ce qui désole Vonnick, c’est l’« image basique du métier » : « on pense ménage, popotte, repassage ». Pourtant « derrière ça, il y a de l’humanité. La clef, c’est de comprendre la personne, et de la prendre comme elle est, avec empathie », explique-t-elle, convaincue que si cet aspect du métier était mieux reconnu, « le job intéresserait davantage les jeunes ».
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