Un achat public européen de plus en plus mutualisé

Publié le 12 décembre 2016 à 16h29 - par

Le développement des structures de mutualisation, ayant le statut de centrale d’achat public, est un phénomène constaté en France mais également en Europe. Il témoigne d’une reconnaissance de la mutualisation et d’une nécessité de professionnalisation.

Premier bilan de la mise en œuvre des Points conseil budget

L’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 définit en son article 26, qu’une centrale d’achat est un acheteur qui a pour objet d’exercer des activités d’achat centralisée qui sont :

  • l’acquisition de fournitures ou de services destinés à des acheteurs ;
  • la passation des marchés publics de travaux, de fournitures ou de services destinés à des acheteurs

Les acheteurs qui recourent à une centrale d’achat… sont considérés comme ayant respecté leurs obligations de publicité et de mise en concurrence. Toutefois, ils demeurent responsables du respect des dispositions de l’ordonnance pour les opérations de passation ou d’exécution du marché public dont ils se chargent eux-mêmes, notamment lorsqu’ils recourent à une centrale d’achat agissant en qualité d’intermédiaire.

Si, pendant longtemps, le principal motif du recours à une centrale d’achat a résidé dans la dispense de procédures et la simplification administrative, de nombreux facteurs sont de nature à expliquer l’intégration de plus en plus importante de ce dispositif d’externalisation dans les stratégies achats, notamment lorsque dans certains États membres ce recours présente un caractère obligatoire.

Cet article vise donc à faire un état des lieux de la centralisation de l’achat public en Europe.

Les centrales d’achat au sein des États membres

La France dispose d’un achat public historiquement éclaté : 132 653 autorités contractantes contre 30 000 en Allemagne et en Italie, 7 500 aux Pays-Bas et 3 700 en Suède par exemple. Cette situation propre à la France peut d’ailleurs également expliquer le retard pris en matière de mutualisation « territoriale » mais également en matière de dématérialisation.

Ainsi, si l’Islande (Rikiskaup), l’Allemagne (Beschaffunggsamt) et la France (UGAP) disposent depuis plusieurs décennies de structures mutualisées, il est à noter que la mise en place de centrales d’achat est plutôt récente et date des années 2000 (Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Grande-Bretagne, Italie) voire des années 2010 (Bulgarie, Croatie, Espagne, Irlande, Norvège, Portugal, Slovénie, Suède).

Ces structures sont, pour la très grande majorité, des agences, établissements ou services ministériels de l’État et ont atteint sous une impulsion politique forte une place prépondérante au sein de la commande publique de leur pays. La France, malgré la présence historique de l’UGAP, n’a que très récemment identifié le potentiel de ces organisations.

Le modèle juridique

Il est important de distinguer :

  • d’une part, les centrales d’achat qui opèrent une mission d’achat pour revente, en exécutant les marchés qu’elles signent et notifient ; c’est le cas de l’UGAP, principal – sinon exclusif – acteur de ce modèle en France voire en Europe ;
  • d’autre part, les autres centrales d’achat qui mettent à disposition des acheteurs publics des cadres contractuels qu’il leur revient de signer, notifier et exécuter.

C’est ainsi la différence notable entre la centrale d’achat grossiste et la centrale d’achat intermédiaire. Dans le deuxième cas, conformément à la réglementation européenne et comme l’a rappelé fin août la Direction des Affaires Juridiques de Bercy (DAJ), les bénéficiaires de ces contrats doivent être clairement identifiés et partie à l’accord-cadre. Cette contrainte forte a donc conduit de nombreux pays en Europe (au sens géographique) à adopter le modèle du recours obligatoire à la centrale d’achat que ce soit pour l’État (majoritairement) mais également dans des cas plus rares pour l’ensemble des acheteurs publics (Espagne, au-dessus des seuils, Irlande et Islande) ou encore spécifiquement pour les hôpitaux (Slovénie).

Les acheteurs publics de ces pays (collectivités et hôpitaux) peuvent également y recourir de manière facultative en dehors du cadre réglementaire.

Des centrales d’achat en France mais également en Europe étudient de plus en plus le modèle de l’achat pour revente (centrale d’achat dite grossiste) qui apparaît plus proche des objectifs de la centralisation (recours facilité, sécurité juridique, centralisation des commandes, des factures et des paiements, outils statistiques associés, suivi de l’exécution, accompagnement SAV…), et qui s’éloigne ainsi définitivement du modèle du groupement de commandes. Un modèle efficient mais qui nécessite une taille critique, un effectif plus important, des investissements forts et réguliers notamment en matière de système d’information et une capacité financière significative.

Le périmètre d’intervention

L’analyse du périmètre d’intervention des centrales d’achat en Europe trahit la prédominance « logique » de la massification comme levier. Sont ainsi pleinement intégrés les domaines de fournitures courantes : mobilier, informatique, véhicules mais également services aux occupants…

Le secteur de la Santé, fortement représenté en France, tend à se développer en Slovénie, Irlande, Italie (médicaments) et Suède (médicaments).

À noter également le développement d’offres centralisées de restauration collectives et de denrées alimentaires dans de nombreuses centrales. La Suède est enfin la seule centrale d’achat à opérer des prestations d’intérim.

Les politiques publiques

Le poids des PME dans la commande (en valeur) est très variable d’un pays à l’autre. Une étude réalisée en 2014 par la Commission européenne fait état des chiffres suivants :

  • plus de 70 % (Grèce, Lettonie),
  • environ 50 % (Luxembourg, Bulgarie, Hongrie, Allemagne),
  • environ  40 % (Slovénie, Belgique, Roumanie, Chypre, Danemark République tchèque),
  • 30 % (France),
  • 20 à 30 % (les autres).

Ainsi par exemple en Allemagne, le poids des PME dans la commande publique est quasi identique à leur poids relatif au sein de leur économie. En France, l’écart constaté au sein de cette étude est de – 27, ce qui tend à démontrer le décalage notable en France entre poids économique de ces entreprises et leur pénétration au sein de la commande publique. Cette tendance semble pourtant s’inverser depuis 2012 au gré d’une évolution des pratiques achat mais également d’une ouverture, certes encore timide mais constaté, des PME aux groupements d’entreprises.

Ainsi, et contrairement aux idées reçues, la mutualisation de l’achat public associée à une professionnalisation accélérée, doit être perçue par les entreprises et notamment par les PME comme une opportunité !

Les avantages constatés dans d’autres pays sont notamment, l’identification et un accès facilité aux décideurs achats, des procédures plus importantes et plus structurées, la mise en œuvre plus régulière de critères de politiques publiques, une approche plus aboutie en matière de coût complet, un meilleur suivi de l’exécution des marchés et une plus grande attention notamment aux délais de paiement. Un acheteur plus important est enfin par définition, plus visible et donc davantage regardé dans ses pratiques et dans sa stratégie achat à long terme.

En conclusion

La mutualisation, notamment au travers du modèle de la centrale d’achat, est un phénomène bien engagé en Europe. Elle ouvre la voie naturellement à des coopérations entre ces structures pour des familles d’achat pouvant relever d’un achat « européen ». Elle ouvre également celle d’un recours possible à ces structures par des acheteurs d’autres États membres. Notons toutefois que cette approche pertinente sur le papier devrait nécessiter un certain nombre de réglages administratifs, juridiques ou financiers.
L’équation toutefois posée – et l’achat public n’échappe pas à la règle – est pour chaque pays, d’accompagner la mise en place d’une forme d’achat public « européen » tout en permettant à chacun d’être (et l’Europe l’y encourage) porteur de ses propres politiques publiques en matière de développement économique des territoires. Si l’Europe a historiquement, en matière de Droit, démontré sa capacité à uniformiser les pratiques et les règles, il subsiste encore de trop nombreux décalages en matière de droit du travail, de droit social, de règles économiques et fiscales pour assurer une parfaite équité de traitement des opérateurs économiques.

Une centralisation des achats professionnelle et structurée au sein de chaque pays constitue une réelle opportunité de dialogue et d’échanges de bonnes pratiques. Elle devrait également permettre un équilibre pertinent entre intérêt européen et intérêt national, et ainsi permettre un achat mutualisé tantôt à l’échelle d’un territoire, tantôt à l’échelle d’un pays et tantôt à l’échelle d’un continent.

Un achat public, devenu enfin un acte économique !

Sébastien Taupiac,
Directeur délégué à l’innovation à l’UGAP


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