“Il faut relever l’extrême hétérogénéité du droit pénal de l’environnement” (2/2)

Publiée le 24 août 2023 à 10h00 - par

Deuxième partie de notre entretien avec François Pucheus, Avocat Général près la Cour d'appel de Rouen, Magistrat Inspecteur Régional.
“Il faut relever l'extrême hétérogénéité du droit pénal de l'environnement”

La réforme de 2000 a-t-elle véritablement permis de rationaliser les poursuites contre les élus locaux pour des faits involontaires sans lien direct avec leur comportement ?

Participant à un colloque consacré au 10e anniversaire de la loi Fauchon, j’avais mesuré combien ces dispositions alimentaient les controverses. Elle opposait ses détracteurs, tout particulièrement des associations de défenses des droits des victimes, qui y voyaient une restriction au droit à indemnisation, à ses défenseurs, au premier rang desquels le sénateur Pierre Fauchon en personne et des représentants de l’association des Maires de France. Est-ce à dire que 20 ans après, au regard d’un contentieux devenant en volume toujours moins important, cette question de la responsabilité pénale des élus dans le domaine de la faute non intentionnelle serait en passe de devenir un non sujet ? Je ne le pense pas.

Tout d’abord, parce que des accidents corporels graves en relation avec le fonctionnement ou le dysfonctionnement de collectivités locales sont toujours de nature à provoquer une émotion légitime et partagée. Ensuite, parce que du côté des élus, quand bien même sa traduction judiciaire se rencontre de plus en plus rarement, cela correspond à une inquiétude récurrente de se voir reprocher une faute dans des conditions perçues comme injustes ou excessives… Aussi, parce que du côté judiciaire, ces dossiers d’accidents graves demeurent les plus délicats, tout particulièrement dans ce domaine si exigeant de l’administration de la preuve. À ce titre, doit désormais être démontré in concreto que le décideur ne pouvait ignorer la connaissance du risque.

La responsabilité de l’élu, ici, ce n’est donc certes pas une porte close mais bien une porte étroite aux contours bien définis, ne laissant de place ni à une approximation factuelle, ni à une responsabilité objective présumée. C’est évidemment la raison du faible nombre de condamnations recensées.

On assiste à la montée en puissance des infractions environnementales. Selon vous, celles-ci sont-elles vouées à constituer un atout pour les élus locaux ou bien un nouveau danger ?

Ce que l’on doit en préalable relever, c’est l’extrême hétérogénéité du droit pénal de l’environnement, à tel point que j’ai presque quelques scrupules à le mentionner sous ce vocable. Les infractions environnementales sont de fait dispersées dans toute une série de codes et de textes qu’il serait fastidieux d’énumérer et tout aussi difficile de recenser.

Historiquement, leur socle en est généralement administratif à partir d’un corpus réglementaire toujours très dense, si bien que statistiquement on observe régulièrement que l’essentiel des poursuites en ce domaine sont de nature contraventionnelle. Pour renforcer leur niveau de contrainte, de nombreux délits obstacles ont été certes édictés. La législation pénale en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) en offre une illustration, mais on pourrait multiplier des exemples analogues dans bien d’autres domaines : protection des milieux naturels, de la faune et de la flore, urbanisme au sens large, etc.

Aujourd’hui, et c’est le cœur de cible des nouveaux pôles régionaux environnementaux, il émerge au niveau judiciaire, des contentieux prioritaires. Ils sont parfois en rapport avec une diversification des entreprises criminelles car de nature à générer de considérables bénéfices avec un risque pénal réduit. C’est le cas du trafic de déchets, de produits phytosanitaires et de médicaments comme celui des espèces animales protégées ou bien de l’orpaillage en Guyane.

D’autres sont en rapport avec des phénomènes devenus intolérables pour l’opinion, comme la maltraitance animale ou bien renvoyant la France à ses engagements internationaux, ainsi la pollution maritime.

Tout ceci pour vous dire que la mobilisation des pouvoirs publics en matière d’atteinte à l’environnement est clairement orientée sur ces comportements volontaires, voire « criminels » (écocides) devant conduire à des poursuites pénales conclues par des sanctions exemplaires.

Des recherches de responsabilité sur le fondement de fautes non intentionnelles des décideurs publics, à raison de possibles manquements réglementaires, dans ce contexte, ne constituent pas, tout aussi clairement, une priorité de politique pénale, et ce alors que élus et collectivités locales sont régulièrement eux-mêmes victimes d’atteintes majeures en matière d’environnement. De ce côté-là, l’engagement de la justice sur ce champ de contentieux est un atout à leur égard.

C’est vraisemblablement la raison du très faible nombre de poursuites engagées à leur encontre en matière d’environnement et d’urbanisme sur le terrain de la faute involontaire. Ici et maintenant, la probabilité d’une inversion de la tendance, même si à mon sens, elle reste marginale, n’est pas totalement à exclure pour diverses raisons : la considérable complexité réglementaire en la matière pouvant contribuer à la mise en défaut des décideurs locaux, la répercussion médiatique des accidents environnementaux ou le développement de structures associatives agréées pour ester en justice… Seul l’avenir pourra nous dire comment tout cela évoluera.

Le droit pénal cherche-t-il seulement à punir les élus locaux ou bien les protège-t-il également ?

28,5 % des dossiers les concernant se rapportent aux atteintes à l’honneur – diffamation, dénonciation calomnieuse – de fait majoritairement en rapport avec des confrontations électorales ou partisanes. Les atteintes à l’honneur sont évidemment atypiques, bien qu’en véritable explosion. Ces infractions correspondent aux affaires de diffamations, d’injures et par écho mais dans une moindre mesure de dénonciation calomnieuse. Leur nombre croissant est évidemment en rapport avec la généralisation des communications électroniques, et la multiplication des supports inhérents, qui favorisent des polémiques de toute nature et plus encore en période électorale.

Ces dossiers obéissent pour la très grande majorité d’entre eux, aux procédures relevant du droit de la presse. Ils renvoient à de possibles dérives du jeu politique, sans pour autant à mon sens véritablement impacter, sauf par exception, la confiance que les citoyens placent dans leurs élus locaux. Je ne les aborde donc ici que pour mémoire.

Plus délicat se trouve être le portefeuille des affaires correspondant aux « atteintes à la dignité » dont le plus gros contingent est composé de dossiers de discriminations ou de harcèlement moral. L’élu local se trouve alors souvent mis en cause par des plaintes pouvant trouver leur origine en interne.

De fait, ces plaintes ou réclamations renvoient l’élu à des situations, somme toute, très proches de celles des managers du secteur privé, mais dans un contexte sociologique différent et avec des normes juridiques, évidemment en rapport avec celles de l’emploi public. Que cela constitue la source, au pénal mais également devant le juge administratif, d’un contentieux touffu, aléatoire et particulièrement long, où il est parfois difficile de faire la part des choses et donnant lieu à recours de toute nature, c’est une réalité que nous, praticiens, nous constatons.

Mais là encore, pour autant, j’estime à titre personnel, sans méconnaître la gravité intrinsèque de ces dossiers pour ceux qui en sont victimes, que ce ne sont pas nécessairement ceux-ci qui contribuent à miner en profondeur la confiance de nos concitoyens en leurs élus et les institutions qu’ils représentent.

Viennent ensuite dans une moindre proportion les atteintes à la dignité – harcèlement au travail, injures, discriminations – et en dernière position, les atteintes à la confiance principalement composées des infractions en matière de faux pour environ 8 % des poursuites. Ce qui montre que le droit pénal sait aussi protéger les élus locaux.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant, Professeur à Le Mans Université, Membre de l’IUF

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