Peut-on engager la responsabilité solidaire du fabricant en cas de dommage de nature décennale ?

Publié le 5 février 2010 à 0h00 - par

Le maître d’ouvrage peut engager la responsabilité solidaire du fabricant d’un élément d’équipement, même s’il n’a aucun lien contractuel avec lui. Pour faire jouer à son encontre la garantie décennale, il lui appartient néanmoins de démontrer que cet équipement est conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance. Analyse et commentaire d’une décision du Conseil d’État du 9 juillet 2009 par Olivier Caron et Alexandre Labetoule, avocats.

Peut-on engager la responsabilité solidaire du fabricant en cas de dommage de nature décennale ?

Faits

Dans le cadre de l’aménagement de son aile Richelieu, le musée du Louvre a confié les travaux d’électricité à la société l’Entreprise Industrielle. Cette dernière a fait appel à la société Krendel pour la réalisation des armoires électriques dans le cadre d’un contrat de sous-traitance. À la suite d’un incendie qui s’est déclaré dans l’armoire électrique située dans un local technique environ cinq ans après la réception des travaux, du matériel électrique et des œuvres d’art ont été endommagés. Le musée du Louvre a alors recherché la responsabilité solidaire de la société Ineo EI-IDF, venant aux droits de la société l’Entreprise Industrielle, et de la société Krendel. Le tribunal administratif de Paris a condamné la société Ineo EI-IDF à supporter le coût des réparations des installations électriques et, pour partie, le coût de restauration des œuvres d’art. En revanche, il s’est déclaré incompétent pour statuer sur les conclusions dirigées contre la société Krendel. La Cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement sur ce point et elle a condamné solidairement le titulaire du marché et le fabricant.

Décision

Le maître d’ouvrage peut engager la responsabilité solidaire du fabricant d’un élément d’équipement, même s’il n’a aucun lien contractuel avec lui. Pour faire jouer à son encontre la garantie décennale, il lui appartient néanmoins de démontrer que cet équipement est conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance.

Le conseil de l’avocat

D’une façon générale, les litiges opposant les maîtres d’ouvrage publics et les sous-traitants relèvent de la compétence du juge judiciaire, tandis que ceux en rapport avec leurs contractants directs (maître d’œuvre, entrepreneur principal) sont du ressort du juge administratif. Il est toutefois possible, pour les maîtres d’ouvrage publics, de simplifier le contentieux et d’obtenir une condamnation solidaire de l’ensemble des intervenants concernés par le dommage lorsque le sous-traitant en question est un fabricant de matériel.

L’article 1792-4 du Code civil autorise le maître de l’ouvrage à mettre en cause directement le fabricant, même si celui-ci est uniquement lié à l’entrepreneur principal. Par l’arrêt commenté, la Cour administrative d’appel de Paris accepte d’appliquer les principes dont s’inspire cet article aux litiges relatifs à la construction publique. Elle confirme ainsi deux autres décisions prononcées par des juges du fond (TA Besançon, 18 juin 1998, Commune de Danjoutin c/ SA Abizatti et SA Matthis, Rec. CE 1998, tables, p. 636 ; CAA de Bordeaux, 14 septembre 2004, Couderc, req. n° 98BX00197), le Conseil d’État n’ayant pas encore eu l’occasion, à notre connaissance, de se prononcer sur cette question.

D’un point de vue pratique, il appartient au maître d’ouvrage, pour obtenir la condamnation solidaire du fabricant, de caractériser que le litige ne porte pas sur un produit standard. Tel n’était pas le cas dans cette affaire où la cour a jugé, au vu du rapport d’expertise, que la société Krendel avait conçu et fabriqué l’armoire électrique à l’origine du sinistre et qu’elle .l’avait assemblée et installée sur place.

Référence

CAA de Paris, 9 juillet 2009, Société Ineo EI IDF, req. n° 08PA02756, publié aux tables du Recueil Lebon.

Extrait

« … le musée du Louvre est fondé à soutenir que la société Krendel doit, en sa qualité de fabricant de l’armoire défectueuse et en application des principes dont s’inspire l’article 1792-4 du Code civil, dont la mise en œuvre n’est pas subordonnée à l’existence d’un lien contractuel entre le maître d’ouvrage et le fabricant, être déclarée solidairement responsable des obligations mises à la charge de la société Ineo EI-IDF au titre de sa responsabilité décennale. »


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