Analyse des spécialistes / Élus

Quelle modification du régime de la prise illégale d’intérêt pour les élus ?

Publié le 13 juillet 2022 à 8h00 - par

Les lois du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et du 21 février 2022 dite « 3DS » ont réformé le régime de la prise illégale d’intérêt des élus. Le but est de clarifier ledit régime pour permettre aux élus de trouver une action équilibrée entre l’exercice de leurs mandats et leurs investissements personnels dans la vie locale.

Quelle modification du régime de la prise illégale d'intérêt pour les élus ?

La déontologie des élus avait déjà été inscrite dans la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015. Celle-ci avait introduit, à l’article L. 1111-1-1 du Code général des collectivités territoriales, la Charte de l’élu local qui définit le code de bonne conduite auquel les élus doivent se conformer pendant la durée de leur mandat. Les articles 2 à 5 de ladite charte évoquent la problématique des conflits d’intérêts. C’est dans ce contexte où la déontologie de l’élu est en construction normative que les deux lois précitées ont été prises pour réformer le régime de prise illégale d’intérêt.

1. Une redéfinition légale de la prise illégale d’intérêt par la loi du 22 décembre 2021

Deux sénateurs avaient proposé de réécrire l’article 432-12 du Code pénal relatif au délit de prise illégale d’intérêts applicable aux fonctionnaires aux élus. Selon eux, « la modification reprend une proposition formulée par la HATVP dans son dernier rapport d’activité et par la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, qui a rendu son rapport en 2011. La définition de l’infraction mérite en effet d’être précisée afin d’éviter que des élus ou des fonctionnaires soient poursuivis alors qu’il n’y a pas eu de véritable manquement à la probité. Pour ce faire, l’intérêt pris dans une entreprise ou dans une opération devrait être de nature à compromettre leur impartialité, leur indépendance ou leur objectivité et donc à nuire à l’exercice de leurs responsabilités publiques (…). Un meilleur équilibre serait assuré entre la lutte indispensable contre tous les manquements à la probité et la sécurisation de l’activité des responsables publics. Elle n’empêcherait pas de sanctionner les responsables publics qui abusent de leurs fonctions pour en retirer un avantage personnel ou qui font primer un intérêt privé sur l’intérêt public dont ils ont la charge »1. Le nouveau texte vise la prise d’intérêt des élus dans une entreprise ou dans une opération de nature à compromettre leur impartialité, leur indépendance ou leur objectivité et donc à nuire à l’exercice de leurs responsabilités publiques. Cette définition reste incertaine.

2. Un contenu reprécisé par la loi du 21 février 2022

La loi « 3DS » a créé un article L. 1111-6 du CGCT2 et a modifié l’article L. 1524-5 du CGCT3. Lesdits textes définissent un principe d’exclusion du conflit d’intérêt au profit d’un élu représentant sa collectivité au sein de certaines entités tierces.

Premièrement, les élus d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales désignés pour participer aux organes décisionnels d’une autre personne morale de droit public ou d’une personne morale de droit privé en application de la loi ne sont pas considérés, du seul fait de cette désignation, comme ayant un intérêt, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur une affaire intéressant la personne morale concernée ou lorsque l’organe décisionnel de la personne morale concernée se prononce sur une affaire intéressant la collectivité territoriale ou le groupement représenté. Les élus agissant en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d’administration ou de surveillance des sociétés d’économie mixte locales et exerçant les fonctions de membre ou de président du conseil d’administration, de président-directeur général ou de membre ou de président du conseil de surveillance, ne sont pas considérés, de ce seul fait, comme étant intéressés à l’affaire, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur ses relations avec la société d’économie mixte locale. Cette seule qualité emporte les mêmes conséquences lorsque l’élu local participe aux délibérations du conseil d’administration ou de surveillance de la société portant sur ses relations avec la collectivité ou le groupement qu’il représente. Ce principe est assorti de nombreuses exceptions rendant un peu illisible la portée de la réforme.

Deuxièmement, à l’exception des délibérations portant sur une dépense obligatoire au sens de l’article L. 1612-15 du CGCT et sur le vote du budget, les élus précités ne participent pas aux décisions de la collectivité territoriale ou du groupement attribuant à la personne morale concernée un contrat de la commande publique, une garantie d’emprunt ou les aides à des entreprises en difficulté, les aides sur leur territoire en matière d’investissement immobilier des entreprises et de location de terrains ou d’immeubles, ni aux commissions d’appel d’offres ou à la commission prévue en cas de délégation de service public lorsque la personne morale concernée est candidate, ni aux délibérations portant sur leur désignation ou leur rémunération au sein de la personne morale concernée. Néanmoins, cela ne s’applique pas aux élus des collectivités territoriales ou de leurs groupements qui siègent au sein des organes décisionnels d’un autre groupement de collectivités territoriales, ni aux élus des collectivités territoriales ou de leurs groupements qui siègent au sein des organes décisionnels des CCAS/CIAS et à des caisses d’école. Lorsqu’une société d’économie mixte locale est candidate à l’attribution d’un contrat de la commande publique, les élus ne peuvent pas participer aux commissions d’appel d’offres, ni à la délibération attribuant le contrat. De la même façon, ils ne peuvent pas participer aux délibérations accordant à cette société une aide.

Malgré la réforme du régime de la prisé illégale d’intérêt, plusieurs associations d’élus expriment des inquiétudes. Selon elles, le régime n’est pas clair et non protecteur des élus. Une réflexion est à mener.

Dominique Volut, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. Amendement présenté le 13 septembre 2021 par M. Bonnecarrère et Mme Canayer, rapporteurs, Projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire ».

2. Art. L. 1111-6 du CGCT : « I.- Les représentants d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales désignés pour participer aux organes décisionnels d’une autre personne morale de droit public ou d’une personne morale de droit privé en application de la loi ne sont pas considérés, du seul fait de cette désignation, comme ayant un intérêt, au sens de l’article L. 2131-11 du présent Code, de l’article 432-12 du Code pénal ou du I de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur une affaire intéressant la personne morale concernée ou lorsque l’organe décisionnel de la personne morale concernée se prononce sur une affaire intéressant la collectivité territoriale ou le groupement représenté. II.- Toutefois, à l’exception des délibérations portant sur une dépense obligatoire au sens de l’article L. 1612-15 du présent  Code et sur le vote du budget, les représentants mentionnés au I du présent article ne participent pas aux décisions de la collectivité territoriale ou du groupement attribuant à la personne morale concernée un contrat de la commande publique, une garantie d’emprunt ou une aide revêtant l’une des formes prévues au deuxième alinéa du I de l’article L. 1511-2 et au deuxième alinéa de l’article L. 1511-3, ni aux commissions d’appel d’offres ou à la commission prévue à l’article L. 1411-5 lorsque la personne morale concernée est candidate, ni aux délibérations portant sur leur désignation ou leur rémunération au sein de la personne morale concernée ».

3. Art. L. 1524-5 CGCT al. 11 et 12 : « Nonobstant l’article L. 1111‑6 du présent Code, les élus locaux agissant en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d’administration ou de surveillance des sociétés d’économie mixte locales et exerçant les fonctions de membre ou de président du conseil d’administration, de président-directeur général ou de membre ou de président du conseil de surveillance, ne sont pas considérés, de ce seul fait, comme étant intéressés à l’affaire, au sens de l’article L. 2131-11 du présent Code, de l’article 432‑12 du Code pénal ou du I de l’article 2 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur ses relations avec la société d’économie mixte locale. Cette seule qualité emporte les mêmes conséquences lorsque l’élu local participe aux délibérations du conseil d’administration ou de surveillance de la société portant sur ses relations avec la collectivité ou le groupement qu’il représente. Elle n’entraîne pas davantage l’application des articles L. 225‑40 et L. 225‑88 du Code de commerce. Toutefois, lorsque la société d’économie mixte locale est candidate à l’attribution d’un contrat de la commande publique, ils ne peuvent participer aux commissions d’appel d’offres, ni aux commissions mentionnées à l’article L. 1411‑5, ni à la délibération attribuant le contrat. De la même façon, ils ne peuvent participer aux délibérations accordant à cette société une aide régie par le titre Ier du présent livre ou une garantie d’emprunt prévue aux articles L. 2252‑1, L. 3231‑4 ou L. 4253‑1, ni aux délibérations mentionnées aux premier, troisième et dixième alinéas du présent article ».

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