La transition écologique va provoquer des chocs significatifs sur le marché du travail

Publié le 15 juin 2023 à 10h05 - par

En fonction des hypothèses retenues, les évolutions liées à la transition écologique pourront entraîner des frictions plus ou moins marquées sur le marché du travail.

La transition écologique va provoquer des chocs significatifs sur le marché du travail
© Par CURIOS - stock.adobe.com

La mission présidée par Jean Pisani-Ferry a remis en mai à la Première ministre son rapport final sur « Les incidences économiques de l’action pour le climat ». La synthèse des travaux s’accompagne de 11 rapports thématiques, dont l’un est consacré au marché du travail. Les transformations du marché du travail qu’il faudra accompagner au cours des prochaines décennies en raison de la transition écologique dépendront de multiples facteurs, préviennent ses rédacteurs : l’importance des réallocations d’emploi, l’horizon retenu, l’évolution des compétences requises ou encore la modification de la géographie des activités.

Le rapport thématique sur le marché du travail vise à apporter des éclairages sur ces différentes dimensions, même si de fortes incertitudes demeurent, notamment liées au scénario de la transition lui-même et aux politiques qui seront mises en œuvre. L’ensemble affectera « les (dés)équilibres sur le marché du travail », peut-on lire dans le rapport.

Les résultats des travaux recensés semblent montrer que les emplois directement impactés par la transition écologique ne représenteront qu’une part relativement limitée de l’emploi total. Même si, au niveau des secteurs les plus impactés, « la dynamique et les tensions associées pourront être importantes à court terme », prédisent les rédacteurs du rapport. Selon eux, ces constats traduisent notamment la forte concentration des émissions de gaz à effet de serre sur quelques secteurs, comme l’agriculture, l’énergie, la construction, le transport et l’industrie, qui seront les plus impactés par la transition. Toutefois, les effets indirects pourraient être potentiellement plus importants, ajoutent-ils, du fait, à la fois, de la concentration territoriale de certains secteurs, comme l’énergie (avec des impacts négatifs sur l’ensemble des activités des territoires les accueillant), et de leur insertion dans des chaînes de valeur (avec des effets en cascade à prévoir sur les sous-traitants, comme pour l’industrie ou les transports). Sur le plan géographique notamment, « la transition écologique pourra conduire à un renforcement des fragilités territoriales existantes si les emplois détruits sont concentrés dans des zones peu denses et/ou déjà touchées par la désindustrialisation des années 2000 », alerte le rapport.

À moyen et long terme, les effets sur l’emploi seront en partie dépendants de notre capacité à anticiper ces effets négatifs de court terme et à accompagner la réallocation de la main-d’œuvre concernée vers des secteurs porteurs, mais également des réorientations productives qui permettront de créer de nouveaux emplois en lien avec la décarbonation de l’économie. Et le rapport de citer l’agriculture écologique, l’industrie décarbonée, les mobilités actives et la rénovation des bâtiments, notamment.

Concernant le niveau de qualification de la main-d’œuvre et une éventuelle polarisation du marché du travail entre métiers peu et très qualifiés, les scénarios étudiés par la mission suggèrent plutôt un effet limité de la transition bas carbone. Les métiers les plus en croissance seraient, notamment, les ouvriers qualifiés du bâtiment, qui se situent plutôt au milieu de la distribution des qualifications. Par ailleurs, dans les secteurs concernés par des destructions d’emplois, la transition écologique concernerait aussi bien des emplois d’ouvriers que d’ingénieurs et cadres, comme dans l’industrie ou les transports. Les créations d’emplois concerneraient également toute l’échelle des qualifications, voire impliqueraient une montée des qualifications. Par exemple, dans la valorisation des déchets. En matière de compétences, les tensions dépendront, en grande partie, de la capacité à anticiper les besoins liés à la transition écologique : si certaines compétences fortement mobilisées dans les activités carbonées auront du mal à être réemployées dans d’autres activités, à l’image du transport aérien, d’autres pourraient être réutilisées relativement facilement dans des activités moins émettrices. C’est notamment le cas dans l’énergie, où certaines compétences dans les secteurs pétroliers et gaziers pourraient basculer vers des métiers dans le renouvelable ou dans les mobilités décarbonées. Dans le secteur du bâtiment, déjà en forte tension, l’adaptation de la formation des travailleurs aux compétences nécessaires pour la rénovation des bâtiments permettrait, à la fois, de répondre aux besoins croissants du secteur conformément aux objectifs de la Stratégie nationale bas-carbone et d’offrir des opportunités aux travailleurs en place.

Selon le rapport, la dimension géographique des réallocations mérite une attention particulière dans la mesure où une partie des métiers qui bénéficieront de la transition rencontrent déjà, actuellement, des difficultés de recrutement pour partie liées à une inadéquation géographique entre offre et demande de travail. Les évolutions de la répartition des activités sur le territoire dans le cadre de la transition seront a priori assez différentes suivant les secteurs concernés, complète la mission.

Le développement de l’économie circulaire ou des circuits courts devrait s’accompagner d’une répartition plus équilibrée territorialement des emplois, de même que la croissance de l’agroécologie. Les créations d’emplois dans le bâtiment ou la rénovation devraient également être relativement réparties sur le territoire en lien avec le bâti existant.

Enfin, la transition pourrait contribuer, à assez court terme, à accroître les tensions de recrutement sur des métiers qui en connaissent déjà – ouvriers du travail du bois, personnels d’étude et de recherche, techniciens, agents de maîtrise et cadres du bâtiment et des travaux publics… -, notamment du fait de conditions d’emploi de mauvaise qualité.

En outre, l’adaptation des métiers à une dégradation des conditions de travail due au changement climatique est nécessaire, notamment pour tous les métiers exercés à l’extérieur, dont la productivité peut être impactée par les épisodes caniculaires ou la fréquence des événements climatiques extrêmes. En effet, l’Institut national de la santé publique du Québec a observé que chaque degré au-dessus de 22°C en Ontario entraînait une hausse de 75 % du nombre médian d’hospitalisations pour les malaises et les maladies au travail liés à la chaleur !

« Au total, la transition écologique devrait donc, sans bouleversement majeur, augmenter les besoins de réallocations entre métiers et renforcer les difficultés existantes sur le marché du travail, en raison de l’inadéquation entre demande et offre pour certains métiers (par exemple en termes de qualification), des besoins de mobilité professionnelle et géographique ou encore de l’attractivité insuffisante de certains métiers, concluent les auteurs de l’étude. En conséquence, les politiques publiques devront donc être adaptées pour répondre à ces nouveaux enjeux, principalement dans leur volet anticipation des mutations et accompagnement des travailleurs, pour s’assurer que les objectifs de transition écologique aillent de pair avec développement de l’emploi (de qualité). »


On vous accompagne

Retrouvez les dernières fiches sur la thématique « Action sociale »

Voir toutes les ressources numériques Action sociale