Alors que les débats d’orientation budgétaire se profilent, les départements souffrent, d’abord d’une hausse des dépenses imposées par l’État. La revalorisation des allocations individuelles de solidarité (AIS) et l’augmentation du point d’indice décidées en 2022 et 2023 représentaient en effet + 2,5 Mds€ de dépenses nettes au 1er janvier 2024. Ces dépenses d’AIS sont devenues un fardeau, « compensées, pour la Loire-Atlantique par exemple, selon son président Michel Ménard, à 80 % il y a 20 ans, mais à seulement 43 % désormais ». Sans compter depuis juin dernier l’extension de la prime Ségur aux salariés de la branche associative, sanitaire, sociale et médico-sociale qui en étaient exclus et depuis avril dernier la revalorisation du RSA non compensée, coûtant respectivement 170 et 500 M€ pour les départements en 2024.
DMTO en chute libre
Dramatique effet de ciseau, les recettes ont aussi chuté, droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en tête avec – 20 % en 2023, et encore – 20 % entre janvier/juillet 2023 et janvier/juillet 2024. En Loire-Atlantique par exemple, ils sont passés de 403 à 316 M€ entre 2022 et 2023, « alors qu’on avait budgété 400 M€, précise Michel Ménard. Pour 2024, on sera en-dessous des 300 M€ prévus ». Toutefois, veut rassurer l’Assemblée des départements de France (ADF), « la baisse entre juillet 2023 et juillet 2024 n’est que de 5 % ». Les recettes de TVA sont également moins bonnes en 2024. Dans l’Essonne, Nicolas Samsoen, vice-président aux finances résume une situation tendue : « En 2023, alors que nos dépenses sociales totales étaient de 850 M€ (+ 200 M€ depuis 6 ans), nos recettes totales ont baissé de 40 M€, surtout à cause des DMTO, alors qu’il aurait fallu 120 M€ en plus, l’inflation étant à 5,7 %. Pour 2024, les DMTO sont prévues à 170 M€, soit 30 M€ de moins qu’en 2023 ».
La colère gronde. L’Essonne a même fait signer à 154 élus locaux une motion de solidarité, remise à la préfète le 9 avril dernier. Symbolique mais significatif. L’ADF souligne les difficultés : « La réserve collective nationale sur les DMTO a été entièrement libérée pour un peu moins de 300 M€ en 2024. Par ailleurs, quand le Fonds de sauvegarde des départements en difficulté décidé par chaque loi de finances en concernait 14 en 2023, il en touche 29 en 2024… »
« Faire des économies qu’on désapprouve »
2025 s’annonce incertain. Le nouveau gouvernement tardant à être constitué, le projet de loi de finances sera retardé. « Les budgets 2025 dépendront de l’« atterrissage » 2024 », ajoute l’ADF. C’est-à-dire notamment du niveau des DMTO. Michel Ménard prévoit que la Loire-Atlantique adopte son budget en mars prochain et non en décembre comme habituellement. Quant à Nicolas Samsoen, il peste : « Je travaille pour le budget 2025 sur des hypothèses et des économies que je désapprouve ».
Quoi qu’il en soit, « il y aura un recours plus important à l’emprunt et une baisse des investissements, sinon en 2024, au moins en 2025, selon l’ADF. Les économies de fonctionnement seront elles limitées, les marges de manœuvre étant étroites ». L’Essonne projette effectivement un mix de solutions : augmentation de la dette de 100 M€ en 2024, reports d’investissements (ouvertures de collèges et de la Maison du handicap retardés), financements routiers et du SDIS plus stricts, etc. Le contrôle des dépenses sociales est-il une solution ? « Sur le RSA, on pourrait gagner quelques centaines de milliers d’euros sur 200 M€, mais c’est peu face aux 100 M€/an nécessaires », répond Nicolas Samsoen.
Mêmes logiques en Loire-Atlantique avec – 90 M€ de dépenses prévues : 30 M€ de reprise de l’excédent de 2023, 30 de baisse d’investissements et 30 d’économies de fonctionnement. « On a déjà réduit ou supprimé en 2023 les subventions aux agences d’urbanisme, associations, communes… en regardant l’utilité sociale, l’impact sur les activités, la trésorerie… », selon le président. La Loire-Atlantique n’a pas accueilli la flamme olympique (- 180 M€), mais elle a accompagné les communes labélisées « Terre de jeux », des sportifs du département à participer aux JO ou elle finance la culture dans les Ehpad : « Ces dépenses ne sont pas obligatoires… mais juste essentielles », note Michel Ménard.
Revendications tous azimuts
Pour débloquer la situation, peut-on compter sur la péréquation ? « Attention, les départements de province subiront aussi une perte de recettes l’an prochain, lié à l’effet de péréquation décalé d’un an », avertit Nicolas Samsoen. Ceux les plus riches contribueront moins en effet, suite aux pertes de DMTO. Et ça tousse aussi de ce côté, comme Michel Ménard : « Pour la Loire-Atlantique, contributrice, notre participation a augmenté de 13 à 38 M€ entre 2015 et 2022, même si elle est retombée à 28 M€ en 2023, du fait de la chute des DMTO. Sans supprimer la péréquation, l’État devrait en tenir compte ». L’ADF demande surtout plus d’autonomie fiscale. « Il faut un système plus lisible, assis sur le citoyen et prévisible », abonde Nicolas Samsoen. « On revendique aussi une compensation moyenne nationale des AIS à 50 % de la part de l’État… », précise Michel Ménard. Pour la Loire-Atlantique, cela représenterait 27 M€ de plus, la compensation de l’État serait alors à 184 M€ – au lieu de 157 actuellement – sur 369 M€ de dépenses sociales totales en 2023. « En inscrivant cela dans la durée, cela garantirait des recettes en face de dépenses obligatoires », demande Michel Ménard. Le mot de la fin à l’ADF : « L’État doit arrêter de décider de mesures supplémentaires non financées ». N’en jetez plus !
Frédéric Ville